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Réforme des obligations, FICHE N°1 : Pourquoi une réforme ? et pourquoi par ordonnance

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Gabrielle Olivier, 4/06/2015

Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
1. La réforme du droit des obligations a été annoncée en 2004, à l’occasion du bicentenaire du Code civil. À cette occasion le Doyen Mestre rappelait que : « S’il est dans le code civil un titre qui paraît nourri d’intemporalité, voire d'éternité », c’est bien « le célébrissime » titre III du livre III, intitulé '' les contrats ou des obligations conventionnelles en général » (2)

2. Plusieurs projets ont suivi, réalisés tant par le ministère de la justice que par d’éminents professeurs de droit, mais aucun n’a abouti - l’avant-projet Catala de 2005, projet de la chancellerie 2009 , projet de l’Académie des Sciences morales et politiques sous la direction du Professeur Terré 2013.

3. Les opérateurs économiques ont pourtant continué à nouer des relations contractuelles, à les rompre et à en négocier d’autres.

4. Alors plusieurs questions légitimes se posent : si le droit des contrats est « intemporel » pourquoi cette réforme ? Pourquoi maintenant ? et pourquoi par ordonnance ?

I. Pourquoi une réforme du droit des obligations ?
5. « La réforme tient tout d’abord au constat de vieillissement du droit des obligations français ». (3)

6. Depuis plusieurs années, des pans entiers du Code civil ont été adaptés aux changements économiques et à l’évolution des mœurs (divorce, successions, indivision, régime matrimonial, suretés, filiation, prescription) mais la partie relative aux contrats est restée inchangée.

7. Les relations contractuelles ont pourtant évolué depuis 1804.

8. L’inertie législative a été palliée par les juges et la doctrine. Un droit des contrats parallèle a ainsi vu le jour sans pour autant apporter la sécurité juridique d’un code (revirement de jurisprudence, arrêts d’espèce, contradiction de décisions, de positions).

9. La France est un pays codifié mais une partie du droit des contrats n’est plus dans le code. Une étape entière de la naissance du contrat, la période précontractuelle, y est absente.

10. La réforme est ainsi nécessaire pour rendre au Code civil sa fonction, à savoir présenter le droit des contrats existant en France.

II. Pourquoi maintenant ?
11. Les projets de réforme successifs sont restés vains. Le sujet ne serait « politiquement pas porteur » (4) Il s’agit également d’un « monument juridique » auquel peu osent s’affronter.

12. Or, aujourd’hui, la refonte du droit des obligations s’inscrit dans une volonté du gouvernement et du président de la République de simplifier et de moderniser l’action publique (5) . La chancellerie l’a priorisé dans son programme de justice du XXIème siècle (6).

« Pour que tous les citoyens et tous les acteurs économiques aient une compréhension précise du droit des contrats et des règles relatives au régime et à la preuve des obligations, le droit des contrats sera réformé pour le rendre plus accessible, plus attractif et mieux adapté aux enjeux économiques et judiciaires actuels » (7)

13. Le projet suit trois objectifs : 1) lisibilité et accessibilité, 2) protection du plus faible et enfin 3) attractivité « (…) arme indispensable pour le gouvernement et la relance. Celle-ci découle de la prévisibilité et de la lisibilité du droit » selon la Garde des Sceaux (8). Il faut rendre le droit des contrats de nouveau « exportable ».

III. Pourquoi par ordonnance ?
14. Les principes fondamentaux des obligations civiles relèvent du domaine de la loi (9) et toute modification apportée à ces dispositions doit ainsi être votée par le Parlement (10).

15. Pourquoi dès lors le Gouvernement a-t-il eu recours à l’article 38 de la Constitution(11) , a-t-il demandé au Parlement, « pour l'exécution de son programme, (…) de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » ?

16. La Chancellerie invoque l’urgence et soutient que « le calendrier parlementaire ne permettrait pas, d’ici la fin de la législature, de faire adopter par la voie législative normale une réforme de cette ampleur ». (12)

17. Au parlement, si les deux chambres s’accordent sur la « nécessité » de la réforme, elles s’opposent quant à la méthode employée. Le Sénat souhaite que « la réforme passe par la loi ».

