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Procédure 2012/01 (3e partie)

Journal d'un avocat - Eolas, 10/02/2012

Vendredi, 8h25. Point de vue de l’avocat.

NdA : Pour des raisons d’intelligibilité, les pensées du Chef Tinotino sont en bleu gendarmerie, celles du narrateur restant en noir comme sa robe et son âme.
Zut zut zut, le téléphone qui sonne sur le chemin de l’école, et c’est la sonnerie des gardes à vue, pas moyen de ne pas décrocher.

— Maître Eolas, j’écoute.
— Bonjour Maître, permanence du barreau. Je vous appelle pour une garde à vue à la brigade territoriale de Mordiou Sur Armagnac.
— Oui, un instant je vous prie. (Je lâche la main de ma fille sans la perdre des yeux pour autant, extirpe d’une poche le petit carnet et le stylo qui ne quittent jamais l’avocat prévoyant, et je bénis l’inventeur des écouteurs pour téléphone). Je vous écoute.
— Alors l’adresse de la Brigade est 5 rue du Général Mignaux ; le numéro de téléphone est le 19-94-0-18-13-24-32-49-26-24-40-4-16-70933-16 moins 4, attention y’a un piège, là ça fait 12(*) ; le nom de l’OPJ est le maréchal des logis chef Tinotino, le nom du gardé à vue est André Biiip, c’est un majeur, première heure, début de garde à vue à 7h30.
— Deux i ou trois i à Biiip ?
— Trois i.
— Merci, c’est noté.
— Bon courage, Maitre, au revoir.

Le temps de laisser ma fille à l’école élémentaire Cesare Beccaria, et j’appelle la Brigade Territoriale de Mordiou. Une tonalité de sonnerie et je bascule sur la musique d’attente. Vivaldi, bien sûr. Ah, ça décroche.

— “Gendarmerie de Mordiou sur Armagnac, bonjour.
— Bonjour, Maitre Eolas, avocat de permanence. J’ai été appelé pour une garde à vue concernant monsieur André Biiip ; je voulais savoir s’il était disponible pour l’entretien et quand l’OPJ comptait procéder à une audition.
— Ne quittez pas, je vais voir. Vous m’avez dit André Biip ?
— Non, Biiip, avec trois i. C’est le chef Tinotino qui est en charge du dossier.
— Ne quittez pas.
(Les Quatre Saisons de Vivaldi, 2e concerto, l’été, 3e mouvement. Je ne m’en lasse pas. Mais un peu quand même.)
— Maréchal des Logis Chef Tinotino, bonjour, maître.
— Bonjour Chef. Je vous appelle au sujet de la garde à vue de monsieur André Biiip, je voulais savoir s’il était disponible ?
— Absolument, vous pouvez venir.
— Il n’a pas demandé à voir un médecin ?
— Non, et il n’y avait aucun motif pour que nous demandions d’office un examen médical, il est en bonne santé.
— Vous comptez procéder à l’audition dans la matinée ?
— Oui, le plus tôt sera le mieux. Dans la foulée de l’entretien, si cela vous convient.
Et comment que ça me convient.
— C’est parfait, je me mets en route, je suis à Castel-Pitchoune, je suis chez vous dans trois quart d’heure. Mon numéro de portable a dû s’afficher, n’hésitez pas à me rappeler s’il y a un problème.
— C’est noté, merci Maître, à tout de suite.(J’espère qu’il ne me fera pas le même coup que l’avocat qui est venu lors de la dernière garde à vue. J’ai attendu trois heures avant qu’il n’arrive…)

44 minutes plus tard, me voici à la brigade, avec ma sacoche qui contient mon kit garde à vue : Mon bloc note, une réserve de stylos, un bloc autocopiant en triplicata Exacompta pour mes observations  de garde à vue (l’original va au dossier de la procédure, une copie va à l’Ordre, le troisième exemplaire pour mes archives ou mon dossier si je suis le client ; à Paris, l’Ordre nous fournit gracieusement des formulaires mais ils sont de mauvaise qualité, les copies sont illisibles), deux petites bouteilles d’eau (une pour moi une pour le gardé à vue, on ne sait jamais), le Guide des Infractions, alias “le Crocq”, le meilleur ami des pénalistes et de leur kiné, puisqu’il permet d’avoir toutes les infractions et leurs particularités procédurales dans moins de 400g, mon téléphone chargé à bloc (il me sert de scanner, d’appareil photo HD, de dictaphone, me permet d’être en contact direct avec ma secrétaire par messagerie instantanée et accessoirement me permet de téléphoner) et son chargeur, et naturellement, mes formulaires d’intervention en garde à vue, modèle modifié garanti sans Comic Sans(pdf).

