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L’innocence judiciaire, Dominique Inchauspé

Le blog Dalloz - bley, 19/11/2012

« Dans un procès, on n’est pas innocent, on le devient ». Le sous-titre du dernier livre de Dominique Inchauspé, avocat pénaliste parisien, donne immédiatement le ton de cet ouvrage qui se veut à la fois instructif, pédagogique et réflexif. En réalité, il avait été publié une première fois en 2001 ; mais, dix ans après, une réédition [...]

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« Dans un procès, on n’est pas innocent, on le devient ». Le sous-titre du dernier livre de Dominique Inchauspé, avocat pénaliste parisien, donne immédiatement le ton de cet ouvrage qui se veut à la fois instructif, pédagogique et réflexif. En réalité, il avait été publié une première fois en 2001 ; mais, dix ans après, une réédition s’imposait. Depuis le temps, remarque Dominique Inchauspé, « le pénal s’est dilaté : détenus, prisons, fichiers, tribunaux, droit en France et en Europe, tout semble en perpétuelle expansion ». On parle à présent de la rétention de sûreté, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, on discute de la garde à vue, du maintien du juge d’instruction. Et puis, bien sûr, l’affaire The people of the state of New York against Dominique Strauss-Kahn est passée par là.

Au début, le concept même d’innocence judiciaire étonne. Puis, finalement, il s’impose au fil de la lecture. Car c’est bien là le tour de force de ce livre : persuader progressivement qu’entre l’innocence et l’innocence judiciaire, il y a sans doute un écart important, insoupçonné. Ce sont ainsi les rapports qu’entretient la vérité avec le procès qui sont au cœur de ces développements, si l’on entend évidemment le procès plutôt dans un sens très large, c’est-à- dire débutant à compter de l’enquête, ou du moins de la constatation, par l’autorité, de ce qu’un délit ou un crime a été commis. La problématique de cette « substitution vérité vraie/vérité judiciaire » (p. 179) est connue de l’auteur, qui publiait récemment un ouvrage spécialement consacré à l’erreur judiciaire (V. sur ce blog, T. de Ravel d’Escaplon, Lectures d’été…, sept. 2011), et qui, auparavant, s’était intéressé à l’affaire Sirven (D. Inchauspé, L’intellectuel fourvoyé. Voltaire et l’affaire Sirven, Albin Michel, 2004). L’innocence judiciaire devient alors un concept autonome, laquelle se distingue en deux notions (p. 193) : « l’innocence judiciaire absolue » (la relaxe) et « l’innocence judiciaire modulée » (condamnation finale plus légère que laissaient supposer les charges retenues contre la personne mise en examen).

Les premières pages confrontent immédiatement le lecteur à ce rapport subtil à travers le prisme de la notion de présomption de culpabilité. La présomption d’innocence ne serait qu’une pétition de principe en droit français, une idée fausse (p. 14). Elle ne servirait qu’« à dissimuler au public le fait que la justice pénale vous présume coupable » (p. 19). Il est vrai que le droit de la procédure pénale et, notamment, les dispositions encadrant la détention provisoire ne contribuent pas à ce que l’on considère le mis en examen comme réellement innocent. De plus, la reconnaissance de la présomption d’innocence et des droits de la défense n’a pas été facile en France, ces derniers ne disposant pas, et c’est bien dommage, « d’un codex explicite et exhaustif » (p. 32). Il n’y a guère qu’au niveau européen que les droits de la défense bénéficient d’un traitement favorable. La situation est d’autant plus critiquable que des pays voisins font mieux, Grèce, Portugal et Allemagne en tête. Cette présomption de culpabilité concourt, dans une plus large mesure, à cette idée importante de l’ouvrage, celle d’« une défense mal ancrée ». Le constat est quelque peu effrayant quand l’on connaît le revers concret de la médaille. À cet égard, les pages consacrées aux premiers instants en prison sont saisissantes. La description est précise, presque clinique, et les développements ne versent ni dans la critique systématique, certainement contreproductive, ni dans l’angélisme. Une fois encore, ils donnent la mesure de ce que « la prison est un étouffoir, un engourdissement de la personnalité » (p. 163).

Le livre de Dominique Inchauspé se révèle également pédagogique. Le Béotien de la procédure pénale y trouvera une présentation particulièrement didactique des principaux acteurs et mécanismes de la répression : enquête, information, rôle et importance du juge d’instruction, jusqu’aux arcanes du droit pénitentiaire et des mécanismes de réduction de peine. C’est aussi l’occasion pour l’auteur de revenir sur certaines affaires démontrant toute la spontanéité de la matière pénale et de faire ressortir la spécificité des délits financiers.

L’innocence judiciaire repose surtout sur une plongée au cœur du procès anglo-saxon. Les procédures pénales anglaise et nord-américaine sont étudiées avec soin, là encore, sans caricature. L’expression « au-delà d’un doute raisonnable » est longuement analysée, tout comme ses effets pervers (« La justice n’en finit pas de vouloir démontrer que l’accusé est coupable », p. 331). L’on découvre des notions avec lesquelles le juriste français est peu familiarisé comme le speedy trial et le time limit (p. 338). Les défauts du système sont également pointés, ainsi qu’en témoignent les trop nombreuses erreurs judiciaires que connaissent ces pays.

Le plus étonnant est sans doute cette conception américaine très particulière de la communication des pièces entre les parties. Celle-ci n’est absolument pas de règle. Les déboires de Dominique Strauss-Kahn aux États-Unis, qui constituent la dernière partie de l’ouvrage, illustrent bien cette réalité. Les analyses de l’affaire ont été légion depuis un an, mais celle de Dominique Inchauspé dénote par ses conclusions stimulantes. Elle met notamment l’accent sur ce que n’est pas nécessairement la justice américaine (p. 444) : DSK aurait bénéficié d’une bonne communication entre le procureur et ses avocats, ce qui est loin d’être toujours le cas. Le recours à la procédure de discovery est souvent nécessaire.

Qu’elle emprunte le chemin du droit américain, anglais ou français, l’innocence judiciaire est finalement une réalité bien tangible qui se distingue de l’innocence au sens strict. L’excellent livre de Dominique Inchauspé permet de se convaincre de ce que la vérité, si elle est sans doute l’objectif ultime, demeure difficile à atteindre.

Thibault de Ravel d’Esclapon
Chargé d’enseignement à l’Université de Strasbourg, Faculté de droit – Centre du droit de l’entreprise

Dominique Inchauspé, L’innocence judiciaire, PUF, coll. « Questions judiciaires », 2012.


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