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L'Eglise catholique n'a pas de leçons politiques à recevoir...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 31/08/2015

Ce serait une tragique ironie de notre histoire que le FN parvienne au pouvoir sans avoir été vu ni rencontré, ostracisé par tous sauf par les électeurs

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L'Eglise catholique est décidément bonne fille !

Parce que Marion Maréchal-Le Pen a été invitée à participer à une table ronde de deux heures, en compagnie d'autres personnalités, sur "l'engagement chrétien en politique" dans le cadre de quatre jours consacrés à "la vérité", quel émoi !

C'est l'évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey, qui a eu cette initiative au nom de l'Observatoire politique de ce diocèse, dans un département où le FN suscite l'adhésion de 40% de l'électorat.

L'Eglise catholique est tout de même trop complaisante à l'égard des procès injustes qu'on lui intente alors qu'en l'occurrence on devrait la remercier pour avoir organisé un tel débat sur un thème aussi passionnant que peu traité.

Mgr Rey a dû se justifier en soulignant que "l'Eglise ne cautionnera jamais un parti politique ou toute formation dont les thèses seraient contraires à ses valeurs relatives à l'immigration, à la vision de l'homme et du vivre-ensemble dans une société pluraliste".

Cela apparemment n'a pas suffi puisque la Conférence des évêques de France, subtilement, a donné l'impression de se désolidariser de cette démarche pourtant légitime.

Il n'est jamais inutile de rappeler, même si ces considérations sont négligées, que le FN n'est pas interdit, qu'il n'est pas au pouvoir et que ses propositions sociales, politiques et économiques sont contestées autant que l'argumentation de ses adversaires le permet.

Il n'est pas non plus sans intérêt de souligner que l'électorat catholique est divisé et que, s'il y a au sein de celui-ci une vision irénique de gauche, sa majorité le porte à soutenir des positions et des projets qui renvoient à une vision conservatrice de la société et à une conception structurante de la loi.

Il est donc pour le moins normal qu'il y ait autant de familiarité intellectuelle et politique de l'Eglise avec le FN qu'avec les autres partis qui s'opposent à lui.

Je n'ai pas aimé la manière dont certains ont questionné - à la place des catholiques concernés qui ont encore le droit de penser, de sentir et de choisir librement - les problèmes de conscience, d'éthique et les exigences de la foi. Si les catholiques se gardent bien de donner des leçons, ils n'ont pas non plus à en recevoir, surtout dans un domaine qui relève de l'intimité de chacun et du seul arbitrage du citoyen. Claude Bartolone, chrétien ou non, peut bien se dire "choqué" devant les militants socialistes, cette allégation n'a aucune valeur autre que démagogique et intrusive.

L'Eglise catholique n'a pas à être sermonnée sur le plan religieux. Elle n'a pas davantage à se voir dicter sa conduite en politique.

Les valeurs de l'Evangile, qu'on lui enjoint de respecter en se servant, par exemple, des propos progressistes mais non idéologiques d'un pape dont on conteste par ailleurs la constance et la fidélité pour le dogme, sont une lumière mais elles ne sont pas l'action. Elles offrent une large palette mais le politique choisira la couleur et composera le tableau.

A supposer qu'on s'accorde sur elles en ne privilégiant pas un Jésus révolutionnaire au détriment de l'autre conseillant à chacun de distinguer ce qui est dû à Dieu et à César, ou inversement, elles n'aideraient pas à ouvrir des chemins opératoires et univoques, toutes d'abstraction généreuse, singulière et enthousiasmante, au sujet du rapport à l'autre, de l'immigration et de l'islam. Elles guident par des généralités nobles mais on ne sait que trop que les politiques de bonne foi, quelle que soit leur tendance, les réchauffent dans leur coeur mais ne s'en servent pas pour administrer et gouverner. On peut le regretter mais c'est comme cela. Notre laïcité triomphante ne serait pas loin de protester face à une pratique politique qui tenterait au moins de s'inspirer de l'enseignement de l'Evangile tel qu'elle l'aurait interprété.

