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Comme si j'avais connu Bernard Gonzalez...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/04/2020

Je me glisse humblement dans cette désolation. Comme si je l'avais connu.

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Aucune mort n'est anodine mais dans le pluralisme tragique qui affecte la France depuis tant de semaines, quand sa famille ou ses proches sont indemnes, on a tendance à se replier sur sa sauvegarde particulière, son salut privé.

Aucun suicide n'est simple et il n'en est pas un qui ne soit pas équivoque.

Mais quand j'ai lu le 5 avril, tard dans la soirée, que le médecin du stade de Reims, Bernard Gonzalez, confiné chez lui, avait mis fin à ses jours, j'ai eu un choc comme si je l'avais connu.

Comme si, soudain, j'étais contraint, par le coeur et par l'esprit, d'attacher une gravité toute spéciale à cette disparition volontaire (Huffington Post, Le Parisien).

Il était le médecin du stade de Reims depuis 21 ans et celui de nombreux Rémois.

Deux jours avant son suicide, il semblait en pleine forme.

Il a laissé une lettre où il indiquait avoir été testé positif au Covid-19, son épouse l'était également.

Et il a eu cette fatale résolution. Il serait indécent de tenter de discerner, dans ses ressorts intimes, la cause dominante qui l'a conduit, seul, à partir en laissant son épouse. Le sentiment déprimant de son inutilité ?

Il est des tragédies pourtant qui n'ont pas besoin d'être expliquées parce que leur impact traumatisant se suffit à elles seules.

Un saisissement comme si j'avais connu Bernard Gonzalez.

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Parce que c'était le médecin du stade de Reims et que cette équipe, avant que l'épidémie fasse cesser le championnat de France, était non pas ma favorite, évidemment, mais ma préférée, ce qui est bien mieux. J'aimais tout d'elle.

Ses dirigeants, son entraîneur discret, compétent, toujours correct sur le bord du terrain, David Guion, ses joueurs combatifs, animés par un bel esprit collectif, solides, sans éclat mais efficaces, remarquables en défense et pas si maladroits en attaque. Reims se trouvait bien classé et sa saison était réussie.

J'avais du mal à accepter ses rares défaites et je dormais mal quand elles survenaient. Il y avait comme une injustice à constater que le destin favorisait les grosses machines "friquées" au détriment des clubs modestes, chaleureux, vaillants et souvent performants.

Aux encouragements que le sportif en chambre que j'étais adressait à ce groupe quand la télévision diffusait ses matchs, se mêlait le souvenir de la fabuleuse équipe de Reims autour de Kopa, Vincent et Jonquet notamment. Avec cet entraîneur mythique Albert Batteux dont la philosophie de jeu était moins de ne pas encaisser de buts que d'en marquer davantage à l'adversaire. Une autre vision du jeu. Plus de passion que de calcul, de grandeur que de gagne-petit.

J'ai été d'autant plus touché au coeur par la mort de Bernard Gonzalez que quelques jours auparavant j'avais lu un article sur le stade de Reims et la manière exemplaire dont l'équipe dirigeante, sur les plans sanitaire, administratif et financier, avait su gérer le futur des joueurs et les difficultés résultant de la cessation du championnat. Il y avait là l'expression d'une normalité tranquille, tellement conforme à cet univers que rien ne paraissait pouvoir l'atteindre.

Mais le suicide de Bernard Gonzalez a été l'irruption de la tragédie, d'un terrifiant et dramatique désordre singulier dans cet ordre rémois.

J'ai vu sa photographie. Je mesure le chagrin de son épouse, de ses proches, de ses amis. Des Rémois.

Je me glisse humblement dans cette désolation.

Comme si je l'avais connu.


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