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Domaine public ou open data : le Janus de l’utilisation privative des biens publics (I)

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Virginie Delannoy, 14/02/2013

Intéressante décision que celle rendue par le Conseil d’Etat le 29 octobre 2012 (n° 341173, EURL Photo Josse) à propos de la prise de vues, par un opérateur économique en vue de leur réutilisation commerciale, des collections du musée des Beaux-Arts de la ville de Tours. Intéressante à un double point de vue : par sa (rare) prolixité sur la combinaison du principe de la liberté du commerce et de l’industrie avec les règles de la domanialité publique pour laquelle le juge revient à la plus pure orthodoxie (I) et par son silence sur la mise en œuvre du droit de réutilisation des informations publiques, qui aurait pourtant pu commander une solution toute autre du litige (II).
Conseil d’Etat, 29 octobre 2012 (n° 341173, EURL Photo Josse)

En l’espèce, l’EURL Photo Josse avait demandé au maire de la ville de Tours l’autorisation de photographier certaines œuvres des collections du musée des Beaux-Arts de la ville aux fins de leur diffusion ultérieure dans des ouvrages spécialisés ou dans la presse. Le silence du maire a conduit l’entreprise à déférer au juge de l’excès de pouvoir la décision implicite de refus qui était, ainsi, opposée à sa demande.

La cour administrative d’appel de Nantes, après avoir relevé que les collections des musées appartenaient au domaine public mobilier de la ville par application de l’article L. 2112-1,8e du code général de la propriété des personnes publiques, avait fait droit à la requête sur le fondement d’une nécessaire combinaison du régime de la domanialité publique avec le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Selon la cour, le maire ne pouvait opposer un refus pur et simple à la demande et il lui appartenait d’examiner la possibilité de réaliser ces clichés en vue de leur diffusion commerciale « dans des conditions compatibles avec les nécessités de la gestion du musée et du respect de l'intégrité des œuvres ».

L’appréciation du Conseil d’Etat est inverse. La personne publique affectataire du domaine dispose toujours de la faculté de ne pas accorder d’autorisation d’occupation privative. Les opérateurs économiques ne détiennent aucun droit acquis au bénéfice d’un titre d’occupation domaniale . Surtout, le Conseil d’Etat, rappelant les deux composantes du principe de la liberté du commerce et de l’industrie (obligation de n’apporter des restrictions à l’exercice d’une activité économique que justifiées par un intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi – CE 22 juin 1951,Daudignac – et obligation de ne prendre en charge une activité économique que si un intérêt public le justifie – CE 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers), souligne que ce principe n’impose pas, en lui-même, à l’administration d’autoriser l’occupation de son domaine à des fins commerciales.

L’invocation de cette liberté est, donc, inopérante sur le régime de la délivrance des titres d’occupation domaniale. Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme sa décision du 23 mai 2012, RATP (n° 348909, voir KPratique « Le domaine public est-il immunisé contre les atteintes à la liberté du commerce et de l’industrie ») qui revenait sur l’arrêt du 26 mars 1999, Société EDA (n° 202260) en précisant la portée des deux libertés, souvent confondues, du commerce et de l’industrie et de la concurrence. Dans l’arrêt Société EDA, en effet, le Conseil d’Etat avait explicitement souligné que l’autorité affectataire de dépendances domaniales était tenue de les gérer, lorsqu’elles « sont le siège d’activités de production, de distribution ou de services », dans le respect des « diverses règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ou l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans le cadre desquelles s'exercent ces activités ».

En conséquence, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie n’est opposable à l’administration que lorsque des activités économiques s’exercent déjà sur le domaine. Dans cette hypothèse, l’administration gestionnaire ne peut apporter de restrictions à ces activités que dans les limites rappelées plus haut. En revanche, ce principe, à lui seul, n’oblige nullement l’administration à permettre la création d’une nouvelle activité économique sur son domaine.

Deux limites sont toutefois posées au pouvoir discrétionnaire de l’administration de faire droit ou pas à une demande d’occupation de son domaine public. La première est explicitement posée dans l’arrêt commenté : le principe d’égalité interdit à la personne gestionnaire du domaine tout traitement discriminatoire dans la délivrance des titres d’occupation si aucune différence objective de situation ou aucun intérêt public ne le justifie (v. CAA Paris, 4 décembre 2003, Société d’équipement de Tahiti et des Iles, n° 00PA02740). A cet égard, le Conseil d’Etat n’ayant pas usé de son pouvoir d’évocation compte tenu de l’appréciation en fait qui s’impose désormais, l’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Nantes qui devra, notamment, se prononcer sur l’existence d’une rupture d’égalité. La cour avait, en effet, relevé que des autorisations de photographier des œuvres du musée des Beaux-Arts avaient déjà étaient accordées par la ville.

La seconde limite est rappelée par l’arrêt RATP précitée et n’est pas sans lien avec le principe d’égalité : l’administration ne peut méconnaître le droit de la concurrence lorsqu’elle délivre ou refuse un titre d’occupation privative (CE, 26 mars 1999, Société EDA, n° 202260 ; Autorité de la concurrence, avis n° 04-A-19 du 21 octobre 2004 relatif à l’occupation du domaine public pour la distribution de journaux gratuits).

Le régime de la domanialité publique commandait la solution de l’arrêt commenté. L’application du régime de la réutilisation des informations publiques aurait pu conduire à une décision radicalement inverse (voir II).



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