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Il faut épurer Twitter !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/03/2020

Il faut épurer Twitter. Hors de question, bien sûr, de judiciariser quoi que ce soit. Au risque d'apparaître encore plus naïf qu'on me reproche de l'être, je ne vois comme remède que la résistance de la multitude de bonnes volontés qui ne veulent pas fuir Twitter mais n'acceptent pas forcément la boue qui va avec, la conjuration des esprits et des sensibilités qui n'ont pas peur d'échanger des idées, d'avoir des convictions, de les voir contredites, mais aspirent à de la décence. Qui n'est pas le refuge des pleutres mais l'expression de l'élégance humaine et intellectuelle.

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Je déteste les épurations qui ne sont que trop souvent la revanche de ceux qui ont mauvaise conscience de n'avoir pas été des résistants, mieux même, des héros !

Mais, pour Twitter, je maintiens cet infinitif et cette obligation.

Non pas que comme tant d'autres j'aie l'intention de jeter l'éponge et de me retirer de ce réseau social qui serait utile et formidable si à cause d'une minorité inculte et grossière (euphémisme), il n'était pas trop souvent imprégné d'une boue ostensiblement revendiquée.

Je suis heureux qu'il soit par principe ouvert à tous (dont beaucoup ont tellement honte d'eux-mêmes qu'ils se masquent) mais encore conviendrait-il que la lie propagée par certains ne rende pas impossible, en tout cas héroïque, un usage acceptable de Twitter, aussi vigoureux qu'il soit.

On en est de plus en plus loin.

J'ai déjà écrit sur le cloaque que non seulement devient parfois Twitter mais qui, pour quelques-uns, est voulu d'emblée comme tel, un mode de communication destiné exclusivement à dégrader, à insulter et à prendre le nombre restreint de signes comme prétexte à l'ignominie verbale (voir mon billet "Ne quittons pas Twitter !" du 24 août 2919).

Contrairement à tant d'autres, je m'obstine à demeurer dans un espace qui vous rend pourtant la tolérance de plus en plus difficile, la courtoisie et la correction de la forme de plus en plus méritoires. Mais il me semble que déserter serait, sans que je surestime mon influence, laisser le champ libre à ceux qui infectent quand il faudrait être à la hauteur des formidables opportunités qu'offre Twitter, à condition qu'évidemment il s'ajoute à toutes les autres sources d'information.

Ces derniers temps j'ai remarqué l'aggravation d'un phénomène qui incite à appréhender les tweets comme l'expression achevée de la pensée, sans s'interroger sur ce qu'on a pu dire ou écrire ailleurs. L'ignorance ordurière alors s'en donne à coeur joie, vous enferme et vous disqualifie. Vous indigne. Alors on part ou on réplique.

Avec la contrainte que beaucoup de ceux qui vous descendent en flammes n'ont pas lu, ou mal lu, votre tweet ou le billet auquel il fait référence. On condamne parce qu'il est voluptueux de cracher gratuitement. L'aigreur comme mode de communication.

Avec les multiples polémiques liées au président Macron, aux Gilets jaunes, aux manifestations contre le projet de loi sur les retraites, aux violences policières sans cesse détachées de leur contexte, à la grève du personnel soignant et au fléau, maintenant, du coronavirus, il y a eu une effervescence constante et souvent passionnante sur mon compte Twitter. Je n'ai jamais éprouvé le moindre malaise face aux contradictions même les plus vives mais en revanche, confronté à plus que de la grossièreté, au demeurant réduite à elle-même, je me suis toujours contenté de relever qu'elle n'apportait rien à l'échange.

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Je récuse cette obsession de nous simplifier au tout ou rien, de nous interdire l'équité, la mesure, de stigmatiser le juste milieu qui est souvent l'attitude la plus proche de la vérité et de nous faire passer pour des "serviles", des "vendus", des "tièdes", des "indifférents" quand contre vents et marées nous persistons à ne pas laisser briser l'honnêteté par des dénonciations globales et des haines inexpiables.

Je ne me laisserai jamais contraindre à cette vision schématique des choses et des êtres et, sans présomption, il faut plus de courage pour s'en tenir à une telle attitude aujourd'hui décriée - la nuance serait détestable, analysée comme une lâcheté alors qu'elle est le signe le plus éclatant d'une intelligence et de son obligation de plénitude - que pour se livrer sans retenue à tous les extrémismes de l'idée et du verbe.

Même à l'égard de mes pires ennemis, je n'utiliserai jamais les mots, l'outrance et le vocabulaire nauséabond dont quelquefois on m'accable, moi ou ceux qu'il m'arrive de défendre. L'abjection remplace la formulation de la conviction. Parce qu'aussi la pauvreté du langage est telle chez certains que seule l'insulte y trouve sa place.

Les mêmes d'ailleurs vous reprochent de la "haine" à tout bout de champ quand par exemple on se contente de dénoncer tel ou tel comportement sur le plan politique.

Nouvelle et surprenante avancée du pire sur un autre registre.

Même de la part de relations amicales, par exemple Bruno Gaccio (BG) qui, selon lui, "en aurait chié mais pas moi", on est rejeté hors du peuple parce que nos contempteurs en seraient propriétaires. Des territoires nous seraient interdits et à la rigueur nous ne devrions les aborder qu'avec la révérence qui serait naturellement due à l'idéologie de gauche ou d'extrême gauche ! Nous n'aurions pas le droit d'intervenir sur des sujets économiques et sociaux, nous serions disqualifiés par principe puisque, paraît-il, nous serions des bourgeois.

Comme si l'essentiel était dans cette fatalité sociale et non dans l'imprévisibilité d'une liberté s'échappant de tous ces prétendus déterminismes.

Ces inquisiteurs sur Twitter savent-ils ce qu'a été ma vie et celle de ma famille ? On n'a pas à s'en vanter mais puisque des procès injustes d'exclusion me sont faits, je rappelle que je suis petit-fils de paysan et que confondre les apparences de mon présent avec l'ensemble de mon histoire est une absurdité. Je n'ai ni plus ni moins de titre que BG à user de ma liberté pour parler de tout. La compréhension de l'injustice et de la misère ne lui est pas propre et ce n'est pas parce qu'il raffole des oppositions manichéennes si confortables qu'il mérite d'être plus cru que d'autres qui, par ailleurs, ont sans doute un mode de vie moins privilégié que le sien. Et je ne songerais pas à le lui reprocher si en permanence lui et d'autres ne nous faisaient la leçon sur notre illégitimité "populaire".

Hors de question, bien sûr, de judiciariser quoi que ce soit. Au risque d'apparaître encore plus naïf qu'on me reproche de l'être, je ne vois comme remède que la résistance de la multitude de bonnes volontés qui ne veulent pas fuir Twitter mais n'acceptent pas forcément la boue qui va avec, la conjuration des esprits et des sensibilités qui n'ont pas peur d'échanger des idées, d'avoir des convictions, de les voir contredites, mais aspirent à de la décence.

Qui n'est pas le refuge des pleutres mais l'expression de l'élégance humaine et intellectuelle.


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