À l’accueil, je présente ma carte professionnelle, répète le nom du gardé à vue (André Biiip, avec trois i) et le nom de l’OPJ, et patiente quelques minutes en lisant la Charte Marianne en essayant de ne pas éclater de rire, excellent exercice de maîtrise de soi pour un avocat. Un gendarme vient me chercher et me conduit dans l’arrière boutique, au bureau de l’OPJ.

— Maître Eolas ? Bonjour, Chef Tinotino, je suis l’OPJ en charge du dossier. Je vais vous chercher votre client ?(Et merde, c’est Maître Eolas ! Les collègues qui ont eu affaire à lui s’en souviennent encore. Il paraît que c’est un casse-bonbons. Bon, je parie qu’il va me demander l’accès au dossier comme il le fait à chaque fois à priori.)
— Merci. (Tiens, je ne la connais pas, celle-là. On va faire connaissance.)Auparavant, je souhaiterais voir le PV de notification des droits, s’il vous plaît.
— Bonjour ! (C’est qui cet avocat qui ne prend même pas la peine de dire bonjour..)Oui, bien sûr. Le temps de reprendre le dossier. Le voici.
— Merci.

Zut, j’ai oublié de dire bonjour. Les gendarmes sont psychorigides sur les bonnes manières, en bon militaires. Sur ce coup, elle a raison, d’ailleurs. Sois plus vigilant à ces détails, ça peut mettre une mauvaise ambiance d’emblée, surtout que tu vas solliciter quelque chose dans quelques secondes ; ne refroidis pas les bonnes volontés. Voyons ce PV. Times New Roman. Classique et adéquat. Hop, bloc ouvert, stylo dégainé, et je note toutes les informations précieuses qui y figurent, car ce sont les seules qui me sont accessibles, à condition la plupart du temps de le demander, et parfois même d’insister (on m’a fait poireauter une demi heure récemment pour descendre deux feuilles format A4 de l’étage du dessus, le temps pour un confrère appelé pour un autre gardé à vue de me passer devant, pour une heure d’attente au total ; j’ai fait des observations au dossier pour en informer le procureur, qui doit s’en ficher comme de sa première COPJ). Ces informations sont  : le visa de l’article 53 ou 75 du CPP (ici c’est 53, on est donc en flagrance, sinon ce serait en préliminaire ; important car les droits du gardé à vue ne sont pas les mêmes ; ainsi en préliminaire il peut s’opposer à une perquisition), l’état civil complet de mon client, son adresse, son numéro de téléphone, la date et l’heure du début de garde à vue, la date et l’heure du PV (il a été fait 15 minutes après l’interpellation, le parquet a bien été informé aussitôt après, par fax ; je n’aime pas ça car bien souvent les fax arrivent dans des bureaux vides, ce qui n’est pas une information du parquet comme l’exige la loi ; mais là le fax a été envoyé aux heures de bureau), si les motifs de placement en garde à vue de l’article 62-2 ont bien été mentionnés (c’est le cas, l’erreur devient rare à présent, le parquet a appris la leçon), la qualification des faits (agression sexuelle sur mineur de 15 ans, aïe, c’est du sérieux, 7 ans encourus, c’est du défèrement après la garde à vue, ça, généralement, et en cas de comparution immédiate, renvoi quasiment assuré car il faut obligatoirement une expertise psychiatrique très difficile à obtenir dans les délais de garde à vue, avec à la clef un possible placement en détention provisoire sans pouvoir faire grand’chose), la date des faits (lundi dernier, donc on est dans les délais pour la flagrance, et il y a des investigations qui ont été faites, l’OPJ a sûrement des éléments à charge, prudence), mention du droit de garder le silence (elle y est, mais je vais le répéter lors de l’entretien), notification des autres droits : il a demandé un avocat, pas de médecin, pas d’avis famille. La procédure est carrée, de prime abord. Enfin, le numéro de la procédure qui figure en marge, n°2012/01, indispensable pour être payé.

