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Conseil d’État, 317026

- wikisource:fr, 23/01/2010


Conseil d’État
22 janvier 2010


Section – Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique – 317026


Nathalie Escaut, rapporteur public



Visas

Vu le pourvoi, enregistré le 10 juin 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, du Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ; le ministre demande au Conseil d’État d’annuler l’arrêt du 10 avril 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de l’article 1er du jugement du 26 avril 2006 du tribunal administratif de Paris déchargeant M. Jacques A des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1992 et 1993 ainsi que des pénalités dont elles ont été assorties et, d’autre part, à ce que ces impositions soient remises à la charge de M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Motifs

Considérant qu’aux termes de l’article R. 611-1 du code de justice administrative : « La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties » ; qu’aux termes de l’article R. 200-4 du livre des procédures fiscales : « Les notifications et communications faites à l’administration sont adressées par le tribunal administratif à la direction des impôts ou à la direction des douanes et droits indirects qui a suivi l’affaire et par la cour administrative d’appel au ministre chargé du budget (…) » ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le ministre chargé du budget avait formé son recours sous le timbre du bureau T3 de la direction générale des impôts, en indiquant l’adresse de ce service ; que, dès lors, la communication du premier mémoire en défense du contribuable à l’adresse de la direction des vérifications nationales et internationales qui avait assuré le contrôle fiscal à l’origine du litige, et non à celle qui figurait dans le recours, ne peut être regardée comme ayant été régulièrement faite ; que la circonstance que cette direction avait assuré la défense de l’État devant le tribunal administratif ne dispensait pas la cour de se conformer aux dispositions de l’article R. 200-4 du livre des procédures fiscales, selon lesquelles le ministre chargé du budget est seul compétent pour représenter l’État dans l’instance d’appel ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique est fondé à soutenir que l’arrêt attaqué est intervenu au terme d’une procédure irrégulière et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à en demander l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par une promesse de vente du 31 juillet 1991, M. Jacques A, agissant en son nom et en celui de ses trois fils, s’est engagé à céder à une société appartenant au groupe Bolloré les titres de la société Compagnie Privée d’El Rhaba qu’il détenait avec eux ; que le transfert de titres s’est opéré, ainsi que le permettait la promesse de vente, au profit d’une société civile appartenant également au groupe Bolloré, pour un prix acquitté en deux versements intervenus en 1992 ; qu’un complément de ce prix a été versé en janvier 1994 à M. A et à ses fils à la suite de la réalisation de l’une des conditions prévue par l’acte qui l’instituait ; qu’à l’occasion d’une vérification de comptabilité de sociétés du groupe Bolloré, suivie d’un contrôle sur pièces des revenus de M. Jacques A, l’administration fiscale a constaté qu’il avait omis de déclarer la quote-part lui revenant de la plus-value réalisée lors de la cession et a estimé qu’il était redevable de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre de l’année 1992 à raison de la plus-value réalisée sur la cession des actions de la société Compagnie Privée d’El Rhaba et au titre de l’année 1993 à raison de la plus-value résultant du versement du complément de prix ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déchargé M. A des suppléments d’impôt et des pénalités dont ils étaient assortis ;

Considérant que, lorsque le contribuable en fait la demande à l’administration, celle-ci est tenue de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu’elle a obtenus auprès de tiers et qui lui sont opposés ; qu’il en va ainsi, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d’entre eux, afin de lui permettre d’en vérifier et, le cas échéant, d’en discuter l’authenticité et la teneur ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que, pour l’imposition établie au titre de l’année 1992, l’administration n’a donné aucune suite à la demande de communication présentée par le contribuable avant la mise en recouvrement de l’imposition et tendant à la communication du registre des transferts de titres de la société Compagnie privée d’El Rhaba ; que, d’autre part, pour l’imposition établie au titre de l’année 1993, si l’administration n’a pu communiquer la lettre du trésorier du groupe Bolloré du 9 juillet 1992, dont elle a cependant reproduit les termes dans la notification de redressement, prévoyant le versement d’un complément de prix en cas de réalisation de l’une des trois conditions que cette correspondance mentionnait, dès lors qu’ainsi qu’elle l’a constamment soutenu elle n’a pu en prendre une copie, il résulte également de l’instruction qu’elle a refusé de faire droit à la demande de communication des documents sur lesquels elle s’est également fondée pour estimer que les redressements devaient être rattachés aux revenus perçus en 1993 et relatifs, d’une part à la décision prise par le groupe Bolloré de procéder au licenciement de M. Jacques A le 8 décembre 1993 et, d’autre part, à la transaction intervenue entre ces parties le 21 janvier 1994 ; qu’ainsi, en refusant de faire droit à cette demande relative à des documents obtenus de tiers et ayant fondé les redressements, mentionnés dans les notifications de redressement et dans le mémoire produit par l’administration devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, l’administration a entaché la procédure d’une irrégularité substantielle, alors même que le contribuable a pu avoir par ailleurs connaissance des renseignements contenus dans ces documents ou de certains d’entre eux ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a déchargé M. A des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1992 et 1993 ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à MM. Christian A, Eric A et Franck A, ayants droit de M. A, décédé, de la somme globale de 3 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 10 avril 2008 est annulé.

Article 2 : Le recours présenté par le Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique devant la cour administrative d’appel de Paris est rejeté.

Article 3 : L’État versera une somme globale de 3 000 euros à MM. Christian A, Eric A et Franck A, ayants droit de M. Jacques A,, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, à M. Christian A, à M. Eric A et à M. Franck A.


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