Actions sur le document

La Cour de cassation clarifie les conditions de validité de la clause de mobilité

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Fabien Crosnier, 25/04/2018

Par un arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation apporte une clarification bienvenue sur la question de la validité des clauses de mobilité visant les implantations futures de l’employeur.
1.
La présence d’une clause de mobilité dans un contrat de travail acceptée par le salarié permet à l’employeur d’affecter ce dernier en dehors du secteur géographique dans lequel il travaille, sans avoir à obtenir son accord. La clause doit suivre des conditions de validité et sa mise en œuvre n’est pas sans limites.
La Cour de cassation considère ainsi traditionnellement qu’une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application et qu’elle ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée. (1)

La validité d’une clause de mobilité géographique est donc subordonnée au respect de deux conditions distinctes cumulatives :

- elle doit définir avec précision son champ d’application géographique
- elle ne doit pas conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée

(1) Cass. soc. 14 octobre 2008, n° 06-46400

2.
La clause ne définit pas avec précision son champ géographique et est donc entachée de nullité lorsqu’elle se borne à prévoir que « vous pourrez être appelé à intervenir sur l'ensemble du territoire national, mais aussi à effectuer des missions à durée variable dans tous pays » . (2)

Contrairement aux clauses de non-concurrence, peu importe, s’agissant des conditions de validité de la clause de mobilité géographique, que son champ d’application soit très étendu dans l’espace (ex. : tout le territoire métropolitain voire même tout le territoire français) : il faut et il suffit que le périmètre de mobilité soit déterminé avec précision et qu’il ne soit pas libellé de telle sorte que l’employeur puisse en étendre unilatéralement la portée : « considérant […] que la zone géographique d'application de la clause de mobilité est l'ensemble du territoire français ; qu'elle n'est donc pas imprécise ; qu'en conséquence, elle n'est pas illicite ; » . (3)

(2) Cass. soc. 26 mai 2010, n° 09-40422
(3) CA PARIS, 30 janvier 2008, n° 05-7042

3.
La clause laisse à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée et est donc entachée de nullité lorsqu’elle prévoit que « Le secteur initial d'intervention sera susceptible d'être modifié à tout moment selon les besoins de l'entreprise, en effet les zones indiquées n'auront aucun caractère de fixité et pourront varier au gré de la société » . (4)

(4) Cass. soc. 21 février 2007, n° 05-45319

3.1
Jusqu’en 2013, lorsqu’une clause de mobilité prévoyait que le salarié pourrait être affecté dans l’un quelconque des établissements de l’employeur sans davantage de précision, la Cour de cassation estimait que la clause était valable mais que son champ d’application géographique se limitait aux seuls établissements existant à la date de la conclusion de la clause.

Ainsi, dans un arrêt du 20 décembre 2006, où la clause prévoyait que « le lieu de travail de la salariée est fixé à Loiron, étant entendu qu'en fonction des besoins de la société, la salariée pourra être transférée en tout autre endroit en France, ce qui est accepté par elle », la Cour de cassation a décidé que « c'est par une interprétation nécessaire de la clause de mobilité litigieuse que la cour d'appel a estimé qu'elle ne s'appliquait qu'aux seuls établissements ou agences de la société Futura finances existants au moment de la signature du contrat en 1998 et par rapport auxquels la salariée a pu se déterminer et donner un accord valide » . (5)

La Cour de cassation considérait donc qu’il fallait interpréter la clause en en limitant la portée aux établissements existants à l’embauche du salarié sans l’invalider pour autant.

Cela étant, dans un arrêt du 20 février 2013, la Chambre sociale avait déclaré nulle pour indétermination de son objet la clause aux termes de laquelle le salarié s’engageait à accepter par avance « toute mutation en tout lieu où le groupe GEODIS est implanté en France et DOM/TOM, soit en son nom propre, soit par l’intermédiaire des sociétés filiales ou alliées » . (6)

La Cour avait en effet retenu que « la clause par laquelle la salariée s’engageait à accepter à l’avance une mutation en tout lieu où l’employeur ou une autre société du même groupe est implanté était nulle en raison de son indétermination même si elle n’impliquait pas nécessairement un changement d’employeur ».

Il convient pourtant de signaler que, dans cette affaire, le champ d’application de la clause était précisément identifié (France – ou plus exactement, compte tenu de sa rédaction, territoire métropolitain – et DOM/TOM) et que la lettre de la clause ne laissait pas à l’employeur ou à une autre société du groupe le pouvoir de modifier unilatéralement les frontières externes de la zone de mobilité.