— Merci. Par ailleurs, même si je me doute de ce que va être votre réponse, je souhaiterais consulter le reste du dossier (C’est parti).
— Le reste du dossier ?(On y vient, on y vient)
— Oui, la plainte de la victime s’il y en a une au dossier, les dépositions des éventuels témoins, bref, les éléments à charge contre mon client.
(Voilà, je le savais !) Mais Maitre, vous n’avez accès qu’au PV de notification, au certificat médical quand il y en a un et les PV d’audition de votre client ?
— C’est ce que dit la loi, mais pas la Convention européenne des droits de l’homme. Je souhaiterais, pour pouvoir exercer librement la vaste gamme d’intervention propre au conseil qui sont des éléments fondamentaux de la défense, et qui sont je vous le rappelle, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention(**), je souhaiterais donc disais-je savoir de quoi on accuse factuellement mon client, qui l’accuse, quelles sont les preuves, pour recueillir ses explications et en discuter avec lui. Exercer la défense, en somme, bien que la loi essaye de m’en empêcher.
— Vous êtes sûr que ce sera suffisant là ?(comme si je lui faisais un speech sur mes prérogatives…)
— Je ne fais que citer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Dayanan du 13 octobre 2009..
— Je suis désolée, je ne peux vous donner accès qu’aux pièces prévues par la loi française. J’ai bien pris acte des considérations de la CEDH, malheureusement, je ne peux y faire référence dans le cadre de mon enquête. Si cela figurait dans le Code de Procédure Pénale, il n’y aurait aucun souci. Rien ne m’interdit de vous en donner communication, mais rien ne m’y oblige non plus. Vous connaissez les directives du parquet ici, croyez bien que je ne cherche pas à entraver votre travail, même si, dans les faits, c’est le cas, et j’en suis consciente. Ca viendra peut-être un jour, mais ne soyez pas si impatient.
—  (In petto : je croirais entendre le Commissaire Duchmole, de la PJ d’Artagnan, elle dit exactement la même chose ; sic transit la hiérarchie des normes…) Je m’en doute et ne vous le reproche absolument pas, encore que certains de vos collègues acceptent, eux. Vous faites votre travail, je fais le mien. Je ferai des observations en ce sens, mais pour mentionner que je n’ai pas eu accès au dossier, encore fallait-il que je le demandasse préalablement (imparfait du subjonctif casé, ma journée ne sera pas perdue). Je m’en plaindrai devant le tribunal, qui me donnera tort, jusqu’au jour ou la Cour européenne des droits de l’homme me donnera raison, dans le plus pur style de la réforme de la garde à vue. Ceci étant réglé, allons voir monsieur Biiip.
— Bien sûr !(Il n’est pas si terrible que cela finalement. Il fait son métier, c’est un avocat voilà tout. Mais qu’est-ce qu’il est charmant par contre, même s’il parle bizarrement)

Le Chef Tinotino me conduit dans un bureau voisin, obligeamment mis à disposition par un collègue envoyé faire le planton devant la machine à café. Les gendarmeries sont pour la plupart anciennes, antérieures à 1993, à l’époque où on ne voyait pas le bout du nez d’un avocat en ces lieux; donc elle ne sont pas équipées de local dédié à l’entretien confidentiel, et c’est un bureau qui nous est laissé, porte fermée bien sûr, l’entretien est confidentiel. Je sors mes affaires en attendant mon client, puis me place debout à la porte de la pièce. C’est un principe, j’accueille mon client debout, pas assis à ma table : en fait, je me comporte comme je le fais avec mes clients au cabinet.

André arrive, l’air hagard, hébété. Je lui serre la main, me présente à lui, m’assure qu’il est bien André Biiip, l’invite à s’asseoir, en mettant le moins de formalisme possible pour le mettre à l’aise. Ce n’est pas un interrogatoire, c’est une discussion avec son nouveau meilleur ami. Mon laïus est bien rodé. C’est parti pour un cours express de procédure pénale. Je déclenche le minuteur de mon téléphone, réglé sur 30 minutes, et jette régulièrement un œil dessus.

