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Attention, danger !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/05/2020

L'Assemblée nationale ne devrait pas tomber dans l'amnésie pour certaines amnisties. Ce qu'elle prévoit est un coup fourré à la normalité démocratique. Attention, danger !

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L'opinion publique n'est-elle pas encore assez défiante, hostile à l'égard de la classe politique, gauche et droite confondues ?

Le pouvoir et le Parlement ont-ils perdu la mémoire des lois d'amnistie dans les années 90 qui ont scandalisé les citoyens et amorcé un mouvement d'inéluctable désaffection envers ces ministres et ces élus qui ne songeaient qu'à se tirer d'affaire en privatisant d'une certaine manière la loi ?

Un amendement de la majorité sénatoriale, contre l'avis du Premier ministre, a pourtant décidé l'auto-amnistie des décideurs publics et privés qui auraient à agir durant la période de déconfinement. Maintenu, il aurait été une bombe.

L'Assemblée nationale, par un amendement conjoint de LREM et du MoDem - à dire vrai, Laurence Vichnievsky à la manoeuvre ne me rassure pas plus comme députée qu'hier comme magistrat - croit être finaude en proposant une disposition parfaitement inutile puisqu'elle invite les juges, le moment venu, à examiner la responsabilité juridique des employeurs, des élus locaux et des fonctionnaires "in concreto", au regard de l'ensemble des éléments qui ont inspiré la mesure contestée.

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Ce qui constitue la démarche même de toute justice équilibrée. Autrement dit, on croit prudent de rappeler aux juges leurs devoirs et de les mettre en garde contre les aberrations qui pourraient naître de leur appréhension de la réalité en question. C'est l'application grotesque d'un principe de précaution dans un domaine qui ne tolère rien d'autre que la liberté et l'indépendance. Même une épée de Damoclès un peu molle est de trop !

Cet amendement, s'il est inutile, superfétatoire, n'est proposé donc, par atténuation tactique de celui du Sénat, qu'à cause de l'implacable mécanique, si les choses restaient en l'état, contraignant les décideurs publics et privés à plaider l'amateurisme et les fluctuations du pouvoir pour éviter d'être condamnés. L'aval invoquerait forcément la médiocrité de l'amont.

L'Assemblée nationale, au lieu de chercher à rapiécer maladroitement l'amendement sénatorial, ferait mieux de s'en tenir au statu quo de la loi Fauchon du 10 juillet 2000. Tout s'y trouve pour être demain équitable et juste.

Elle a permis "un équilibre entre la pénalisation excessive des faits non intentionnels et la déresponsabilisation de leurs auteurs". Quelle douceur supplémentaire à instiller en plus maintenant ? (Mediapart).

Le Premier ministre, dont le flair politique et parlementaire est indéniable, a mesuré ce que cette volonté de changer une bonne loi au regard des seules circonstances d'aujourd'hui aurait de dévastateur. Il a assez à faire avec ses propres obligations et responsabilités sans s'occuper déjà d'exonérer qui que ce soit pour le futur.

L'Assemblée nationale ne devrait pas tomber dans l'amnésie pour certaines amnisties. Ce qu'elle prévoit est un coup fourré à la normalité démocratique.

Attention, danger !


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