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La force probante d’un courrier électronique invoquée dans le cadre d’un litige prud’homal

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch et Nathanaël Place, 7/01/2014

Selon la chambre sociale de la Cour de cassation (arrêt du 25 septembre 2013, pourvoi n°11-25.884) la force probante d’un courrier électronique invoqué en matière prud’homale au soutien de la caractérisation d’un fait peut être établie par tout moyen. Les juges du fond n’ont pas à vérifier si les conditions mises par les articles 1316-11 et 1316-4 du Code civil à la validité de l’écrit ou de la signature électroniques sont satisfaites.
Les faits peuvent paraître banals.

Une salariée est licenciée pour faute grave au motif que, plus d’un mois après la fin de son arrêt de travail pour maladie, elle n’a pas repris ses fonctions et ce sans la moindre justification.

La salariée ne s’en laisse toutefois par conter et saisit le conseil de prud’hommes en réfutant cette version des faits.

Elle soutient que s’il est exact que son employeur lui a demandé par écrit, plus d’un mois après la fin de son arrêt maladie, de justifier de son absence, c’est son employeur lui-même, bien avant l’envoi de ce courrier de circonstance, qui lui a expressément demandé de ne plus revenir travailler à l’issue de son arrêt de travail.

Pour en apporter la preuve, elle verse aux débats un courrier électronique que lui a adressé selon elle le gérant de la société et dont les termes tristement orduriers, cités dans l’arrêt du 25 septembre 2013 de la chambre sociale de la Cour de cassation, sont édifiants.

La cour d’appel de Bordeaux, dans un arrêt du 1er septembre 2011, décide que le licenciement de l’intéressée est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour parvenir à cette conclusion, elle retient les termes du courrier électronique litigieux dont l’employeur prétendait pourtant qu’il n’était pas l’expéditeur compte tenu de son caractère outrancier (c’est le moins !) ; il s’étonnait par ailleurs qu’il ait été tardivement édité puis communiqué seulement le jour de l’audience de conciliation.

La cour d’appel rejette les arguments de l’employeur. Pour la Cour, « La date d’édition de ce document et de sa communication dans le cadre du débat judiciaire sont sans incidence sur l’appréciation de sa validité.

A cet égard, il convient de relever que l’employeur ne rapporte pas la preuve que l’adresse de l’expéditeur mentionnée sur le courriel soit erronée ou que la boite d’expédition de la messagerie de l’entreprise ait été détournée. En tout état de cause, un tel détournement ne pourrait être imputé à Madame X qui n’était pas présente dans la société à la date de l’envoi du courriel.

Il y a lieu de considérer, en conséquence, que Monsieur Y est bien l’auteur et l’expéditeur de ce courriel dont la teneur apparaît conforme à sa personnalité ainsi que 4 autres salariés l’ont décrite à la présidente de la société dans une lettre ouverte du 17 décembre 2010 où les intéressés se plaignent de son comportement déconcertant, versant dans la violence verbale, avec une attitude physiquement menaçante. »


L’employeur forme un pourvoi en cassation : lui qui a toujours contesté l’authenticité du courrier électronique dont la paternité lui est imputée, fait grief aux juges du fond de n’avoir pas vérifié si les conditions mises par les articles 1316-11 et 1316-4 du Code civil à la validité de l’écrit ou de la signature électroniques sont satisfaites ; selon l’auteur du pourvoi, la cour d’appel aurait dû vérifier si le courrier électronique en question avait été établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité et s’il comportait une signature électronique résultant de l’usage d’un procédé fiable d’identification.

En d’autres termes, pour l’employeur, il s’agissait d’appliquer strictement les dispositions du Code civil relatives à la force probante de l’écrit électronique mais aussi de la signature électronique. Si l’on peut admettre qu’un parallèle puisse être fait avec l’écrit électronique, il nous semble en revanche plus contestable d’évoquer les règles d’authentification de la signature électronique alors qu’un courriel n’est évidemment pas signé par une signature électronique au sens de l’article 1316-4 du Code civil.

Ce sont d’ailleurs les règles de validité mises par le Code civil à la validité de l’écrit électronique qui ont retenue seules l’attention de la Cour.

L’article 1316-1 du Code civil dispose, pour mémoire, que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dument identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

L’employeur se référait très probablement à un arrêt du 30 septembre 2010 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (n° 09-68.555) qui avait statué en ce sens dans un litige opposant un locataire et un bailleur sur le point de départ du préavis d’un congé.

Dans cette espèce, le locataire se prévalait d’un courrier électronique dont le bailleur contestait l’authenticité.

La cour d’appel avait néanmoins retenu l’existence du courrier électronique en question au motif qu’il devait être admis en preuve dès lors que son signataire ne communiquait aucun document de nature à combattre la présomption de fiabilité édictée par l’article L.1316-1 du Code civil.

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation a toutefois censuré ce raisonnement en des termes que reprend exactement notre employeur pour obtenir la cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux : « en statuant ainsi, sans vérifier comme elle y était tenue dès lors que Monsieur X déniait être l’auteur des messages produits par Madame Y, si les conditions mises par les articles L.1316-1 et 1316-4 du code civil à la validité de l’écrit ou de la signature électroniques étaient satisfaites, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ».

La chambre sociale de la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté du 25 septembre 2013, n’adopte toutefois pas la même solution dès lors qu’il s’agit, dans le cadre du différend dont elle est saisie, d’établir l’existence non pas d’un acte, un congé, mais d’un fait (l’employeur a-t-il ou non demandé à sa salarié de ne plus venir travailler ?) : « Mais attendu que les dispositions invoquées par le moyen ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tout moyen de preuve, lesquelles sont appréciées souverainement par les juges du fond ».

La chambre sociale avait déjà eu dans le passé l’occasion d’affirmer que la force probante d’envois électroniques invoqués dans le cadre d’un litige prud’homal relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond :

Cassation Sociale 2 juin 2004, pourvoi n° 03-45.269 « Mais attendu que la cour d’appel, répondant aux conclusions et analysant l’ensemble des éléments de preuve soumis à son appréciation, et notamment l’historique des envois électroniques de la société et plusieurs attestations, a constaté qu’il était établi que Monsieur Z était bien l’auteur du courriel incriminé ; que les moyens, qui ne tendent qu’à remettre en cause cette appréciation souveraine, sont sans fondement» ;

Cassation sociale, 22 mars 2011, n° 09.43-307 « Mais attendu que pour rejeter des débats les courriers électroniques prétendument adressés par Monsieur Y, supérieur hiérarchique de Monsieur X à divers salariés de l’entreprise, la Cour d’appel ne retient pas seulement que l’intéressé ne justifie pas des conditions dans lesquelles il les avait obtenus, mais aussi que ces documents n’apparaissent pas dans la boite mail de Monsieur Y et qu’il est possible de modifier un mail existant ou de créer de toute pièce antidaté ; qu’ayant ainsi, dans son pouvoir souverain d’appréciation de la portée des pièces qui lui étaient soumises, estimé que ces courriels dont l’authenticité n’était pas avérée, n’étaient pas probants, la cour d’appel a, par ce seul motif dépourvu de caractère hypothétique, statué à bon droit ».

C’est néanmoins à notre connaissance la première fois qu’elle écarte de façon aussi explicite, à l’occasion d’un litige prud’homal, les règles posées par le Code civil sur la validité de l’écrit ou de la signature électroniques.
Au-delà, cet arrêt permet de rappeler que la preuve des faits en matière prud’homale peut être admise par tout moyen pourvu qu’il soit licite.


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