18. Après quatorze mois de navette parlementaire (13), l’Assemblée Nationale a pris acte de l’échec des discussions et a, comme la Constitution le prévoit (14), tranché en autorisant le gouvernement à agir par voie d’ordonnance. Le Conseil Constitutionnel a validé cette démarche (15) .

19. La rapporteur de l’Assemblée Nationale explique qu’il s’agit d’un choix responsable : « Voulons-nous que ce texte rejoigne le grand cimetière des réformes non menées alors que nous le savons urgent et indispensable (…) ? » (16)

20. « Légiférer par voie d’ordonnance a permis d’éviter l’embouteillage parlementaire que n’aurait jamais pu franchir un texte de plus de 300 articles. Le prix à payer : une absence de discussion sur le texte, en dépit des enjeux juridiques, économiques et sociaux de la réforme ». (17)

21. Ce procédé rappelle les références du droit de la filiation et du droit des sûretés (18) . Également contestées lorsqu’elles ont été initiées ces réformes ne font plus aujourd’hui de remises en cause. Le Professeur Daniel Mainguy écrit : « Quelle qu'elle soit, une telle réforme est, d'un point de vue politique, une chance considérable sur le long terme ». (19)

IV. Quid de la suite ?
22. La consultation publique lancée sur l’avant-projet d'ordonnance a pris fin le 30 avril dernier. La chancellerie procède actuellement à l’analyse des retours de cette consultation. S’en suivra un travail de modification et d’amélioration du projet d’ordonnance.

23. Le projet d’ordonnance définitif doit être examiné par le Conseil d’Etat avant la fin de l’année.

24. Quoiqu’il en soit, la loi de simplification du 16 février 2015 a fixé au 17 février 2016 la date butoir pour la publication de cette ordonnance . (20)

« Nul doute que les prochains mois seront contractuels ou ne seront pas… ». (21)



(2) Réforme du droit des contrats : « revenir à l’esprit du code, en l’adaptant au monde d’aujourd’hui » Interview de Carole Champalaune, Directrice des affaires civiles et du Sceau, ; JCP N n°15, 10 avril 2015, act. 496
(3) Cf. note 2
(4) « Droit des contrats : une réforme bienvenue, mais à parfaire », Les Échos, 27 avril 2015, N. Molfessis.
(5) Présentation en Conseil des ministres le 25 février 2015 « réformer le droit des contrats »
(6) La réforme de la Justice du 21ème siècle est un engagement de la Garde des Sceaux comprenant également l’obligation de « tentative de règlement amiable » décret n°2015-282 du 11 mars relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends
(7) Communiqué de Presse sur présentation par le garde des sceaux du projet de modernisation et simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures du 27 novembre 2013
(8) « Réforme Taubira du droit des contrats : le code civil se met à la page » Anne Moreaux, 30 avril 2015, sur le site des Affiches Parisiennes à la suite de l’intervention de Christiane Taubira à Sciences-Po
(9) Article 34 de la Constitution
(10) Article 24 de la Constitution
(11) Article 38 de la Constitution
(12) Rapport au nom de la commission mixte paritaire du 13 mai 2014, Assemblée nationale n° 1933 et Sénat n° 529
(13) Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, déposé au Sénat le 27 novembre 2013
(14) Dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution
(15) Décision n°2015-710 DC du 12 février 2015
(16) Rapport n°215 du Sénat au nom de la commission des lois constitutionnelles, du 14 janvier 2015
(17) « Droit des contrats : une réforme bienvenue, mais à parfaire » Les Échos, 27 avril 2015, N. Molfessis.
(18) L’ordonnance portant réforme de la filiation n°2005-759 du 04 juillet 2005 prise sur le fondement de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit - L'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés publiée au journal officiel le 24 mars 2006.
(19) « Droit d'inventaire : En route vers la réforme du droit des contrats et des obligations », D. Mainguy, 10 février 2015 - Le Blog de Daniel Mainguy - Professeur à la faculté de droit de Monptellier.
(20) Article 25 de la loi n°2015-177 « les ordonnances de la présente loi doivent être prises dans un délai de : Douze mois à compter de la publication de la présente loi en ce qui concerne l’article 88… ».
(21) Dalloz actualité, 18 février 2015 « La réforme du droit des contrats aura bien lieu » Laurent Dargent,


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