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Cour de cassation, 09-11.545

- wikisource:fr, 15/03/2011



Chambre sociale – France Télécom c/ CHSCT d’Issy-les-Moulineaux


Pourvoi n° 09-11.545



Visas

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Motifs

Sur le moyen unique 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 17 décembre 2008) qu’à l’issue d’une réunion du 18 janvier 2008 du comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ayant compétence sur le site d’Issy-les-Moulineaux de la société France Télécom et ayant pour ordre du jour une présentation par le médecin du travail des risques psycho-sociaux liés au stress au travail, les membres ont décidé de mettre en œuvre une expertise en invoquant l’existence d’un risque grave au sein de l’établissement ; que la société France Télécom a fait assigner le CHSCT en annulation de cette délibération ;

Attendu que la société France Télécom et M. X… agissant en qualité de président du CHSCT du centre de services partagés comptabilité France font grief à l’arrêt de débouter la société de sa demande d’annulation de la délibération du 18 janvier 2008, alors, selon le moyen :

  1. que selon l’article L. 4614-12 du code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l’établissement ; que si une situation de stress au travail peut révéler l’existence d’un risque grave dans l’établissement, encore faut-il que cette situation de stress professionnel et le risque pour la santé ou la sécurité qui en résulte soient caractérisés par des éléments objectifs et précis ; qu’en se bornant à relever que les procès-verbaux de réunions du comité d’établissement de la division finance et du CHSCT CSP-CF faisaient état d’une «aggravation des conditions de travail », du « turn-over des salariés», de «l’apparition d’un stress lié aux évolutions de plus en plus permanentes de l’entreprise», de la «perte de repère d’appartenance à une filière métier», d’un «gâchis en termes de compétences», d’un «management par la terreur» ou de «pressions exercées par les salariés» et que les réorganisations de l’entreprises ont été «ressenties» au sein de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux, sans jamais relever un seul exemple précis de cette prétendue dégradation des conditions de travail ou un seul élément précis illustrant le stress ou la pression subie par les salariés de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4614-12 (ancien article L. 236-9, alinéa 2) du code du travail ;
  2. que pour contredire les allégations imprécises et subjectives des représentants du personnel, la société France Télécom faisait valoir que différents éléments objectifs concordants excluaient toute situation préoccupante pour la santé ou la sécurité des salariés de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux ; qu’elle exposait ainsi que ni le CHSCT, ni les délégués du personnel n’avaient eu recours à une enquête ou exercé leur droit d’alerte face aux faits invoqués pour motiver le recours à une expertise, que ni l’inspecteur du travail, ni le médecin du travail n’avaient constaté l’existence de stress ou de souffrance morale au sein de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux, que le médecin du travail attestait même n’avoir reçu aucun collaborateur en situation de stress en 2007, que les documents d’évaluation des risques professionnels de 2006 et 2007 concluaient que les risques liés à l’organisation du travail, au nombre desquels figure le stress, étaient classés parmi les risques les moins importants dans l’établissement, que le nombre d’accidents du travail était en diminution en 2006 et 2007 et que, sur l’année 2007, le nombre de jours d’arrêt maladie était, en moyenne de 2,66 dans l’établissement d’Issy-les-Moulineaux ; qu’en s’abstenant de s’expliquer sur ces éléments objectifs et précis, qui contredisaient les allégations des représentants du personnel, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ;
  3. que pour admettre l’existence d’un risque grave au sein de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux, la cour d’appel s’est encore fondée sur des attestations établies par certains représentants du personnel qui y relataient des faits qui leur avaient été dénoncés par certains salariés, tels que l’obligation d’effectuer des heures supplémentaires non payées, des pressions dans l’exécution des fonctions, des brimades, des propos incorrects et un manque de respect de managers, des situations d’isolement ou d’absence de soutien, sans jamais citer le nom des salariés concernés ; qu’en se fondant sur ces attestations qui ne permettaient pas à la société France Télécom d’identifier les salariés qui auraient été victimes de ces pratiques et qui, par suite, la plaçaient dans l’impossibilité d’y apporter toute contradiction, au motif que les auteurs de ces attestations avaient affirmé qu’ils ne souhaitaient pas exposer les salariés concernés à des risques de représailles en révélant leur identité, la cour d’appel a violé ensemble le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 16 du code de procédure civile ;
  4. que l’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés ; qu’en se fondant sur les attestations établies par des représentants du personnel qui ne comportaient que la relation indirecte des propres dires de certains salariés, et non la relation directe de faits auxquels les auteurs de ces attestations auraient personnellement assisté ou qu’ils auraient eux-mêmes constatés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 202 du code de procédure civile et L. 4614-12 du code du travail ;
  5. que selon de l’article L. 4614-12 du code du travail, ce n’est qu’au cas où un risque grave est constaté dans l’établissement qu’une expertise peut être ordonnée par le CHSCT ; qu’en se fondant sur les faits évoqués par les représentants du personnel dans les procès-verbaux de réunions du Comité d’établissement de la division finance qui, selon ses propres constatations, a un périmètre supérieur à celui du CHSCT CSP CF, la cour d’appel n’a pas caractérisé la situation particulière de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux où est implanté le CHSCT qui avait décidé de recourir à l’expertise contestée ; que la cour d’appel a, par conséquent, privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ;
  6. que la société France Télécom faisait valoir que le point «Suivi du dossier de l’évolution du centre de services partagés comptabilité France (CSPCF) » figurant dans plusieurs comptes-rendus de réunions du comité d’établissement de la division finance ne concernait pas le seul établissement d’Issy-les-Moulineaux, mais neuf établissements dédiés au centre de services partagés comptabilité France ; qu’en relevant que, selon certains procès-verbaux de réunion du comité d’établissement, les élus avaient fait état « d’une aggravation des conditions de travail et de l’apparition d’un stress lié aux évolutions de plus en plus permanentes de l’organisation de l’entreprise donnant en exemple le CSP comptabilité France», la cour d’appel n’a donc pas fait ressortir la situation particulière de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux ; que sa décision reste par conséquent dénuée de motif au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ;
  7. qu’en affirmant que les élus du comité d’établissement de la division finance avaient fait état de « propos de salariés travaillant sur le site d’Issy-les-Moulineaux» dans le procès-verbal de réunion du 20 décembre 2007, cependant qu’il résultait des termes clairs et précis de ce procès-verbal que le seul point à l’ordre du jour de cette réunion relatif à l’établissement d’Issy-les-Moulineaux était une « Information sur le projet de reprise de l’activité comptable d’Orange Réunion par le CSPCF », qu’au cours des discussions sur ce point, les représentants du personnel s’étaient bornés à poser des questions pratiques sur ce projet de reprise d’activité et qu’aucun propos de salarié de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux n’avait été mentionné, la cour d’appel a violé l’interdiction faite au juge de dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;
  8. qu’en se fondant sur le « ressenti » de certains salariés de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux résultant des réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise au cours des deux années précédentes, sans caractériser la gravité du risque en découlant, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ;
  9. que si la loi ne conditionne pas le recours à l’expertise à l’épuisement préalable des moyens dont dispose le CHSCT d’analyses des risques professionnels, d’enquêtes ou d’inspections, la mise en œuvre préalable de ces moyens est un critère d’appréciation de la gravité du risque invoqué par le CHSCT ; qu’en particulier, la circonstance qu’aucun des membres du CHSCT n’ait exercé son droit d’alerte qui doit être mis en œuvre en cas de danger grave et imminent, doit peser sur l’appréciation de l’importance de risque de suicide invoqué par le CHSCT pour justifier le recours à l’expertise ; qu’en l’espèce, les membres du CHSCT, bien que n’ayant jamais exercé leur droit d’alerte, justifiaient le recours à une mesure d’expertise en expliquant que « certains salariés se trouvent à la limite d’une action suicidaire » ; que, néanmoins, pour écarter le moyen de la société France Télécom qui soulignait que le CHSCT n’avait usé d’aucun des moyens d’investigation et d’enquête à sa disposition face à la situation dénoncée pour motiver l’expertise, la cour d’appel s’est bornée à affirmer que la loi ne conditionne pas le recours à l’expertise à l’épuisement préalable des moyens dont dispose le CHSCT d’analyses des risques professionnels, d’enquêtes ou d’inspections internes ; qu’en statuant de la sorte, elle a privé sa décision de motif au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail ;

