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Le réquisitoire d'Henri Guaino

Justice au singulier - philippe.bilger, 15/04/2013

Son ignorance totale en l'occurrence ne saurait l'exonérer de tout. J'aimerais paraphraser Chamfort disant de quelqu'un qu'il courait après l'esprit et qu'il pariait pour l'esprit. Je parie pour la justice, Henri Guaino lui courant après.

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Si Henri Guaino est renvoyé un jour devant le tribunal correctionnel de Paris pour les insultes et outrages répétés qu'il a proférés à l'encontre du juge Gentil avec une délectation suicidaire, il aura auprès de lui un très grand avocat d'assises adepte et défenseur de la liberté d'expression, surtout quand elle pourfend et offense les magistrats. Sa détestation de ceux-ci, judiciairement efficace et médiatiquement rentable, fera bon ménage avec l'étrange républicain, tantôt foudre tantôt complaisance, qu'est Henri Guaino. Je n'ai pas l'ombre d'un doute : il constituera un couple d'enfer avec Me Eric Dupond-Moretti.

J'ai conscience de lasser en revenant sur cette empoignade mais trois motifs au moins m'ont déterminé à le faire.

Un jour, j'ai rencontré Henri Guaino et je n'oublie pas qu'il a fait preuve à mon égard de gentillesse et d'écoute que j'espère lui avoir rendues. Dans le quinquennat de l'inconditionnalité, il a apporté quelque chose qui ressemblait parfois à des esquisses de parler vrai. Je n'ai pas été le seul à lui en savoir gré. Aujourd'hui, je ne parviens pas à oublier ce qu'il fut en dépit de ce qu'il a dit et qui, quoi qu'il en ait, laissait plus l'exaltation le gouverner que la pensée.

J'ai peur aussi que lors du procès, s'il a lieu, comme d'habitude le parquet soit infiniment prudent, ménageant le présent au nom du futur et laissant tout l'espace à ces deux personnalités dont l'alliance conjoncturelle sera redoutable au détriment de la mesure. Je ne connais pas l'avocat choisi par l'Union syndicale des magistrats mais il n'aura pas une partie facile même pour rappeler des évidences et fustiger l'inqualifiable. Quant au président, il sera maître de l'audience ou bien le rouleau compresseur d'Eric Guaino le réduira à la portion congrue. Il y a de quoi être inquiet d'autant plus que la majorité des médias sera, ainsi qu'il est naturel pour eux, du côté de la machine de guerre et de parole contre la magistrature, sauf quand cette dernière met en cause des politiques avares de confidences et donc peu aimés.

Pourtant, j'ai eu de l'espoir quand on m'a annoncé que sur le plateau des 4 Vérités sur France 2 (lemonde.fr), le député UMP des Yvelines avait déclaré que "la démagogie est la maladie mortelle de la démocratie, de la République et des peuples libres" et qu'il craignait "une société du soupçon, une société de la suspicion, une société de la présomption de culpabilité, une société de la jalousie, de l'envie, ce qu'il y a de plus détestable".

Un moment, je me suis imaginé qu'Henri Guaino, pris d'une sorte de remords et de regret - ce qui, je l'admets, n'est pas son genre - avait décidé, grâce à une lucide contrition, de s'accabler lui-même en dénonçant les propos scandaleux dont il avait abreuvé le magistrat bordelais en ne connaissant rien, il faut le souligner, de ce dernier, de sa pratique, du dossier et évidemment des interrogatoires et confrontations concernant Nicolas Sarkozy qui était encore, à l'entendre, le représentant de la France. Nostalgie, quand tu nous tiens !

Cela n'a pas duré plus qu'un court moment. Car, avec mauvaise foi, je m'étais plu à détourner le sens de son intervention parce qu'elle s'accordait si bien, en dépit de son objet différent, avec la repentance qu'il aurait dû manifester. En effet, rien n'était plus "démagogique, soupçonneux, suspicieux, présomption de culpabilité, jaloux, envieux, détestable" que les charges indignes d'Henri Guaino "se payant", avec quel enthousiasme populiste et sûr d'être flatté, ce juge d'instruction.

Malheureusement, Henri Guaino avait réservé et limité sa belle révolte et dénonciation à ce qui le concernait directement et son envolée polémique ne se rapportait qu'à l'éventuelle publication de son patrimoine, de ses revenus et même de sa feuille d'impôts, mais il paraît que cette ultime transparence sera écartée pour des raisons tenant à la confidentialité due aux tiers.

Il est touchant de constater comme à droite un consensus s'est dégagé contre "ce déballage grotesque", ce "voyeurisme", cet "écran de fumée", cette démarche qui "va forcément créer des tensions et peut-être même, ça et là, créer de l'insécurité vis-à-vis des intéressés". Ceux qui n'auraient pas manqué de blâmer le laxisme en matière de morale publique des socialistes - comme ceux-ci ne s'en seraient pas privés dans l'opposition - refusent pourtant des initiatives qui, pour n'être sans doute pas décisives, représentent un progrès. Les grands mots sont utilisés, notamment par Henri Guaino, à proportion du caractère peu noble de cette défense collective et corporatiste. On se bat moins en faveur de l'argent que pour son secret. Pourquoi ? Qu'a-t-on à cacher ?

Comme, cependant, le réquisitoire remarquable d'Henri Guaino aurait été plus juste s'il avait été adapté à sa propre remise en cause, à une prise de conscience qui, même tardive, aurait eu du mérite surtout de la part d'un caractère entier !

Je me sens dans une situation non pas inconfortable mais singulière : je viens au soutien de la fonction de juge de Jean-Michel Gentil alors que je ne le connais pas personnellement et que par conséquent je n'ai aucun préjugé d'aucune sorte à son égard, contrairement aux assauts clairement concertés de plusieurs avocats. Je suis tout prêt, par ailleurs, à la suite d'une page très complète du Monde sur le dossier et les charges, à admettre qu'elles sont "ténues" et à supputer donc des réquisitions de non lieu en faveur de Nicolas Sarkozy qu'il serait peut-être avisé de suivre. Mais cet avenir probable n'est pas de nature à atténuer ni à excuser la violence indécente et les qualificatifs méprisants déversés par Henri Guaino sur Jean-Michel Gentil.

Son ignorance totale en l'occurrence ne saurait l'exonérer de tout. J'aimerais paraphraser Chamfort disant de quelqu'un qu'il courait après l'esprit et qu'il pariait pour l'esprit.

Je parie pour la justice, Henri Guaino lui courant après.


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