Quand Marion Maréchal-Le Pen affirme "qu'elle a choisi le FN car c'est là que la cohérence est la plus grande entre la raison de la foi et la raison de la politique" et qu'elle tente de le démontrer par l'opposition de son parti à certaines lois ou à certains projets, je ne suis pas sûr qu'elle ait raison car on peut "privatiser" l'Evangile sur un mode inverse et le camp antagoniste se parer de plumes religieuses auxquelles il n'adhère pas forcément.

Il est clair en tout cas que l'Evangile n'est en aucun cas un alibi pour ne rien faire, évacuer le réel ou développer une mansuétude jusqu'aux pires extrémités. Sorti des dénonciations enflammées et des globalisations faciles, comme le Premier ministre s'y est abandonné devant les militants socialistes qu'il a eu la flatterie de qualifier "d'irremplaçables", le réalisme gouvernemental, pour lutter, aujourd'hui, contre les dangers de toutes sortes qui nous menacent, se distinguera à peine du pragmatisme de demain mis en oeuvre par la droite classique.

Comme les leçons de l'Evangile sont, malgré les apparences, d'une tonalité équivoque, dure ou douce, elles n'induisent rien d'automatique et la morale religieuse ne fait pas nécessairement une politique morale. La seule manière de le laisser croire est de caricaturer au-delà de tout l'adversaire pour persuader que soi-même on ne se permettra jamais ce qu'il n'a au demeurant jamais projeté.

Ainsi, prétendre que le FN est hostile à tous les musulmans et que, si des juifs partent en Israël, c'est à cause de lui, comme le Premier ministre a osé sur l'estrade le soutenir, n'est pas digne. Le parti n'excuse pas tout.

A y bien réfléchir, il est un champ dans lequel les valeurs et les principes de la religion auraient du sens. Non pas le fond mais la forme. Il y a une manière honnête, honorable, loyale, sincère, exemplaire de conquérir le pouvoir et, je ne suis pas naïf, une manière imprégnée des mêmes qualités pour l'exercer. On ne peut pas reprocher à un pouvoir de ne pas tendre l'autre joue.

Le laxisme dogmatique de Christiane Taubira fait du bien à quelques-uns mais fait du mal à la société tout entière. Quand l'Evangile est-il vraiment respecté dans son esprit ?

Le mensonge, la manipulation, la trahison, l'injustice, le favoritisme, le mépris et le culte de soi, contre le bien commun et l'intérêt public, sont eux aux antipodes des valeurs chrétiennes : pourtant, alors qu'on devrait et qu'on pourrait respecter ces dernières, on les transgresse. La religion est invoquée quand elle ne peut servir à rien et quand elle le peut, on la néglige, on l'oublie. C'est ce qu'a très bien démontré Hervé Mariton qui a remplacé Valérie Boyer à cette table ronde puisqu'il a condamné le "cynisme" du FN, en se situant donc sur le bon terrain. Celui des modalités de la politique et de l'éthique personnelle.

Comme l'a lumineusement expliqué Guillaume Tabard (Figaro Vox), l'Eglise catholique, en toute dignité et pluralisme, n'aurait pas le droit d'inviter le FN et Marion Maréchal-Le Pen mais les médias pourraient, eux, au nom de l'information, multiplier les rencontres, les débats et les confrontations avec le FN sans être jamais critiqués et ses adversaires politiques ne jamais refuser d'être mis en face de lui sans être le moins du monde vilipendés ?

Encore une fois, l'Eglise catholique est un bouc émissaire idéal. Quand on n'a plus rien contre elle - le formidable Pape François a changé la donne -, on trouvera toujours une première page du Monde pour faire d'un exercice démocratique évident une catastrophe ou l'annonce d'un bouleversement. Rien de ce qui concerne l'Eglise catholique ne doit échapper à l'air du soupçon !

On va aboutir à ce saumâtre paradoxe que, plus le FN va monter dans l'électorat - la médiocrité du pouvoir et de son opposition en sera responsable - et plus ce parti va se purifier éthiquement en se débarrassant du pire et en se campant dans une politique alternative, moins il conviendra de le fréquenter.

Ce serait une tragique ironie de notre histoire que le FN parvienne au pouvoir sans avoir été vu ni rencontré, ostracisé par tous sauf par les électeurs.


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