Mais attendu, d’abord, que la société France Télécom n’a pas invoqué devant la cour d’appel la violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

Attendu, ensuite, que l’arrêt relève que les fusions d’entités, les fermetures de sites, les transferts d’activités menées deux années auparavant avaient abouti à une compression des effectifs et obligé à des déménagements nombreux, à la disparition de certains emplois sans soutien pour les salariés démunis de tout travail, à une aggravation des conditions de travail et à l’apparition d’un stress sur le site d’Issy-les-Moulineaux lié aux évolutions permanentes de l’organisation de l’entreprise, que les attestations des représentants du personnel établissaient l’existence d’un ressenti des salariés exposés ou d’une situation objectivement dangereuse pour l’équilibre de leur santé mentale, comme un isolement total, l’obligation d’effectuer de façon quasi permanente des heures supplémentaires, le recours à des anti-dépresseurs ; qu’en l’état de ces motifs dont elle a déduit que le risque grave d’atteinte à la santé des salariés de l’établissement d’Issy-les-Moulineaux était établi et qu’il justifiait le recours à l’expertise contestée, la cour d’appel a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen, irrecevable en ses troisième et quatrième branches est mal fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société France Télécom aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du CHSCT du centre de services partagés comptabilité France de la société France Télécom ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille onze.


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