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Dils, Heaulme et Leclaire : un trio dans l'ordre ou le désordre

Justice au singulier - philippe.bilger, 4/04/2014

La vie criminelle n'est jamais simple et la mort qui bouleverse et détruit des familles un scandale absolu.

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Deux enfants, Cyril Beining et Alexandre Beckrich, étaient massacrés à coups de pierre le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz en Moselle.

Patrick Dils est acquitté de ces crimes au mois d'avril 2002 après avoir été condamné à des peines lourdes à l'issue de deux procès antérieurs.

Il a été défendu par Me Jean-Marc Florand qui a toujours cru profondément en son innocence, ce qui n'est pas toujours le cas de certains conseils qui la plaident parfois sans être assurés de son authenticité.

La présence du tueur en série sur les lieux Francis Heaulme, dans des circonstances laissant présumer qu'il a pu jouer un rôle décisif dans ce double processus criminel, aboutit après un long délai à l'ouverture d'une information contre lui. Renvoyé devant la cour d'assises de Metz, il conteste avoir commis ces terribles agissements qui datent de 28 ans.

Un coup de théâtre se produit, comme on pensait qu'il ne pourrait en exister que dans les romans, qui voit réapparaître Henri Leclaire dans l'espace judiciaire.

Cet homme avait avoué les crimes le 10 décembre 1986 mais les enquêteurs avaient considéré que ses dires, sur des points non négligeables, ne correspondaient pas à la réalité des constatations opérées. En 2002, Heaulme le met en cause en déclarant l'avoir vu descendre d'un talus, son tee-shirt taché de rouge, et il va confirmer cette accusation devant la cour d'assises de Metz en 2014.

En 2013 cependant, Leclaire a bénéficié d'un non-lieu et c'est le témoignage, très tardif, de l'épouse d'un avocat qui va le remettre en 2014 sous les feux de l'actualité et sous une forte pression judiciaire. En effet, cette femme a indiqué avoir recueilli "sa confession spontanée il y a un an et demi" : Leclaire aurait agressé physiquement les enfants.

Ce dernier, comme il est naturel même s'il était entendu comme témoin, a durant plus de quatre heures été soumis, de la part du président et des parties à un rude et soupçonneux questionnement tel qu'en définitive, le procès a été renvoyé et une nouvelle information ouverte contre Henri Leclaire pour sa mise en examen de ces chefs criminels.

Je ne sais ce que cette procédure conclura. Leclaire a affirmé n'avoir pas tué les jeunes victimes et son avocat a souligné "que son client n'avait rien à craindre de l'oeuvre de justice".

Je tire la relation de cet interminable imbroglio d'un article très complet et éclairant de Timothée Boutry dans Le Parisien.

D'abord, le premier mouvement est de ne pas concevoir que la réalité ait pu être si tragiquement fertile et ingénieuse pour quasiment, à peu de chose près, réunir au même endroit un innocent qui lui aussi initialement avait avoué après avoir craqué sous la pression, un tueur en série indéniable et une personne suspectée aujourd'hui après avoir admis les faits en 86 - le doute policier s'étant attaché à ses propos et ne les ayant pas validés formellement.

On peut raisonnablement supputer que l'une de ces deux dernières personnes est l'auteur du crime de ces deux enfants à coups de pierre.

Mais quel frisson intellectuel et moral nous saisit à l'idée que Patrick Dils, si cette proximité n'avait pas été établie, aurait pu continuer à être accablé au regard de ses déclarations initiales si elles étaient telles qu'on les a rapportées à l'époque !

Le caractère surréaliste de cette scène de crimes où l'impossible côtoie le possible et le vraisemblable, où un criminel répétitif qui passait par là a été peut-être seulement le témoin de la présence ensanglantée d'un tiers, me semble quasiment unique dans la chronique criminelle.

Avec cette règle des trois unités qui faisait la tension et la force des tragédies classiques et qui en l'occurrence, en 1986, a donné à ce huis clos à l'air libre l'étouffante horreur d'une séquence ferroviaire.

Quel auteur de romans policiers, de "thrillers" aurait pu imaginer un tel affrontement, une telle coïncidence, sans qu'ils soient qualifiés d'invraisemblables ? La réalité - et c'est un poncif - non seulement dépasse parfois la fiction mais, plus encore, la ridiculise tant elle atteint des sommets que l'imaginaire n'oserait pas approcher.

Un innocent et deux interrogations.

La vie criminelle n'est jamais simple et la mort qui bouleverse et détruit des familles un scandale absolu.


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