En revanche, il est exact que cette clause permettait à l’employeur ou à une société tierce de modifier, à l’intérieur de cette zone, le nombre et l’emplacement des lieux possibles d’affectation en créant un nouvel établissement ou en déplaçant un établissement préexistant. Or, plutôt que de limiter le champ d’application géographique de la clause aux seuls établissements existant à la date de la conclusion du contrat de travail, la Cour de Cassation a constaté la nullité de la clause dans son ensemble.

En synthèse, tant dans son arrêt de 2006 que dans celui de 2013, la Cour de cassation avait entendu condamné la pratique consistant pour l’employeur à se réserver la possibilité de muter un salarié dans un établissement futur quand bien même celui-ci aurait été situé à l’intérieur du périmètre géographique défini par la clause de mobilité. Seule la sanction différait : réfaction en 2006, nullité en 2013.

(5) Cass. soc. 20 décembre 2006, n° 05-43757

(6) Cass. soc. 20 février 2013, n° 11-27612

3.2 La Cour de cassation a, cependant, fait évoluer sa jurisprudence à partir de 2014.
Ainsi, dans un arrêt du 9 juillet 2014 où une clause de mobilité permettait à l’employeur de modifier le lieu de travail « dans la limite géographique du territoire français », les juges du fond avaient relevé « que la seule mention du « territoire français » ne [pouvait] suffire à [la] rendre précise […] puisque n’excluant pas les DOM/TOM [et ne permettant pas] de savoir si elle concernait les établissements existants ou également ceux à venir. » (7)

Autrement dit, tout s’était passé comme si, pour la Cour d’appel, une clause de mobilité devait, pour être valable, soit exclure expressément la possibilité de muter le salarié dans un établissement n’existant pas encore à la date de sa conclusion, soit énumérer limitativement tous les lieux d’affectation possibles.

La Cour de cassation a cependant censuré les arrêts attaqués aux motifs que « la clause de mobilité définissait de façon précise sa zone géographique d'application et ne conférait pas à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée ».

La portée de cet arrêt était double.

En premier lieu
, là où certains auraient pu s’émouvoir du caractère disproportionné d’une telle obligation, la plus haute juridiction elle-même reconnaissait expressément la validité des clauses de mobilité s’étendant à la France entière.

En second lieu, en reprochant aux juges du fond d’avoir déduit le caractère imprécis (et, comme tel, illicite) de la clause du fait que celle-ci ne permettait pas de savoir si elle se limitait aux seuls établissements actuels ou si elle englobait également ceux à venir, la Cour de cassation avait semblé ouvrir une brèche en faveur de la possibilité de prévoir, dans une clause de mobilité, la possibilité de muter le salarié dans des établissements futurs (pour autant que ceux-ci soient situés à l’intérieur du périmètre géographique délimité par les parties).

Le doute était toutefois permis dans la mesure où, dans l’arrêt de 2014, la clause litigieuse ne visait pas expressis verbis les établissements futurs.

Mais si une ambiguïté pouvait subsister en 2014, la Cour de cassation vient de la dissiper par un arrêt du 14 février 2018. Dans cette affaire, une clause de mobilité prévoyait que le salariée b[« pourrait être mutée dans l'un de nos établissements actuels et/ou futurs en France » ]b(s’ensuivait une énumération de villes dans lesquelles l’entreprise était implantée, ponctuée de points de suspension, signifiant par-là l’absence de caractère limitatif de l’énumération).

Contrairement à l’arrêt de 2014, la clause dont il était question ici prévoyait donc expressément la possibilité pour l’employeur de muter la salariée dans l’un de ses établissements futurs (pour autant que celui-ci soit situé en France).

La Cour de cassation n’en a pas moins conclu à la validité de la clause aux motifs que son périmètre était suffisamment précis.

(7) Cass. soc. 9 juillet 2014, n° 13-11.906/907/908/909



*

En conclusion, la clause de mobilité par laquelle l’employeur se réserve la possibilité de muter le salarié non seulement dans ses établissements actuels mais aussi dans ceux qui n’existent pas encore à la date de sa conclusion, est dorénavant valable dès lors qu’elle fixe avec précision son champ d’application géographique.

Prudence cependant : ce n’est pas parce qu’une clause de mobilité est valable qu’elle peut être régulièrement mise en œuvre. Encore faut-il qu’elle ne se traduise pas par une atteinte injustifiée et/ou disproportionnée à la vie personnelle et familiale du salarié. Un débat dont on mesure le caractère hautement casuistique.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...