—“Vous faites l’objet depuis ce matin 7h30 d’une garde à vue, c’est-à-dire que vous êtes en état d’arrestation (cette formule, issue des séries policières, est mieux comprise par les clients). La gendarmerie vous soupçonne d’avoir commis une agression sexuelle aggravée car sur mineur de 15 ans, c’est à dire que la victime avait au plus 14 ans.
— Mais c’est pas vrai, j’ai rien fait !
Sur le bloc, je griffonne nie.
— Attendez, attendez, pour le moment, je vous explique ce que c’est qu’une garde à vue, quels sont vos droits et ce qui va se passer. Nous parlerons des faits plus tard.”
Important, ça, ne pas laisser le client mener l’entretien. Il se perdra et nous perdra avec lui. On a un message à faire passer, des choix à faire, et 30 minutes pour faire tout ça.
—”La loi prévoit une peine maximale, je dis bien maximale, le juge ne peut aller au-delà mais il peut aller en-deçà, maximale donc de 7 ans de prison.
— Hein ? Je peux aller en prison ?
— S’il y a des preuves suffisantes pour convaincre un tribunal, oui, bien sûr, mais on n’en est pas encore là, loin s’en faut.
André se prend la tête dans les mains.
— C’est dingue, c’est un cauchemar.
— Hélas non. Je suis désolé, mais on a très peu de temps et j’ai beaucoup à vous dire. J’ai votre attention ? Bon. La garde à vue est une mesure d’une durée maximale de 48 heures, en fait 24h renouvelable une fois avec l’accord du procureur de la République, donc 48 heures maximum. Le procureur de la République est un magistrat en charge d’engager des poursuites contre les délinquants et de porter l’accusation devant le tribunal. C’est lui qui contrôle la garde à vue et qui décidera ce qu’il y a lieu de faire de vous à la fin. Il est tenu régulièrement informé par téléphone du développement de l’enquête.”

André acquiesce. Il écoute et comprend ce que je lui dis. Bon, c’est déjà ça, on va pouvoir travailler.

