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La condition juridique des météorites

Le blog Dalloz - bley, 22/02/2013

Le 15 février 2013, une pluie de météorites s’abattait sur la ville de Tcheliabinsk (Russie) et ses alentours. Que des météorites s’échouent sur Terre n’est, certes, pas rare (10 000 à 100 000 tonnes de météorites tomberaient ainsi annuellement sur la planète). Mais, alors que le phénomène passe généralement inaperçu (soit que les météorites parviennent jusqu’au sol terrestre à [...]

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Milky WayLe 15 février 2013, une pluie de météorites s’abattait sur la ville de Tcheliabinsk (Russie) et ses alentours. Que des météorites s’échouent sur Terre n’est, certes, pas rare (10 000 à 100 000 tonnes de météorites tomberaient ainsi annuellement sur la planète). Mais, alors que le phénomène passe généralement inaperçu (soit que les météorites parviennent jusqu’au sol terrestre à l’état de simples poussières, soit encore qu’elles tombent dans les mers ou les océans ou dans des régions inhabitées), la pluie survenue au-dessus de Tcheliabinsk devait largement marquer les esprits, en raison des dommages par elle générés (plus d’un millier de blessés, et des dizaines de millions d’euros de dégâts matériels ; V. S. Foucart et P. Smolar, L’Oural frappé par une pluie de météorites, Le Monde, 15 févr. 2013). Reste que, nonobstant le caractère tout à fait singulier de l’évènement, d’aucuns ne devaient pas perdre le sens des affaires, et pour cause : « quelques heures après les premiers émois causés par l’intrusion céleste, des petits malins ont mis en vente sur internet des “débris de météorite” » (M. Jégo et S. Foucart, Météorites : la Russie toujours sous le choc, Le Monde, 16 févr. 2013). Peut-être – probablement… – ces prétendus débris de météorite ne sont-ils en réalité, pour la plupart, que de vulgaires cailloux terrestres. Cela, pour autant, n’interdit pas de se poser très prosaïquement cette question : a-t-on le droit de vendre des météorites ?

La réponse à cette interrogation est, bien évidemment, à chercher dans le droit de l’espace (un droit dont l’édification est devenue nécessaire à compter de 1957, avec la mise en orbite du satellite russe Spoutnik ; V. P.-M. Martin, Le droit de l’espace, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, p. 8 ; adde, cette remarque de Carbonnier [Droit civil, t. 2, Les biens. Les obligations, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 2004, no 708, p. 1596], précisément à propos de l’avènement du droit de l’espace : « où ne montera pas le droit ? »). À cet égard, ce sont deux textes fondamentaux qu’il convient de prendre en compte : tout d’abord, le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, du 27 janvier 1967 ; ensuite, l’Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes du 5 décembre 1979. Le Traité sur l’espace, pour sa part, affirme (art. II) que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale », étant précisé, à la suite d’un auteur, que l’adjectif « nationale », tel qu’il est dans ce cadre employé, pour viser les États, concerne encore « l’ensemble de la communauté, y compris les citoyens » (A. Kerrest, Le principe de non-appropriation et l’exploitation de la Lune et des autres corps célestes, in P. Achilleas (dir.), Droit de l’espace, Larcier, 2009, p. 341, spéc. p. 350), quand l’Accord sur la Lune, lui, et en plus de réitérer le principe de non-appropriation posé par le Traité sur l’espace (art. 11-2 ; V. aussi art. 11-3, les ressources naturelles se trouvant sur la Lune « ne peuvent [pas] devenir la propriété d’États », pas plus que de quelconques « organisations » ou « personnes physiques »), qualifie la Lune et ses ressources naturelles de « patrimoine commun de l’humanité » (art. 11-1). Toutes considérations qui mènent donc à celle-ci : la Lune et les autres corps célestes (et, un corps céleste, la météorite en est un ; ce corps céleste s’appelle plus précisément météroïde quand il évolue dans l’espace, le terme météorite désignant le fragment restant de ce corps lorsqu’il percute le sol – terrestre ou autre) sont des choses communes, en cela rétives à toute appropriation (V. A. Kerrest, art. préc., p. 343-344 ; M. Jacquelin, La Lune, miroir des tentations : les réponses du droit à la science-fiction, in P.-J. Delage (coord.), Science-fiction et science juridique, IRJS Éditions, coll. « Les voies du droit », 2013, à paraître ; adde, C. civ., art. 714).

