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Quelle est la juste redevance pour l’occupation d’un équipement sportif ?

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Eve Derouesne, Laurent-Xavier Simonel, 16/05/2013

Depuis une dizaine d’années déjà, l’obligation qu’ont les collectivités publiques d’assurer une valorisation effective de leur domaine public par le biais d’une redevance adéquate laisse face à une énigme les acteurs sportifs (associations sportives, clubs sportifs professionnels ou fédérations sportives) appelés à occuper les équipements publics.
Par le passé, les collectivités publiques appliquaient une politique volontariste de valorisation de leurs équipements sportifs en privilégiant une valorisation qualitative de leur domaine, plutôt qu’une valorisation strictement économique. Retenant l’intérêt sportif et, plus largement, l’intérêt local auquel répond la présence d’une grande équipe sportive, les attentes publiques étaient minimales en termes de redevances domaniales.

Mais les collectivités ont été rattrapées par les règles de la domanialité publique, en particulier par la règle cardinale selon laquelle l’occupant doit acquitter une redevance correspondant aux avantages retirés de l’occupation. Celle-ci, loin d’être nouvelle (CE, 12 décembre 1923, Peysson, rec. p. 826 ; CE, 10 février 1978 min économie c/ Scudier, rec. p. 66), est maintenant codifiée aux articles L. 2125-1 et L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques (« CG3P »).

Une prise de conscience un peu brutale est intervenue à la suite des affaires dites « Stade de Gerland » ou « La Berrichonne » (TA Lyon, 10 mars 2005, Lavaurs, req. n° 0303726 ; TA Lyon, 13 juillet 2006, req. n° 0505880 ; CAA Lyon, 12 juillet 2007, Ville de Lyon c/ Cordier, req. n° 06LY02105 ; TA Limoges, 23 mars 2008, M. Delavergne et Mme Lajonchère c/ Commune de Chateauroux, req. n°0600970).

Trois enseignements en ont été tirés :

1) la redevance doit être fixée en tenant compte des recettes et aussi de la réalité des charges résultant de l’occupation. Ainsi, si l’entretien du stade reste à la charge de la collectivité propriétaire, les coûts correspondant doivent être défalqués de la redevance versée pour l’appréciation de la valorisation économique, à due proportion de l’occupation ou des droits de réservation accordés à l’occupant sportif ;

2) la redevance d’occupation doit être calculée pour rémunérer l’intégralité des biens publics mis à disposition et des services accessoires rendus par la collectivité à cette occasion. En effet, certaines collectivités et certaines acteurs sportifs avaient fait un premier effort en fixant une véritable redevance domaniale mais l’avait laissé inaccompli en excluant de son assiette et de son calcul certains équipements sportifs accessoires pourtant mis à disposition pour l’entraînement notamment ;

3) la règle de l’adéquation de la redevance avec les avantages retirés de l’occupation exclut que cette redevance puisse être exclusivement fixe. Si l’option d’une part fixe est retenue, elle doit être nécessairement complétée d’une part variable.

Pour autant, deux contentieux récents relatifs respectivement au stade des Alpes et au stade Roland-Garros montrent que le seul respect de ces trois principes ne suffit pas (CAA Lyon, 28 février 2013, Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n° 12LX00820 ; TA Paris, 1er mars 2013, Association du quartier du parc des Princes pour la sauvegarde de ses caractéristiques c/ ville de Paris, req . n°1200787/7-5).

Le contrôle juridictionnel sur la proportionnalité entre les avantages procurés à l’occupant et le montant de la redevance acquittée le conduit à apprécier, d’une part, l’assiette retenue pour le calcul de la part variable et, d’autre part, la réalité économique reflétée par le mécanisme de calcul de la part variable.

C’est ainsi que, par son arrêt du 28 février 2013, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé la délibération du 30 mars 2007 approuvant le projet de contrat de mise à disposition du stade des Alpes à la société Grenoble Foot 38.

La redevance annuelle d’occupation du stade des Alpes par Grenoble Foot 38 comportait une part fixe d’un montant de 500.000 euros, visant à compenser une partie des charges supportées par la collectivité pour une norme de référence de 19 matchs et une part variable. Cette part variable comprenait un montant par match supplémentaire au delà de la norme, du 1/19ème de la part fixe. En plus, pour cette même part variable, si la moyenne de fréquentation au cours de l’année précédente avait été supérieure à 8.000 places, l’occupant devait entre 5 % et 30 % des recettes de billetterie en fonction de cette fréquentation moyenne. Ainsi, la redevance pouvait atteindre 1.200.000 euros par an si le club dépassait les 80 % de remplissage du stade.