— “Au cours de cette garde à vue, vous avez quelques droits, et le premier est d’être assisté par un avocat. Nous avons droit à une demi heure d’entretien confidentiel. Attention, c’est la seule fois où nous pouvons parler confidentiellement pendant les prochaines 24 heures. Si vous avez quelque chose à me dire, c’est maintenant ou pas avant demain matin si  la mesure est prolongée. Durant ces 48 heures maximum, vous allez être interrogé, et d’ailleurs ce sera le cas juste après cet entretien. Je serai présent à chaque fois, sauf si vous renoncez à ma présence. Mon conseil : quoi qu’on vous dise, n’y renoncez pas.  Vous pouvez demander à voir un médecin. J’ai vu que vous y avez renoncé. Sachez que vous pouvez revenir sur ce choix. Vous avez des problèmes de santé ? Même bénins ? Vous suivez un traitement ?
— Non, rien, ça va.
Note :Santé R.A.S.
— Bon. Si vous vous sentez mal, si vous ressentez quoi que ce soit d’anormal, une douleur, une gêne respiratoire, n’importe quoi, vous le dites et demandez à voir un médecin. Les gendarmes ne feront pas de difficulté, ils ne veulent pas qu’il vous arrive quelque chose pendant votre garde à vue. Vous ne paierez pas la consultation, c’est pris en charge par la justice, comme mon intervention. C’est compris ?
— Oui, oui.
— Vous pouvez faire prévenir un membre de votre famille ou votre employeur. Vous ne l’avez pas voulu. Là aussi, vous pouvez changer d’avis. Personne ne s’inquiètera de votre absence ?
— Ça va, je vis seul. Je suis ouvrier, mais je ne veux pas que mon patron sache que je suis en garde à vue. Je me débrouillerai avec mes RTT.
Note : Pas d’avis famille.
— Bien. Si les choses se passaient mal, y a-t-il quelqu’un que vous souhaitez faire prévenir ? Je n’ai pas le droit d’appeler qui que ce soi pendant votre garde à vue, sauf si votre défense l’impose et bien sûr que la personne ne soit pas impliquée dans les faits ; mais cette interdiction cessera avec votre garde à vue.
— Mon ex femme, je dois avoir les enfants le week end prochain.
— Vous connaissez son numéro de téléphone ?
— Non, il est dans mon téléphone.
Classique. La malédiction des téléphones mobiles. Par pitié, chers lecteurs, apprenez par coeur les numéros de vos proches et de votre avocat.
— On se débrouillera autrement. Les faits qu’on vous soupçonne d’avoir commis sont une agression sexuelle sur mineur. Pas un viol, mais des caresses, des attouchements. Je ne connais pas encore le détail, la loi ne me permet pas encore d’avoir accès à ces informations. Ça viendra un jour, mais pour le moment, il faut faire avec. C’est déjà bien que je puisse être là.
— Mais c’est n’importe quoi ! Je n’ai rien fait, rien.
— D’après le seul document auquel j’ai accès, ça se serait passé lundi vers 17 heures. Ça vous dit quelque chose ?
— Mais non, je vous dis que je n’ai rien fait !
— Vous savez, une personne peut se sentir agressée alors que l’autre croit ne rien faire de mal. Une main aux fesses faite en plaisantant est une agression sexuelle. Vous voyez de qui il peut s’agir ?
— Mais non, je n’ai vu aucun enfant lundi, j’habite seul, et puis je ne touche pas aux enfants, qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
— Vous travailliez lundi ?
— Ouais.
— Vous étiez au travail, à 17 heures ?
— Non, je fais 8h-16h.
— Vous étiez chez vous ?
— Oui, je crois, je rentre toujours après le boulot.
— Seul ?
— Ben oui.”
Mince. Note : Pas d’alibi.
— “Vous ne voyez pas de jeune fille, ou de jeune garçon, dans votre entourage qui pourrait vous en vouloir ?
— Non, j’ai deux enfants, mais ils habitent chez leur mère à Artagnan-Les-Mousquetaires, je les vois un week-end sur deux et ça se passe bien.
— Et avec votre ex femme, ça se passe comment ?
— Bof, on se fait un peu la gueule, mais ça va.
— Vous payez une pension alimentaire ?
— Oui, 200 euros par mois.
— Vous êtes à jour ?
— Oui, c’est pour mes enfants, je paye toujours rubis sur l’ongle.”
Note :Ne se connaît pas d’ennemi. Bon, on va arrêter le cache-cache, on perd du temps.

