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Beauté et distribution en ligne : l'éviction des pure players, une pratique possible !

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Matthieu Bourgeois, Marion Moine, 13/09/2018

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du 13 juillet 2018, a mis fin à un feuilleton jurisprudentiel débuté quatre ans auparavant autour du réseau de distribution sélective de la société Caudalie, qui fabrique et distribue des produits cosmétiques sur un segment haut de gamme (ci-après « Caudalie »).
Invoquant un trouble manifestement illicite de son réseau de distribution sélective (1) (sur le fondement des articles 873 du Code de procédure civile et L.446-6, I, 6° du Code de commerce), Caudalie avait obtenu du juge des référés, en décembre 2014, que la société Enova Santé, éditrice du site « 1001pharmacies.com » qui fédère plusieurs pharmacies (ci-après « eNova »), cesse de commercialiser ses produits sur sa plateforme.

En effet, dans le cadre de son réseau, Caudalie n’autorise que les seuls distributeurs disposant d’un point de vente physique qu’elle a agréé à ce titre, à vendre en ligne ses produits, sur les sites internet qu’ils éditent.

eNova a interjeté appel de cette ordonnance, arguant notamment que le réseau sélectif Caudalie ainsi organisé, avait pour effet de restreindre le jeu de la concurrence.

Les juges du fond ont accueilli favorablement cette argumentation dans un arrêt en date du 2 février 2016 . Ils ont en effet, estimé - en se contentant de citer la position de l’autorité de la concurrence relative aux réseaux de distribution sélective de Samsung (2) et d’Adidas (3) , ainsi que celle de l’Autorité de la concurrence allemande relative aux contrats de distribution sélective « Asics » et « Adidas » -, qu’il existait « un faisceau d’indices sérieux et concordants tendant à établir que l’interdiction de principe du recours, pour les distributeurs de produits « Caudalie » à une plateforme en ligne, quelles qu’en soient les caractéristiques, est susceptible de constituer une restriction de concurrence caractérisée ».

La conséquence est immédiate pour Caudalie : sans réseau de distribution licite, pas de trouble manifestement illicite, permettant notamment de requérir le déférencement par eNova, de ses gammes de produits.


(1) Un réseau de distribution sélective ou « purement qualitatif » consiste à agréer les revendeurs sur la seule base de critères objectifs requis par la nature du produit (Fascicule LexisNexis – « Réseaux de distribution » - Philippe LETOURNEAU & Michel ZOIA).
(2) Décisions des 23 juillet 2014 et 24 juin 2015.
(3) Communiqué de presse du 18 novembre 2015.

La Cour de cassation saisie a cassé cet arrêt, considérant que les juges d’appel n’ont pas suffisamment motivés leur décision au regard des décisions auxquelles ils se réfèrent (V. § supra), et ce, sans même analyser la décision du Conseil de la concurrence en date du 8 mars 2007 qui avait déclaré licite le réseau de distribution sélective Caudalie.

L’affaire est renvoyée une seconde fois devant la Cour d’appel de Paris, qui avait la lourde tâche de juger (et justifier) la licéité du réseau de distribution sélective « Caudalie » pour pouvoir (enfin) caractériser – ou non – le trouble manifestement illicite.

Après avoir rejeté la demande - tardive et contradictoire avec ses propres affirmations - de eNova visant à être qualifiée de simple hébergeur au sens de l’article 6, I, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, la Cour d’appel de Paris a donc analysé le moyen visant à contester la licéité du réseau de distribution sélective au regard du droit de la concurrence en examinant :

(i) les critères de sélection des pharmaciens agréés ;
(ii) la proportionnalité de l’interdiction faite aux pharmaciens de son réseau de recourir de façon visible à des plateformes tierces pour la vente sur internet de produits Caudalie.

Afin de confirmer la licéité du réseau de distribution Caudalie et de caractériser le trouble manifestement illicite généré par la vente de ses produits sur le site « 1001phamarcies », les juges se sont fondés sur une jurisprudence récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui a considéré qu’ « un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits » n’a pas pour effet de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence, « pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire » (CJUE, 1ère ch. 6 décembre 2017 ; aff. C-230/16, Coty Germany).

Rappelant les critères de licéité admis depuis longtemps par la jurisprudence européenne : CJCE, 25 octobre 1977, affaire 26/76. (critères objectifs de caractère qualitatif, et proportionnés aux valeurs de la marque, appliqués à tous les distributeurs, sans discrimination), la Cour d’appel s’est inscrite dans le sillage de la CJUE, et en a conclu que la préservation de l’image de luxe de ses produits est un critère objectif de sélection de ses distributeurs, permettant à la tête de réseau de conditionner l’accès à celui-ci aux seuls distributeurs disposant d’un point de vente physique et d’évincer en conséquence les autres (« pure players »).



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