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Football féminin : il faut lever le voile !

Le blog Dalloz - bley, 25/07/2012

Je suis contre le foulard religieux obligatoire pour les femmes et ce, d’où que l’obligation vienne. Je suis contre, quelle que soit la religion qui imposerait ce foulard. C’est un « je » politique et philosophique qui peut paraître déplacé dans une tribune juridique mais il est indispensable pour discuter d’un sujet aussi sensible que celui du [...]

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Je suis contre le foulard religieux obligatoire pour les femmes et ce, d’où que l’obligation vienne. Je suis contre, quelle que soit la religion qui imposerait ce foulard.

C’est un « je » politique et philosophique qui peut paraître déplacé dans une tribune juridique mais il est indispensable pour discuter d’un sujet aussi sensible que celui du voile islamique. Ce « je » libère la critique juridique. Il permet, sans craindre d’être mal compris, d’appréhender les ressorts purement juridiques de la récente décision de l’International football association board (IFAB), plus communément appelé le Board, d’autoriser le « port du foulard » en compétition pour les joueuses de football.

On pensait pourtant que la neutralité politique et religieuse constituait un principe absolu de la lex sportiva. La charte olympique, dans son article 51, n’interdit-elle pas dans un même mouvement « toute forme d’annonce publicitaire » et toute « sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale » ?

En réalité, ce principe de neutralité religieuse est très relatif dans la norme sportive.

Premièrement, la charte olympique, bien qu’elle s’institue comme une sorte de norme fondamentale du sport, laisse à chaque fédération sportive internationale « son autonomie dans l’administration de son sport » (règle 26). Or la FIFA, fédération internationale en charge du football, administre son sport par l’intermédiaire, entre autres, des lois du jeu qui sont justement édictées par le Board. Et ces lois du jeu ont toujours présenté une conception assez limitée de la neutralité du football. Prise à la lettre avant la toute dernière réforme, la loi 4 n’interdisait pas les signes religieux ou les démonstrations religieuses. Elle interdisait les « inscriptions » et les « slogans » (slogans or statements). A litera le foulard islamique, signe religieux sans être une inscription religieuse, n’était donc pas expressément interdit. C’est d’ailleurs à raison de cette lecture stricte que les footballeurs qui prient avant le coup d’envoi, se signent en rentrant sur la pelouse ou implorent le ciel en levant les bras après avoir marqué un but n’ont jamais été sanctionnés.

Deuxièmement, la charte olympique, et ce que l’on croyait être un principe général de la lex sportiva, n’a jamais pesé très lourd face aux pressions politiques lorsqu’elles s’accompagnaient de fortes implications économiques. Dès 1996, le CIO (Comité international olympique) cède à la pression de l’Iran et autorise une athlète revêtue d’une « tenue islamique » à concourir pour les Jeux d’Atlanta. Le mouvement est en marche. Les droits audiovisuels que les grands réseaux satellitaires des pays du Golfe et du Maghreb achètent aussi à des tarifs non négligeables, le sponsoring des entreprises du Moyen-Orient, l’attribution de grandes compétitions sportives à des pays où l’islam est religion d’État, tout cela fait que le mouvement ne s’arrêtera pas. Ainsi, depuis 1996, nombre de délégations nationales demandent à leurs sportives de revêtir des tenues officielles « conformes à la religion » ; au moins pour les défilés olympiques, souvent aussi pour les épreuves.

La neutralité religieuse des Jeux est à vrai dire une antienne décatie : voilà une affirmation juridique.

Sur le plan politique, si l’on veut juger de la sincérité du CIO, il suffit de tracer une ligne de perspective entre, d’un côté, la sanction ayant frappé le poing levé de Tommie Smith et John Carlos et, de l’autre, les efforts pathétiques déployés pour interdire aux athlètes d’utiliser Twitter et Facebook pendant les Jeux de Londres au prétexte que cela risquerait de porter atteinte au programme de sponsoring.

Revenons à la FIFA pour remarquer, même si l’on doit lui reconnaître une résistance plus grande, qu’elle aussi a cédé à ces pressions.

Parce que la FIFA avait exclu deux fois l’équipe féminine de football d’Iran dont les joueuses s’étaient présentées intégralement couvertes à des compétitions officielles qualificatives pour les JO, la confédération asiatique de football avait mandaté le prince Ali Bin al Hussein de Jordanie, l’un des six vice-présidents de la FIFA, pour obtenir du Board l’autorisation expresse du foulard par les lois du jeu.

Pour la réussite de son entreprise, il lui fallait « neutraliser » ce foulard. C’est la raison pour laquelle, au terme d’un « séminaire de travail » organisé à Amman en octobre 2011, il fut acté que le foulard islamique (hijab) « n’est pas un signe religieux mais un signe culturel ». Une fois cette conclusion approuvée par la commission exécutive de la FIFA réunie à Tokyo en décembre 2011, il fallait faire admettre par le Board un modèle de foulard avec ouverture à velcro (la loi 4 du football doit garantir, en effet, que les équipements portés par les joueuses sont conformes aux exigences de sécurité). La chose fut faite, à l’unanimité des membres (les quatre associations nationales britanniques de football et quatre membres désignés par la FIFA), le 3 mars 2012 lors de la cent vingt-sixième assemblée générale du Board. Ce vote unanime avait d’ailleurs été fortement encouragé par Wilfried Lemke, conseiller spécial « sport » auprès du secrétaire général des Nations unies, qui avait rendu publique la veille de la réunion une lettre dans laquelle il expliquait au président de la FIFA que l’autorisation du hijab participait du « but n° 3 » du End Poverty 2015 Millennium Development Goal de l’ONU (promotion de l’égalité des genres et de l’autonomie des femmes) et s’inscrivait dans le fil de l’article 1er de la charte internationale pour l’éducation physique et le sport (droit au sport pour tous).

