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Pour la première fois un Conseil de prud’hommes se prononce sur le caractère conventionnel du barème Macron encadrant les indemnités prud’homales

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Patrick Berjaud, Elena Blot, 29/10/2018

L’article L.1235-3 du code du travail qui met en place un barème encadrant l’indemnité allouée en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse fait à nouveau polémique. Ce barème qui s’applique à tous les licenciements notifiés depuis le 24 septembre 2017, prend en compte l’ancienneté du salarié au sein de l’entreprise et fixe une fourchette du montant pouvant être accordé à titre d’indemnité en nombre de mois de salaire brut.
Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont pourtant déjà eu à se prononcer sur sa conformité.

En effet, avant la ratification de l’ordonnance instituant ce barème, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur sa conventionnalité et a considéré « qu’il n’est fait état d’aucun moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions », notamment en raison du fait qu’il n’est pas applicable en cas de nullité du licenciement et qu’il appartient toujours au juge de prendre en compte « d’autres critères liés à la situation particulière du salarié » (CE, ordonnance de référé, 7 décembre 2017, n°415243).

A l’occasion de l’examen de la loi de ratification des ordonnances instituant ce barème, se fondant sur les mêmes éléments que le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il ne portait pas atteinte à l’exigence constitutionnelle du droit à réparation pour les salariés (Cons. const. 21 mars 2018, n°2018-761 DC, pts 86 et s.).

Cette fois, c’est le Conseil de prud’hommes du Mans qui a été amené à se prononcer sur la conventionnalité de cette disposition dans un jugement rendu le 26 septembre 2018.

Dans cette affaire, utilisant la même argumentation que celle qui avait été soutenue devant le Conseil d’Etat, l’avocat du salarié avait soulevé la contradiction de la fixation d’un tel barème, avec deux dispositions conventionnelles.

D’une part, l’article L.1235-3 du code du travail serait contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT (Organisation International du Travail) selon lequel :

« Si les juges arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

D’autre part, cet article ne serait pas conforme à l’article 24 de la Charte sociale européenne selon lequel :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) :

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »


Avec le même raisonnement que le Conseil d’Etat avant lui, le Conseil de prud’hommes du Mans a jugé que le fait d’encadrer l’indemnité accordée par le juge entre un montant minimum et un montant maximum, ne faisait pas obstacle à sa prise en compte de tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié, tel que son âge, ou encore ses difficultés à retrouver un emploi après des années au sein de la même entreprise.

Le Conseil souligne en effet que sont écartés de ce barème tous les cas où le licenciement est entaché de nullité résultant notamment de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement sexuel ou moral, d’une atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé.

Prenant en compte tous ces éléments, le Conseil de prud’hommes a considéré que ce barème n’était pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.


Après avoir rappelé que la Charte sociale européenne n’a pas d’effet direct horizontal, c’est-à-dire qu’elle n’a pas vocation à être directement appliquée par la juridiction prud’homale, le Conseil de prud’hommes du Mans a toutefois estimé que le barème de l’article L.1235-3 était également conforme à l’article 24 de la Charte, en ce qu’il pose le même principe que la convention précitée.

Il s’agit toutefois d’une première décision prud’homale qui sera sans doute déférée à la censure de la Cour d’appel.


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