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Le délit de « violation du secret des affaires »

Le blog Dalloz - bley, 27/02/2012

Après avoir été votée par les députés, la proposition législative de Bernard Carayon est présentée en première lecture au Sénat. Cette réforme qui prévoit la reconnaissance d’un nouveau délit pénal permettrait de mettre un terme au débat jurisprudentiel et doctrinal relatif à la notion, jusque-là peu précise, du « secret des affaires ». Le concept de secret [...]

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Après avoir été votée par les députés, la proposition législative de Bernard Carayon est présentée en première lecture au Sénat. Cette réforme qui prévoit la reconnaissance d’un nouveau délit pénal permettrait de mettre un terme au débat jurisprudentiel et doctrinal relatif à la notion, jusque-là peu précise, du « secret des affaires ». Le concept de secret des affaires est inexistant en droit français. La difficulté consistant à délimiter les contours de cette notion réside dans le fait qu’elle semble intégrer plusieurs concepts tels le secret professionnel, le savoir-faire, le secret de fabrication ou les informations à caractère confidentiel.

En tout état de cause, le secret des affaires recouvre « l’ensemble des biens informationnels ou immatériels de l’entreprise, couverts par la confidentialité par le biais de mesures appropriées en vue de les tenir secrets, et dotés d’une valeur économique substantielle », comme l’envisage l’article 39.2 du Traité ADPIC (accords internationaux sur la protection des droits intellectuels), et ce, « indépendamment du caractère protégeable ou non de ces informations par un droit de la propriété intellectuelle » selon la précision apportée par le professeur Galloux (J.-C. Galloux, Ébauche d’une définition juridique de l’information, D. 1994. Chron. 229).

À titre d’exemple, les fichiers fournisseurs et/ou clients, les organigrammes, les procédés de fabrication, les informations de stratégie économique, les savoir-faire, les recettes, les méthodes de commercialisation, les informations financières et les accords économiques secrets répondent à cette définition. Ces biens immatériels présentent un intérêt économique manifeste constituant la propriété de chaque entreprise, permettant une distinction avec les concurrents tout en exerçant une activité économique sur un marché défini.

Néanmoins, notre système législatif ne prévoit aucune sanction spécifique attachée à la violation du secret des affaires. C’est pourquoi les tribunaux se sont efforcés de circonscrire le fondement juridique le plus approprié pour appréhender cette notion.

Ayant été originellement enclin à une qualification de « vol de données dématérialisées », la jurisprudence a tranché en faveur de « l’abus de confiance », qui, selon l’article 314-1 du code pénal, « consiste dans le détournement ou la dissipation, frauduleusement commis, de choses remises au délinquant, à charge pour lui de les rendre ou représenter ou d’en faire un emploi déterminé ».

Il a toujours été entendu que la « chose remise » envisagée à l’article 314-1 était un bien corporel. Cependant, dans l’hypothèse d’une violation du secret des affaires, le bien remis est une information immatérielle.

Afin de pallier cette difficulté, le tribunal correctionnel de Versailles, dans un jugement Valéo du 18 décembre 2007, suivi par le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand, dans une affaire Michelin du 21 juin 2010, ont tous deux élargi la notion d’abus de confiance afin d’y intégrer le détournement de données confidentielles.

En dépit de cette avancée significative, la solution dégagée par la jurisprudence de manière quelque peu artificielle n’est pas entièrement satisfaisante. C’est la raison pour laquelle, le projet de loi présenté par M. Carayon prévoit l’ajout d’un article 325-3 au code pénal créant un délit de « violation du secret des affaires ». La sanction envisagée pour ce délit est de trois ans de prison et de 375 000 € d’amende.

Le texte vise les informations de nature « commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique ne présentant pas un caractère public » dont la divulgation pourrait « compromettre gravement le potentiel scientifique et technique, les positions stratégiques, les intérêts commerciaux ou financiers ou la capacité concurrentielle [de l’entreprise] ». Ces dernières devront, par conséquent, identifier les documents concernés en y apposant par exemple un cachet portant la mention « secret ».

La confidentialité de ces informations serait néanmoins relative car le projet de loi précise que le « secret des affaires » ne pourra pas être opposé aux juges, à la police, aux douanes ou à une autorité administrative telle l’Autorité de la concurrence ou la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

Le secret des affaires serait également inopposable aux tiers dans plusieurs hypothèses. Ainsi, le secret pourra être levé si le juge considère qu’il n’est pas justifié ou que sa révélation n’est pas de nature à nuire « gravement » à l’intérêt de l’entreprise. Le secret sera également écarté dans les hypothèses d’une dissimulation d’un manquement à la loi ou à un règlement. Enfin, la confidentialité sera levée, si, dans le cadre d’une procédure judiciaire en diffamation, le document est présenté par le prévenu dans le but d’assurer sa défense.

Les articles ainsi rédigés dans la proposition de loi discutée au Sénat constitueraient donc un socle législatif efficace permettant une meilleure protection du secret des affaires. Cependant, pour en bénéficier, les entreprises devront être sensibilisées, en amont, à l’intérêt de la confidentialité de leurs données.

Antoine Cheron
Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles, ACBM avocats


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