Il ne restait plus qu’à faire voter l’autorisation du foulard ce qui fut justement obtenu lors d’une réunion exceptionnelle du Board organisée le 5 juillet 2012.

Techniquement, l’autorisation, dont la transcription dans le texte des lois du jeu n’a pas été encore publiée, est une autorisation « à l’essai ». D’une part, le Board souhaite se laisser un peu de temps pour définir et confirmer le design, la couleur et la matière autorisés pour la confection du foulard. D’autre part, conscient qu’aucune littérature médicale concernant des blessures dues au port d’un foulard n’existe, le Board souhaite pouvoir examiner de nouveau la question lors de son assemblée générale en 2014.

Au demeurant, on ne sait toujours pas la marge de manœuvre exacte qui sera laissée aux fédérations nationales. Devront-elles obligatoirement autoriser le foulard ou disposeront-elles d’une faculté leur permettant de choisir entre l’autorisation et l’interdiction ?

Devançant l’inscription dans la loi du jeu, la Fédération française de football (FFF) a immédiatement réagi, en publiant un communiqué par lequel elle affirmait sa volonté d’interdire le port du voile aux joueuses participant aux sélections françaises envoyées dans des compétitions internationales et à toutes les joueuses participant aux compétitions nationales organisées sous son égide.

Pour justifier sa décision, la FFF a souhaité « rappelle[r] son souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays et qui figurent dans ses statuts ».

L’argument juridique ainsi brandi n’est qu’à moitié vrai. Certes, les statuts de la FFF sont extrêmement clairs et, à ce titre, bien plus stricts que les lois du jeu puisque leur article 1er dispose que « Tous discours, manifestation ou affichage à caractère politique, syndical ou confessionnel est interdit à l’occasion des matchs ».

En revanche, il est faux de dire que « les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays » impliquent une interdiction du voile sur les terrains de football. C’est méconnaître ces principes que d’affirmer cela. En effet, le principe français de laïcité implique une neutralité confessionnelle de l’État qui, sans favoriser le moindre culte, doit respecter la liberté de conscience de tous les citoyens et, partant, leur liberté de pratiquer une religion. Ce qui fait, par exemple, qu’un agent de l’État ne peut exprimer ses convictions religieuses dans l’exécution de sa fonction publique alors que l’usager des services de l’État le peut.

Dans le cadre de sa délégation de service public, la FFF doit se conformer à cette neutralité étatique et ne peut, sur le fondement du principe de laïcité, interdire le voile islamique aux compétitrices. Si elle n’avait été tenue que par le droit associatif, elle aurait sans restriction pu prendre prétexte d’une conception propre (et très active) de la laïcité pour interdire le voile à ses adhérentes, mais la délégation ministérielle la contraint. Ce que lui permet en revanche cette délégation, c’est d’interdire le voile sur la base d’une acception française de la sécurité des pratiquantes (la sécurité entre dans ses missions de service public), acception plus rigoureuse que celle de la FIFA qui admet que les fédérations nationales puissent aménager les règlements mondiaux aux particularités du pays.

L’argument juridique mis en avant par la FFF est, par conséquent, critiquable et masque en réalité mal le socle politique de la décision : avant même que la FIFA ne transcrive l’autorisation décidée, la FFF fait pression sur elle pour qu’une marge de manœuvre soit accordée aux fédérations nationales.

Il faut dire que la question est politiquement très délicate car aucun des arguments qui s’opposent n’emporte une pleine conviction. Que vaut-il mieux, en effet, entre, d’un côté, interdire aux femmes voilées de participer à des compétitions sportives de sorte qu’elles ne soient pas, éventuellement malgré elles, les vecteurs d’un prosélytisme religieux condamnable et, de l’autre, les autoriser à venir en voile de sorte qu’elles se confrontent à celles qui profitent d’une réelle liberté et puissent éventuellement se rendre compte de leur joug ? Que vaut-il mieux entre empêcher le vecteur d’un communautarisme contraire au principe d’universalité du sport et autoriser le foulard à des pratiquantes qui, sans lui, ne pourrait pratiquer ?

Il y a peut-être une solution à ce dilemme politique. Une solution qui grandirait les instances mondiales du sport. Elles devraient, d’un côté, autoriser le foulard (en tout cas un modèle qui ne diminue pas la performance sportive car le droit à la performance participe de l’égalité des genres) et, de l’autre, insister de manière beaucoup plus affichée sur une réalité : si un foulard peut évidemment être esthétique, il est ignoble lorsque, imposé par une culture, par une religion ou par une personne, il ne sert qu’à signifier l’infériorité de celle qui le porte.

Jean-Michel Marmayou
Maître de conférences (HDR) à l’Université d’Aix-Marseille – Directeur du Master professionnel de droit du sport
Centre de droit économique (EA4224)


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