De telle sorte qu’on pourrait être tenté de conclure à l’impossibilité pour quiconque de vendre (et, en amont, de se rendre ou prétendre propriétaire d’) un ou plusieurs corps célestes, la qualification de res communis que prête le droit international à ces mêmes corps s’y opposant rigoureusement (c’est ainsi que, à tout citoyen français qui serait tenté d’acquérir, auprès de la Lunar Embassy, un lopin de terre sur la Lune, Mars ou Vénus, il faudra répondre que le contrat de vente sera nul, pour cause d’objet illicite – car « sont hors commerce les choses inappropriables telles que les choses communes », M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. « Thémis droit », 3e éd., 2012, p. 388 ; rappr., pour le rejet, toutefois fondé sur des purs motifs de procédure, de la revendication par un plaideur québécois de la propriété de plusieurs planètes du système solaire, C. Kleitz, Le plaideur quérulent à l’assaut de la galaxie, Gaz. Pal., 7-8 mars 2012, p. 3).

Et, cependant, l’on peut bien vendre, sur Ebay ou ailleurs, des météorites. La justification s’en trouve dans l’article 1er de l’Accord sur la Lune : un article qui, d’une part, précise (al. 1) que ses dispositions, applicables à la Lune, le sont également (à l’exception de la Terre) aux autres corps célestes (ce qui inclut ce faisant les météorites, qu’elles soient lunaires ou non) ; et qui, d’autre part, stipule (al. 3) que « Le présent Accord [en ce compris le principe de non-appropriation posé par lui, V. supra] ne s’applique pas aux matières extra-terrestres qui atteignent la surface de la Terre par des moyens naturels ». En clair, originellement et principiellement chose commune (i. e. quand elle est encore à l’état de météroïde, V. supra), la météorite peut exceptionnellement devenir chose sans maître (res nullius) si elle vient à s’échouer sur Terre, et alors être objet d’appropriation (la référence textuelle faite aux « moyens naturels » paraît en revanche exclure – et, donc, maintenir dans le statut de chose commune – les ressources naturelles lunaires ramenées sur Terre par l’homme – ce qui, pourtant, ne semble pas avoir empêché la NASA de déclarer « bien national » certains échantillons lunaires ramenés par l’une des missions Apollo…).

À qui trouve, donc, par exemple, sur son terrain une météorite (ainsi le cas de… Mme Comette !, V. Le Parisien, 9 oct. 2011), il est parfaitement possible de la vendre (les météorites lunaires ou martiennes, très rares, sont les plus prisées), l’intéressé étant, en effet devenu propriétaire de celle-ci par accession. Tout au plus convient-il d’ajouter (et pour désormais s’en tenir à la seule situation d’une météorite tombée sur le sol français) que la qualification de trésor (C. civ., art. 716.) ne semble pas pouvoir s’appliquer à la météorite : elle est, bien sûr, exclue à chaque fois que la découverte n’est pas le fait du hasard (il existe, à ce titre, des chasseurs de météorites – qui, eux, se les approprient par occupation ; P. Jolly, Chasseurs de météorites, Le Monde, 20 oct. 2000) mais la qualification doit encore être écartée pour cette raison que, même si celle-ci s’est perdue « dans la nuit du passé » (Carbonnier, op. cit., no 904, p. 1889), une propriété originelle est toujours nécessaire au trésor (or, tant qu’elle évolue dans l’espace extra-atmosphérique, la météorite ne peut avoir de propriétaire, puisque chose commune ; bref, c’est dire que la seule hypothèse – d’école ? – où le qualificatif de trésor pourrait trouver à s’appliquer serait celle d’une météorite tombée sur Terre, cachée ou enfouie par son premier propriétaire, puis découverte plus tard et par hasard par un quidam). En conséquence de quoi, le régime applicable à la météorite semble bien davantage devoir s’aligner sur celui des fouilles archéologiques et découvertes fortuites d’objets pouvant intéresser l’histoire ou l’art (C. patrim., art. L 531-1 s. et L 531-14) : un régime qui peut autoriser l’État à se voir confier l’objet mobilier découvert pendant le temps nécessaire (qui ne peut dépasser 5 ans) à son étude scientifique, sinon même à revendiquer cet objet – sorte d’« expropriation pour cause d’utilité (scientifique) publique » (Carbonnier, op. cit., no 904, p. 1890) – mais moyennant alors indemnité (C. patrim., art. L 531-16 ; adde, sur le site du CNES, Un casse-tête spatial).

Pierre-Jérôme Delage
Doctorant, Université de Limoges


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