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Un jour à l'instruction

Journal des greffiers en colère - Eolas, 23/04/2014

Par Wonderwoman


NB : on parle ici non pas de l’instruction publique donnée dans les écoles, mais de l’instruction judiciaire, c’est à dire, une enquête judiciaire approfondie sur un crime ou délit confiée à un juge enquêteur, le juge d’instruction. NdEolas

Idée reçue : un fonctionnaire ne travaille que de 8h à 12h00 et de 13h30 à 17h00. Si seulement !

7h30 : Arrivée au tribunal. Dans mon bureau, le fax est déjà plein à craquer. Des interpellations ont eu lieu la veille dans un gros dossier de stups, et 6 personnes ont été placées en garde à vue. Les défèrements sont prévus aujourd’hui, la journée promet d’être mouvementée. J’ai 1h30 avant l’ouverture au public pour travailler dans le calme et avancer le plus rapidement possible… Cassiopée me voilà ! Création, fusion, modification, impression… ça avance ça avance.

9h00 : premiers coups de fils et premières intrusions dans mon bureau. La famille de détenus me harcèle pour savoir quand vont être délivrés leur permis de visite, un avocat rentre pour me demander comment avance son dossier, le greffier en chef nous interrompt pour savoir si je ne peux pas remplacer une collègue absente à une audience, un autre avocat déboule pour consulter un dossier et le téléphone sonne, c’est l’accueil qui annonce que mon rendez-vous de 9h30 est arrivé !

9h30 : interrogatoire avec un type dédaigneux qui réfute l’irréfutable, preuve vidéo à l’appui « non non je ne me suis pas enfuis… », alors qu’il court comme un lapin sur la vidéo surveillance…

11h30 : fin d’interrogatoire. Le fax est de nouveau plein à craquer, les gardes à vue avancent, la juge fait le point au téléphone avec les enquêteurs sur le nombre de personnes présentées le soir même. Il y a encore tout le courrier à trier et à traiter. Zut ! Le parquet a encore oublié de me rendre ses réquisitions pour une demande de mise en liberté qui expire aujourd’hui ! Me voilà partie à l’étage chercher le substitut qui a oublié de me redonner mon dossier ! Une fois les réquisitions en main, je redescends et rappelle à ma juge qu’il faut motiver son ordonnance de saisine dans l’urgence… Il y a tout le courant à gérer en même temps, modification de contrôle judiciaire, ordonnance de règlement, permis de visite, délivrance d’attestation de fin de mission pour les avocats, demande de copie…

12h30 : ouf ! Enfin un peu de répit, je sors de mon bureau pour aller déjeuner. Je croise le juge des libertés et de la détention (JLD)qui m’annonce qu’il y a un débat, « Quand ? » dis-je innocemment, « Maintenant » répond-il. Évidemment ! Le Parquet a encore oublié de prévenir la greffière… Bon je déjeunerai plus tard… Escorte, avocat, détenu, substitut, JLD, débat, délibéré, décision… Celui-là ira en détention jusqu’à l’audience de comparution immédiate, pas de suspens quand on sait qu’il n’a pas de domicile fixe, question garantie de représentation il y a mieux…

13h30 : je déjeune finalement sur mon clavier en préparant les défèrements de l’après-midi.

14h00 : les premières escortes arrivent avec leur procédure, il faut que je m’assure que chacun à choisi un avocat, et si ce n’est pas le cas, je dois secouer l’ordre des avocats pour qu’il m’en trouve un immédiatement… Les enquêteurs se dirigent vers le bureau de la juge pour lui faire le point sur les déclarations des gardés à vue, pendant que je jongle avec les avocats qui veulent lire la procédure, le téléphone qui continue de sonner et le courrier qui doit partir impérativement avant mes interrogatoires de l’après midi. La photocopieuse en plein régime, je me mets en mode « certifié conforme le greffier ».

14h30 : le premier mis en cause peut entrer, tout le monde est prêt. « Je choisis de me taire » Parfait ! L’interrogatoire ira plus vite. Et de 2, et de 3… les escortes défilent avec leur gardé à vue. Pour certains ils ressortent libres sous contrôle judiciaire, pour d’autres direction le JLD qui va statuer sont son sort. Mais comme dans une petite juridiction les greffiers sont multi-tâches, la greffière de l’instruction est aussi la greffière du JLD. Il devra donc attendre qu’on ait fini nos défèrements à l’instruction.

18h00 : Enfin, les 6 mis en cause sont passés devant le juge d’instruction. Direction le bureau du JLD. Le juge - « Acceptez vous que le débat se déroule aujourd’hui ou souhaitez-vous un débat différé ? » Le mis en examen - « Je souhaite une débat différé ». C’est parti pour une incarcération provisoire de 4 jours maximum le temps que son avocat ait le temps de préparer sa défense. Une plaie pour la greffière qui devra faire extraction et convocation dans l’urgence pour que les services de la pénitentiaire prévoit le transfert de détenu dans les temps voulus pour le débat différé… Les autres mis en examen défilent, ce sera mandat de dépôt pour certains et contrôle judiciaire pour d’autres.