— Vous allez avoir du temps pour cogiter, vous allez voir, avec les heures que vous allez passer en garde à vue. Je veux que vous le mettiez à profit pour vous repasser vos souvenirs de ce lundi : ce que vous avez fait, qui vous avez croisé, quel incident, même sans importance à vos yeux, qui aurait pu laisser une impression bizarre à quelqu’un qui vous aurait vu. N’importe quoi. Et vous m’en parlerez lors de notre 2e entretien si vous êtes toujours en garde à vue. Compris ? Bon. Alors, après cet entretien, vous allez être conduit dans le bureau de la gendarme qui s’occupe de l’affaire, pour être interrogé. Ça va commencer par ce qu’on appelle la grande identité, des questions portant sur votre situation personnelle et professionnelle et pas sur les faits. Ensuite seulement viendront les questions sur les faits. Vos réponses seront consignées sur un document qu’on appelle procès verbal et qu’on vous demandera de signer. Vous savez lire le français ?
— Ben oui.
— Vous avez besoin de lunettes ?
— Non.
— Bon. Sinon, il faudrait demander qu’on vous les donne pour relire les papiers qu’on vous fait signer. il est très important que vous relisiez attentivement ce procès verbal. Si vous n’êtes pas d’accord avec son contenu, si vous réalisez que vous vous êtes mal exprimé, n’hésitez pas à le dire, c’est très important. Si vous n’êtes pas sûr, vous m’en parlez.
— D’accord.
— Gardez bien une chose à l’esprit. Vous connaissez la phrase des séries policières: “Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous ?”
— Oui.”
Merci les Experts.
— “Et bien c’est exactement ça. Vos paroles sont notées pour servir de preuve dans un éventuel procès. Et il ne suffit pas de dire que vous n’avez rien fait pour qu’on vous croit. La gendarmerie a des éléments contre vous, que je ne connais pas encore, mais qui seront révélés pendant l’interrogatoire.
— Mais c’est dingue ! J’ai rien fait !
— Je sais. Mais les gendarmes ne le savent pas, et si vous êtes en garde à vue, c’est qu’il y a des éléments vous mettant en cause. Une plainte, des témoignages, je ne sais pas. On le saura vite, mais en attendant, la prudence s’impose.
— La prudence ?
— Oui. Les seules stratégies viables en garde à vue sont dire la vérité ou se taire. Vous avez le droit de garder le silence, on vous l’a rappelé, et c’est un droit fondamental. Tout simplement parce que, comme vous le voyez, je ne peux pas vous dire exactement ce qu’on vous reproche. On vous demande de parler, sans vous permettre de juger de la portée de vos propos. Une phrase maladroite peut vous enfoncer même si vous n’avez rien fait, sans que vous ne le réalisiez sur le coup. En outre, les gendarmes peuvent vous poser des questions dont ils ont déjà la réponse, pour vous tester. Voilà pourquoi il ne faut jamais mentir. S’ils voient que vous leur mentez une fois, ils ne vous croiront plus, même quand vous direz la vérité. Et cela nuira à votre défense. Alors, si vous parlez, dites la vérité. Si vous avez un doute sur l’attitude à adopter, taisez-vous. Il sera toujours temps de parler plus tard, devant le juge, quand votre avocat aura vu le dossier et vous l’aura montré, alors que si vous dites une bêtise qui vous enfonce aujourd’hui, ce sera trop tard, ça sera noté au dossier. Vous comprenez ?
— Oui…”
Le pauvre, il est paumé. Il commence à réaliser la gravité de la situation. Accroche toi, mon gars, on n’a pas fini le cours de procédure pénale. Il nous reste 17 minutes.
— “On va vous prendre vos empreintes digitales et votre ADN, par une sorte de coton tige que l’on frotte sur votre joue dans votre bouche, c’est indolore. Si vous refusez, sachez que c’est un délit passible de prison, même si vous êtes innocent des faits qu’on vous reproche.
— Hein ? Mais si c’est pas moi, on va les garder quand même ?
— La justice peut les garder, sauf si le procureur décide de les détruire. Il peut le faire d’office, mais ce sera plus sûr de le demander, ainsi vous aurez une réponse et saurez ce qu’il en est. Si le procureur refuse, vous avez un recours, contactez un avocat.”
Eh oui mon gars, bienvenue dans une république sécuritaire.
— “A la fin de cette garde à vue, qui doit finir dimanche matin à 7h40 au plus tard, il y a en gros 3 possibilités. De la meilleure à la pire pour vous, soit vous êtes remis en liberté purement et simplement, et l’affaire s’arrête là, parce qu’il n’y a pas d’éléments contre vous vérifications faites. Soit vous êtes remis en liberté avec une convocation en justice pour être jugé. Contactez aussitôt un avocat. Soit vous êtes déféré, c’est-à-dire conduit sous escorte au palais de justice de Castel-Pitchoune pour soit être jugé immédiatement, ou pour être convoqué et placé en liberté surveillée en attendant (Les gardés à vue comprennent mieux ça que “contrôle judiciaire”), soit présenté à un juge d’instruction, qui est un juge enquêteur et qui continuera l’enquête. En cas de défèrement, vous serez assisté d’un avocat, qui, lui, aura accès au dossier et pourra vous aider à préparer efficacement votre défense. Si vous le souhaitez, ça pourra être moi, mais il faudra que vous le demandiez avant la fin de votre garde à vue. Pour le moment, je ne vous demande rien, on vient de faire connaissance, mais vous me direz quand on se connaîtra un peu mieux. Si vous ne voulez pas, aucun problème, je ne vous défendrai pas moins bien en garde à vue. C’est compris ?
