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Un petit mot de droit norvégien

Journal d'un avocat - Eolas, 24/08/2012

NB : ce billet a été initialement publié sur Google + le lendemain des attentats commis par Breivik. la peine de forvaring ayant finalement été prononcée, je l’élève à la dignité de billet de blog.


À la suite d’un article paru semble-t-il dans la presse russe, le bruit court que la personne soupçonnée des deux attaques terroristes d’hier encourrait au maximum 21 ans de prison.

Comme la Norvège semble être devenue une nouvelle source d’incompréhension pour les Français, un peu d’éclairage.

La Norvège est un pays connaissant une criminalité plutôt basse, notamment les crimes violents : 0,6 meurtre pour 100.000 habitants, la France étant un pays où on se tue très peu ayant un taux de 1.31 meurtres pour 100.000 habitants (à titre de comparaison : le record est au Salvador avec 71, les Etats-Unis ont 5.0, le Vatican, Monaco, l’Islande et Palau étant les 4 pays ayant un score de 0 - mais il suffit qu’un meurtre se commette à Monaco pour que la Principauté bondisse à 3.1, ce qui est un très mauvais score).

Son droit pénal est très avancé, comme dans les pays scandinaves. Elle a aboli la peine de mort dès 1905 (dernière exécution en 1876), et ne connaît pas la réclusion criminelle à perpétuité.

Pour les crimes les plus graves (et nous allons considérer, pour l’intérêt de cette note, que commettre en quelques minutes autant de meurtres qu’il s’en commet en plus de deux ans entre dans la catégorie des crimes les plus graves), la justice norvégienne peut prononcer deux types de peines : les peines déterminées et les peines indéterminées.

La peine déterminée est la peine fixée ab initio : x années de prison. Le maximum prévu par la loi norvégienne est en effet de 21 ans, sachant en outre qu’au bout d’un tiers de la peine (soit 7 ans pour le max), la plupart des condamnés bénéficient d’amples permission de sorties, notamment des libérations sans supervision le week end, et qu’ils bénéficient d’une libération conditionnelle aux deux tiers, soit 14 ans, les prisonniers détenus plus de 14 ans étant rarissimes. J’ajoute que les conditions de détention en Norvège sont sans comparaison avec les culs de basse fosse que la République ose appeler ses prisons.

La peine indéterminée (“forvaring” en norvégien, “confinement”) vise à incarcérer le condamné jusqu’à ce qu’il soit considéré comme n’étant plus dangereux pour la société. Elle a aussi un maximum théorique de 21 ans et pose un minimum de 10 ans avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle. S’il est toujours considéré dangereux, cette libération peut lui être refusée. Au bout de 21 ans, s’il est considéré comme toujours dangereux, il peut se voir rajouter 5 ans d’emprisonnement, puis encore 5 ans et ainsi de suite, sans limitation de durée autre que la vie du condamné, donc la prison à vie est théoriquement possible en Norvège. Cependant, le prisonnier, une fois ces 21 ans écoulés, peut être libéré à tout moment s’il est démontré qu’il ne constitue plus un danger pour la société. Le forvaring est donc très souple une fois écoulé le délai de 10 ans.

J’ajoute que tous les excités de la répression en France contempleront avec horreur les statistiques de la criminalité et notamment de la récidive dans ce pays, qui a démontré que traiter les prisonniers de manière humaine est une façon originale et efficace de ne pas les transformer en animaux. Ils pourront toutefois mettre leurs préjugés à l’abri de toute remise en question en invoquant l’argument de sociologie de comptoir en disant que la culture scandinave et la nôtre ne sont pas comparables et compatibles. Le même argument déjà sorti pour mettre en doute la capacité génétique d’une candidate d’être candidate. La mode est au recyclage.


Un an après, je renouvelle mon admiration pour la justice norvégienne, qui a réussi à instruire et juger une telle affaire en un an, au terme d’un procès solennel que personne n’a critiqué. Il n’y a guère de mystère : la Norvège consacre à la justice 5 fois plus de moyens que la France, rapporté au nombre d’habitants.

J’ajoute qu’en Norvège, une vieille prison, c’est ça (la photo 13, c’est le parloir familles), et une prison neuve, c’est ça.


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