La censure de la cour résulte de l’assiette retenue pour la part variable qui ne tient compte que des recettes de billetterie, sans intégrer les autres ressources perçues par le club grâce à son occupation domaniale, en particulier les recettes tirées des ventes des produits dérivés aux spectateurs ou de la location des emplacements publicitaires.

Au même moment, la fédération française de tennis (FFT) et la ville de Paris ont connu les effets de ce contrôle de plus en plus étendu du juge administratif sur l’adéquation de la redevance avec les avantages retirés par l’occupant.

La nouvelle convention « Roland-Garros » prévoyait que, de l’entrée en vigueur de la convention à la mise en exploitation des éléments essentiels du projet (soit la couverture du court Philippe Chatrier, la réalisation du centre national d’entraînement et le centre médical), la FFT verserait à la ville de Paris 2 % de la part de son chiffre d’affaires hors-taxes allant jusqu’à 150 millions d’euros et 4 % de la part de ce même chiffe d’affaires excédant ce montant. La convention stipulait qu’à compter de la mise en exploitation de tous les éléments essentiels du projet, ces taux seraient portés respectivement à 3 % et à 6 %.

Or, par un jugement du 1er mars 2013, le tribunal administratif de Paris a jugé que les taux de redevance fixés dans la convention n’avaient pas été évalués à la hauteur des avantages substantiels nouvellement consentis à la FFT et que, dès lors, ces taux étaient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.

Certes, le jugement relève que le montant de la redevance dû par la FFT a été significativement augmenté par rapport à la redevance antérieurement acquittée et que cette redevance variable est calculée sur une assiette suffisamment large puisque - contrairement à l’hypothèse du stade de Alpes - la convention litigieuse intégrait dans l’assiette de la redevance l’ensemble des recettes générées par l’occupation, en appréhendant toutes les recettes tirées de l’organisation des Internationaux de France de tennis (y compris les droits télévisuels perçus par la FFT).

La solution contentieuse peut apparaître sévère et pose question, notamment parce que la critique de la convention est fondée sur des considérations étrangères au point précis du montant de la redevance (en particulier, celles du risque financier supporté par la collectivité du fait de la garantie des emprunts ou, encore, de la durée jugée extraordinairement longue de la convention). Quoiqu’il en soit, ce jugement permet de tirer trois enseignements, plus ou moins explicites.

En premier lieu, la clause de redevance domaniale doit prévoir une formule de révision périodique du taux de la redevance, en particulier lorsque le contrat prévoit une durée d’occupation longue.

En deuxième lieu, le montant de la redevance ne doit pas être trop aléatoire, comme dans la convention litigieuse où la clause de redevance ne prévoyait ni part fixe ni montant minimal garanti.

En effet, lorsque la collectivité supporte pour la mise à disposition des charges lourdes résultant soit de l’extension de la parcelle, soit de la destruction d’équipements qui ne seront pas remplacés, une part fixe suffisante assurant la contrepartie de ces charges ou pertes de la collectivité, doit être prévue.

L’on peut se hasarder à penser que le tribunal administratif de Paris a pu être sensible à l’importance du seuil de déclenchement pour l’application du taux supérieur de la part variable car, en dessous de ce seuil, la part variable revenant à la collectivité est vraiment plus faible du fait du taux inférieur applicable (réduit de moitié). Le tribunal pourrait ne pas avoir été convaincu que la clause de redevance telle qu’elle était stipulée permettrait ainsi à la collectivité de percevoir effectivement une juste redevance domaniale. Il faut en retenir que n’est pas critiquable en lui-même un mécanisme de calcul de la redevance domaniale réservant à la collectivité un pourcentage du chiffre d’affaires de l’occupant sur l’assiette constituée au delà d’un seuil, avec une protection au profit de l’occupant du chiffre d’affaires en deçà. Mais que la formule encourt la critique lorsqu’elle est purement théorique et que l’on peine à démontrer la plausibilité de sa mise en œuvre effective.

En troisième lieu, le montant de la redevance ne se fixe pas, par une dérive d’ordre fiscal, « en fonction des capacités contributives de l’occupant ».

Assurément, le débat sur la juste redevance due pour l’occupation d’un équipement sportif est loin d’être achevé et si les données de l’énigme évoluent, sa résolution n’en devient pas plus aisée pour les opérateurs publics et privés du monde sportif …


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