— Oui.
— Bon, il nous reste (Coup d’œil à mon minuteur) 8 minutes. Désolé de vous assommer d’informations comme cela, mais nous n’avons que peu de temps et je veux que vous compreniez ce qui se passe, ce qui va se passer et quels sont vos options. C’est important, ce n’est que quand on comprend qu’on peut se défendre, et c’est la seule occasion que j’ai de le faire. Dernière chose, on vous servira 3 repas par jour, deux chauds le midi et le soir, et le matin, un jus de fruit et une pâtisserie. C’est pas bon, ce sont des plats préparés au micro-onde. Mais mangez, forcez-vous. Une garde à vue, c’est long, c’est fatigant, je veux que vous soyez en pleine possession de vos moyens. On dit vite n’importe quoi quand on frôle l’hypoglycémie. Si vous avez de l’argent à vous, les gendarmes vous proposeront certainement de vous acheter un sandwich. N’hésitez pas, ça passe mieux. Et dormez quand vous le pourrez. Si vous avez l’estomac vide et une nuit blanche, vous allez vous effondrer et dire n’importe quoi. C’est important. D’accord ?
— D’accord.
— Signalez-moi le moindre problème, le plus petit incident. Je peux faire des observations écrites versées au dossier. Et un problème non signalé est un problème qui n’a jamais existé, pour les magistrats qui vont suivre le dossier : ils sont juges, pas devins. 
— Compris.
— Ah, oui, vous êtes déjà passé devant un tribunal ?”
Ne jamais demander à un client s’il a un casier. Il répondra non même s’il a déjà été condamné, s’il n’est pas allé en prison. Ceux qui ne connaissent rien en droit confondent condamnation et prison ferme.
— “Oui, pour mon divorce.”
Évidemment.
— “Non, je voulais dire pour un délit.
— Non, jamais.”
Note : pas d’antécédent (selon lui).
— “Parfait. Profitez de ces (Coup d’œil à mon minuteur) 4 minutes qu’il nous reste pour réfléchir à qui pourrait vous en vouloir et aurait pu raconter des craques pour se venger de vous, ou si vous avez eu un comportement qui aurait pu être mal interprété, ou si vous avez engueulé un gamin ou une gamine…
— Je ne vois pas non. C’est dingue cette histoire.”
Il n’essaie pas de fournir une histoire à dormir debout pour tout expliquer. C’est plutôt bon signe.
— “Sachez que dans une affaire comme ça, où deux versions contradictoires s’affrontent, il est très probable qu’une confrontation ait lieu pendant la garde à vue. Si la victime était majeure, je dirais que c’est certain, mais là, s’agissant d’un jeune mineur, il est possible que le parquet soit réticent à lui infliger cela. Préparez-vous à cela. Vous avez des questions ?
— Mais à qui je vais être confronté ?
— Au plaignant ou à la plaignante. Je ne sais pas qui c’est. Le gendarme le sait. Le procureur le sait. Mais vous et votre avocat, qui êtes les premiers concernés, on ne vous le dit pas. Nous les avocats travaillons pour que ça change, et ça changera, mais en attendant, c’est comme ça. La suspens ne durera pas longtemps, puisque le nom devra bien être mentionné lors de l’audition. On le cache juste pour s’assurer que je prépare cet interrogatoire avec vous à l’aveuglette. Les droits de la défense font peur en France. Que cela vous rassure néanmoins. Si je ne servais à rien, on n’aurait pas peur de moi. Avez-vous d’autres questions ?
— Non. 
Mon speech sur les droits de la défense l’a un peu réconforté. Cela le rassure de savoir que l’avocat dérange, il sent que je n’ai pas peur des autorités, et il y voit un peu plus clair, même si je doute qu’il retienne plus d’un tiers des informations que je lui ai données. Mais c’est ça aussi, et pour le moment surtout, l’avocat en garde à vue : permettre au client de redresser la tête. C’est déjà beaucoup.
— Bon, alors on va y aller. N’oubliez pas : la vérité ou le silence. Si vous décidez de vous taire et qu’ils font pression sur vous, je serai là pour vous soutenir. Et pas un mot sur les faits en mon absence. Jamais. Compris ?
— Oui…
Zéro minute. Temps écoulé.
— Ah, j’entends le Chef qui vient nous chercher. On y va. Courage.”

Rock n’roll…
_____________
(*) : Mes lecteurs qui auront reconnu ce numéro de téléphone sont les plus classes du monde. Pour les autres : clic.
(**) : Arrêt Dayanan c. Turquie. §32. Tout y est.

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