20h00 : je sors du débat, je retourne dans mon bureau qui est plein à craquer des procédures de garde à vue qu’il faudra que je côte demain à mon arrivée, juste après avoir fait l’extraction en urgence pour le détenu qui a demandé un débat différé.

20h30 : j’arrive chez moi dans mon petit studio vide… Car la réalité est bien là, les premiers postes « choisis » par les greffiers sortis d’école sont souvent très éloignés de leur famille. Le célibat géographique est connu de chacun et de chacune… Ce qui engendre double loyer et doubles charges, sans compter les frais d’essence et d’autoroute pour rentrer auprès des siens le week-end.

Et je suis loin de toucher les 2400€ par mois annoncés par M. WALLS comme étant le salaire moyen des fonctionnaires !

Alors pourquoi se dévouer autant me direz-vous ?

Parce que le poste de greffier à l’instruction est passionnant, enrichissant et épanouissant.

On résume souvent le métier de greffier à un métier de bureau. Mais pas un jour je suis restée assise devant mon écran d’ordinateur ! D’abord, j’adore ce métier pour sa diversité. Chaque jour est différent de la veille. Les dossiers ont toute une spécificité. Avec le temps, on connaît les mis en examen, les victimes, quand l’un ou l’autre nous appelle, on sait tout de suite répondre à leurs interrogations. En arrivant le matin, j’ai beau planifié ce que j’ai à faire, il y a toujours un imprévu, ce qui pimente ma journée. D’autant que ma double fonction Instruction-JLD me promet des débats impromptus au milieu de la journée. Et puis il y a les reconstitutions : convoquer les principaux mis en examen et victimes pour « rejouer » la scène selon les différentes versions ! Alors dit comme ça, ça paraît sympa, mais le travail du greffier est primordiale, car si le juge se « contente » d’interroger chacun, le greffier doit et noter les déclarations des uns et des autres, et noter précisément où la personne déclare s’être trouvée au moment des faits, à quel moment elle dit y être allée…Un peu comme un roman au final ! Et tout ça dans des conditions plus qu’inconfortables : pas question d’avoir un bureau ou de chaise au milieu d’un bois ! La reconstitution c’est ausi l’occasion de débarquer dans un restaurant pour la pause déjeuner avec une quinzaine de gendarmes en uniforme !

J’adore ce métier, ensuite et surtout pour les relations humaines que j’ai pu créer. Avec la juge surtout. L’instruction c’est un binôme juge-greffier. Soit ça passe, soit ça casse ! Après quelques semaines à s’apprivoiser l’une l’autre, nous voilà un binôme efficace, et au bout de quelques mois, plus besoin de se parler pour se comprendre, un simple regard suffit. En interrogatoire, grâce au double écran, je peux même lui écrire des blagues pour la faire sourire, le tout le plus discrètement possible, évidemment. Une réelle complicité c’est installée entre nous. Il faut dire que l’on passe plus de temps au travail qu’avec nos conjoints respectifs, il y a donc plutôt intérêt à bien s’entendre ! On fonctionne réellement à deux, je suis son pense bête notamment quant aux délais impératifs à respecter sans quoi notre tête de réseau de trafic de stupéfiants sort de prison prématurément ! Et la juge est là quand j’ai des coups de bourre. Je me souviens du jour où j’ai du envoyer 80 ordonnances de règlements en lettre recommandée, elle m’a aidée à mettre le tout sous pli… loin de sa fonction de magistrat ! Qu’est ce qu’on a pu rigoler toutes les deux ! Parce qu’il faut se le dire, les dossiers à l’instruction c’est loin d’être le pays des bisounours, entre les agressions sexuelles, les trafics de stupéfiants, les homicides involontaires, les escroqueries de grande ampleur… Il faut savoir décompresser !

Mon bureau, concomitant à celui de ma juge, est rarement vide… Toujours un enquêteur pour venir faire le point sur une enquête ou pour venir chercher sa commission rogatoire. Toujours un avocat pour venir consulter un dossier, ou déposer des demandes. Ma machine à café au sein de mon bureau a aidé à dépasser le simple rapport de travail, et nos relations sont devenues quasi-amicales, et cela a beaucoup facilité le travail au quotidien à l’instruction ! Finalement, certains ont pris l’habitude de venir simplement par sympathie et quand le temps nous le permet, on papote autour d’un café.

Enfin, mes collègues fonctionnaires. J’ai eu une immense chance de trouver des collègues qui sont devenus mes amis. Nos déjeuners donnent lieu très souvent à des fous rire, et nos longues soirées de célibataires se sont transformées en apéro-cacahuète ensemble !

Voilà pourquoi j’aime tant ce métier : les rapports humains, qu’ils soient avec le juge, les collègues, avec les acteurs extérieurs ou avec les personnes impliquées au dossier…

Ce métier il faut l’aimer pour l’exercer !

WonderWoman


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