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Le président de la République me fait pitié !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/03/2020

Je persiste. Ecoutant son allocution "mulhousienne", j'ai éprouvé de la pitié pour lui. Rien de pire pour un président que d'accomplir son devoir le moins mal possible avec tant de couteaux plantés dans son dos !

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Vraiment. Sincèrement. Sans l'ombre d'une condescendance ou d'une dérision.

Je l'ai écouté le 25 mars quand à Mulhouse il a prononcé un long discours.

Emmanuel Macron, dans cette situation terrifiante que connaît la France, a invoqué l'unité et la solidarité, regrettant les divisions politiciennes. Il a remercié tous ceux qui le méritaient, toutes les professions et corps mobilisés, les Français eux-mêmes un nombre incalculable de fois. Fatigué, à l'évidence ému après ce qu'il avait vu à Mulhouse, il m'a semblé avoir radicalement quitté l'armure et être prêt à des révisions déchirantes, notamment pour réparer et compenser les fiascos.

Un plan d'investissement massif pour l'hôpital public demain parce qu'il n'avait pas su écouter et agir hier. Et l'opération Résilience, d'assistance, d'humanité et de symbole.

Une tonalité à la fois sombre, d'un volontarisme épuisé, comme sans illusion sur l'accueil qu'on allait réserver à ses propos. Comme s'il acceptait de n'être pas cru ni suivi. Une parole pour l'honneur en quelque sorte.

Le président de la République m'a fait pitié.

Bien sûr il est décrété responsable de tout, coupable de tout. Sans la moindre circonstance atténuante. Il est confronté, et nous avec lui, à la crise sanitaire la plus effrayante qu'a connue notre pays et chaque jour on ne trouve pas d'autre stimulant pour mobiliser et encourager ceux qui se battent, qu'en ressassant ce qui manque : masques, gel et tests.

Emmanuel Macron ferait-il indiscutablement quelque chose de bien qu'on trouverait encore à redire. Puisqu'il est évidemment le créateur, et non pas la victime, du fléau qui s'est abattu sur la France et qui est venu de Chine. On ne lui fait grâce de rien. Il y a quelque chose de pathétique dans le destin de ce jeune homme brillant, sur la victoire duquel les fées républicaines s'étaient penchées, qui inéluctablement poursuit sa descente aux enfers.

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Et au lieu de se taire, de s'abstenir, de bander leur énergie pour la lutte capitale, beaucoup s'abandonnent à une multitude de chicayas, les unes importantes mais qui devraient attendre la guérison nationale pour se régler, d'autres dérisoires, et j'entends ici ou là, encore aujourd'hui, que l'enfer serait Emmanuel Macron.

Pour s'en indigner il n'est pas obligatoire d'être naïf et d'oublier qu'il avait déjà fait des promesses médiocrement tenues pour l'hôpital et à l'égard du personnel soignant, qu'il a commis des erreurs dans le fond et la forme, qu'il a parfois battu en brèche l'exigence de rassemblement et que trop souvent le politicien roué a cohabité avec l'intellectuel arrogant.

Mais c'était hier. Est-ce indélébile et fatal ? Faut-il toujours lire le même texte sur l'ardoise de notre démocratie ?

Pourtant, aujourd'hui le président de la République me fait pitié. Ce n'est même pas lié à l'échéance de 2022 puisque je suis convaincu qu'une part non négligeable de nos concitoyens continuant à le soutenir, parfois sans enthousiasme mais faute de mieux, il pourra être réélu.

Mais ce qui domine sur les plans politique et médiatique, ce qu'on entend, ce qui est ostensible, ce qui ne cesse de focaliser sur le doigt au lieu de déplorer la lune, est ce climat de haine qui dépasse la légitimité des antagonismes démocratiques. L'attitude républicaine serait de faire les comptes dès maintenant et d'accepter d'être profondément, totalement injuste à son encontre ! Bientôt seront de plus en plus rares - en dehors des Guerini inconditionnels - les personnes de bonne foi qui oseront un procès équitable, mesuré et honnête.

Je le constate chaque jour à mon niveau modeste : on me dit qu'on est sur beaucoup de sujets d'accord avec moi mais que vraiment on ne comprend pas que je ne sois pas plus lucide, donc haineux, à l'encontre du président. Et quand le suivant à la trace il m'arrive de le créditer de quelque chose, je suis forcément naïf et empli d'illusions regrettables.

Le président de la République me fait pitié. Coincé entre un passé dont la charge négative lui est imputée exclusivement et un futur dont on le menace - par exemple Marcel Gauchet: "Si cette crise pouvait être l'occasion d'un vrai bilan et d'un réveil collectif !" (Le Figaro), le coronavirus telle une "divine surprise" en quelque sorte -, le présent ne le met en lien qu'avec des Français le sanctionnant avant l'heure - ceux qui parlent, dénoncent, vitupèrent, les il n'y a qu'à, les il faut qu'on, les rois du préjugé, les pourfendeurs de la nuance, les fanatiques de l'information sur les réseaux sociaux - et, chaque jour, un nombre croissant de morts et de victimes.

Et pardon pour cette scandaleuse provocation : le président est avec nous dans le chagrin, dans cette nasse dont on est loin de voir le bout.

Non, il n'est pas responsable et coupable de tout.

Je persiste. Ecoutant son allocution "mulhousienne", j'ai éprouvé de la pitié pour lui.

Rien de pire pour un président que d'accomplir son devoir le moins mal possible avec tant de couteaux plantés dans son dos !


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