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Même la mort n'égalise pas !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 1/04/2020

De leur vivant les révolutionnaires et les gauchistes sont traités avec respect. On aurait pu espérer que la mort au moins égalise et qu'un traitement similaire soit octroyé à ceux qui se sont égaré. Malheureusement l'injustice continue, et le regard discriminatoire. Patrick Devedjian a droit à l'opprobre post mortem quand d'autres plus gravement dévoyés ont bénéficié d'un glissement délicat sur leurs années noires. Je ne m'habituerai jamais à ce deux poids deux mesures.

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L'extrême gauche, le trotskisme, la furie révolutionnaire, le communisme stalinien ont toujours bénéficié dans notre pays d'une aura sombre et fascinante. Sur le plan médiatique en tout cas.

L'extrême droite, en revanche une horreur.

La violence des premiers ne créait pas des victimes et des massacres, ne tuait pas des innocents mais des adversaires de classe. Elle était libératrice. Puisqu'elle était progressiste, elle avait toutes les raisons de se montrer impitoyable.

Cela peut sembler invraisemblable mais de leur vivant des destinées ayant trempé dans ces idéologies validant l'Histoire comme un bain de sang n'ont été jamais été stigmatisées comme elles auraient dû l'être. Péchés de jeunesse, l'inspiration était noble, ils voulaient le bien de tous, les principes étaient vertueux !

Non seulement tout était pardonné mais il valait mieux s'être trompé gravement, tragiquement pour avoir le droit de donner des leçons de morale politique. Les anciens communistes ou militants de la Gauche prolétarienne ont été toujours plus écoutés, avec la déférence due à ceux qui, convertis, pouvaient faire état d'expériences et de pratiques totalitaires : cela pesait un personnage !

Ceux qui ne s'étaient jamais trompés n'étaient pas drôles : on n'avait rien à leur reprocher et n'ayant jamais approuvé l'enfer, ils n'étaient pas fiables pour le dénoncer. Leur passé irréprochable ne garantissait pas leur lucidité pour le présent. Paradoxe inouï mais qu'on a pu constater assez régulièrement. Jean-Paul Sartre continue à être glorifié pour avoir eu implacablement tort face à Raymond Aron qui n'a jamais été crédité de sa lucidité sans faille.

Sartre aron

Dans les nécrologies de ces personnalités n'ayant jamais dévié, ou tardivement, de leur extrémisme de gauche, on fait référence à ces sorties de route intellectuelles, idéologiques ou, pire, opératoires, mais on passe vite à autre chose. L'essentiel de leur vie est ailleurs.

Pourquoi alors, pour Patrick Devedjian, dans les relations qu'on donne de son histoire et de son parcours, focalise-t-on plus que nécessaire sur son engagement dans le mouvement d'extrême droite Occident au sein duquel il est resté de 20 ans à 23 ans ? A lire ici ou là sa nécrologie, on est amené à se demander en effet si l'important n'a pas été cette très courte période politique et active au détriment de ce qui l'a vu par la suite s'insérer, sur un mode classique, dans des combats traditionnels et des ambitions usuelles, en partie assouvies. Fondation du RPR en 1976, maire d'Antony en 1983, député, ministre, président du conseil général des Hauts-de-Seine : il semble que pour certains cette carrière soit de peu de poids par rapport au rappel sulfureux concernant son adhésion à Occident et à une provocation ancienne continuant à agiter quelques journalistes.

Pour démontrer que cet épisode n'avait en rien marqué sa sensibilité dont la tonalité générale a été pro-européenne, sioniste et atlantiste, on peut se souvenir qu'il avait manifesté son opposition à la liste chiraco-lepéniste qui l'avait emporté en 1983 à Dreux.

Cibler sur Occident dans ces conditions revenait à réduire le récit d'une existence à une source qui n'a pas eu d'incidence sur la suite et les phases capitales d'un destin politique qui ne devenait singulier qu'à cause du caractère de celui qui en était le sujet.

De 2010 jusqu'à sa mort, après un différend tenant à sa position sur l'affaire du gang des barbares et au soutien qu'il avait apporté à Francis Szpiner, j'ai eu la chance de le rencontrer à plusieurs reprises et je n'ai ressenti face à lui que la certitude d'une intelligence libre et d'une vision politique honorablement de droite.

De leur vivant, les révolutionnaires et les gauchistes sont traités avec respect. On aurait pu espérer que la mort au moins égalise et qu'un traitement similaire soit octroyé à ceux qui se sont égaré. Malheureusement l'injustice continue, et le regard discriminatoire. Patrick Devedjian a droit à l'opprobre post mortem quand d'autres plus gravement dévoyés ont bénéficié d'un glissement délicat sur leurs années noires.

Je ne m'habituerai jamais à ce deux poids deux mesures.


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