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Stéphane Hessel : la frénésie de l'admiration

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/02/2013

La frénésie de l'admiration est une passion dangereuse : elle conduit à un trop-plein.

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Il y a dans l'admiration vraie une richesse, une douceur, une chance qui font infiniment de bien à ceux qui l'éprouvent.

Bien plus qu'à ceux qui l'inspirent quand ils sont encore des nôtres.

Mais l'admiration vraie, pour être acceptée par tous, ne doit pas s'éloigner de la mesure et de la plausibilité. Ni tomber dans une sorte de frénésie qui la disqualifierait et la rendrait ridicule aux yeux de beaucoup. L'excès détourne de l'adhésion au lieu de la favoriser.

Comment ne pas songer à ce beau sentiment et à ses possibles dérives quand la mort de Stéphane Hessel - Un juste, titre Libération - met en évidence la distance qui devrait distinguer l'hommage de l'idolâtrie ? La révérence à l'égard d'une personnalité respectée mais discutée du consensus de tout un peuple autour d'une figure incontestable ? Victor Hugo de Stéphane Hessel ?

A l'initiative d'Eva Joly, d'Etienne Pinte, de Pouria Amirashi et de deux historiens, une pétition réclame l'entrée au Panthéon de Stéphane Hessel. Elle sera, elle est déjà signée par de nombreux soutiens. "Nous souhaitons que le sens du combat perdure et soit reconnu". Le Panthéon au service d'une cause politique.

En effet, d'un combat qui n'a tout de même pas été mené par un pur esprit et sans rapport aucun avec les enjeux d'aujourd'hui. "La vie de Stéphane Hessel se confond avec son inlassable combat pour les droits de l'homme, de la Résistance aux sans-papiers" (Libération). Se soucier des droits de l'homme - ce qui en dehors de malades, de tueurs et de dictateurs - est tout de même une préoccupation commune.

Pour sa part, Stéphane Hessel a volontiers ciblé son action et orienté sa compassion vers ceux qui, sur le plan international ou en France, avaient besoin d'être défendus parce que leur violence, leur terrorisme ou leurs transgressions les mettaient légitimement en accusation. Ce n'est pas parce qu'on s'est penché avec tolérance, voire complaisance sur certains qu'on doit être sur-le-champ encensé pour l'éternité.

Je me souviendrai toujours dans "Indignez-vous" de ce passage où Stéphane Hessel louait l'amour des enfants chez les Palestiniens alors que lors du blocus de Gaza ils les tenaient pour s'en servir comme boucliers.

Souligner que Stéphane Hessel, en dépit de l'effort contraire de thuriféraires prompts à l'embaumer, n'a pas sa place au Panthéon n'est pas porter atteinte à sa mémoire ni diminuer ses mérites ni offenser son aura qui, quoi qu'on pense de son humanisme à mon sens pas aussi universel qu'on le dit, n'est évidemment pas injustifiée. Il fait partie de ces rares êtres non pas à l'abri de tout mais en tout cas d'une mauvaise réputation. Il a été plus fort que les contradictions et les désaccords, que son immixtion généreuse et superficielle dans tout ce qui regarde le progressisme et le sectarisme du coeur, n'a pas cessé de susciter.

Au fond, le formidable succès de son petit libelle - Indignez-vous - avec son injonction démagogique suivie dans tant de pays par des révoltes et des désespoirs collectifs a constitué Stéphane Hessel comme un maître - ce qu'il aurait détesté être - n'offrant rien d'opératoire à des jeunesses déboussolées et les éloignant au contraire, par ce conseil extrémiste et vain, du recours intelligent, modeste, patient et pragmatique à la politique. Il a amplifié une indifférence, un populisme que sa sagesse aurait dû tenter de réduire.

Quel bonheur, aussi, pour ceux que l'âge avait attiédis de se relancer symboliquement dans la lutte en proposant des slogans et des incitations à l'insurrection ! Rien de plus drôle à ce titre que de lire, sous l'égide de Stéphane Hessel et de Jean Daniel, "Insurgez-vous !" La révolution mise à la portée de tous!

Jean-Luc Mélenchon ne s'opposerait pas à sa panthéonisation si elle était décidée.

Six députés socialistes plus raisonnables que nos pétitionnaires se contenteraient d'un hommage national et le réclament au président de la République qui n'a sans doute pas assez de sujets importants à traiter pour qu'on y ajoute celui-ci caractéristique de cette tendance française régressive qui s'attache obsessionnellement à ce qui retarde, immobilise et pétrifie - au passé, à la mémoire, aux célébrations, aux commémorations, aux repentances et aux glorifications. L'avenir fait apparemment mal à la France.

Le Premier ministre qui n'est pas dénué de bon sens - ce qui est utile pour chasser les faux problèmes - déclare "qu'il faut laisser un peu le temps des choses. Je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il aurait souhaité ça, c'était un homme simple". Jean-Marc Ayrault a une manière élégante de sortir de cette nasse : il a totalement raison.

Du fils de la femme ayant hésité entre Jules et Jim au vieillard alerte et admiré, une vie, un parcours, une histoire exceptionnels. Faut-il les tuer une seconde fois en les solennisant au-delà du nécessaire, contre toute vraisemblance ?

Une conclusion par l'absurde qui mettra à bas, je l'espère, cette invocation au Panthéon.

Le même jour que Stéphane Hessel est morte, à 93 ans, l'ancienne sénatrice Françoise Seligmann, grande résistante, figure du socialisme et collaboratrice de Pierre Mendès France. Politique exemplaire, féministe emblématique, militante des droits de l'homme, qualifiée de "vieille dame indignée de la gauche française", au nom de quoi faudrait-il refuser, dans cette course au Panthéon, à cette femme unique ce à quoi cet homme sublimé aurait droit ?

La frénésie de l'admiration est une passion dangereuse : elle conduit à un trop-plein.


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