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Et si en 2013, vous étiez juré d’assises?

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 4/01/2013

Vous rêvez d'une rupture de vie, vous aimeriez repousser vos limites, mieux vous connaître, partager une expérience de groupe inoubliable, secouer vos préjugés, et même, prendre le pouvoir sur les autres ? La République vous en offre une chance. Si vous êtes … Continuer la lecture

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Vous rêvez d'une rupture de vie, vous aimeriez repousser vos limites, mieux vous connaître, partager une expérience de groupe inoubliable, secouer vos préjugés, et même, prendre le pouvoir sur les autres ? La République vous en offre une chance. Si vous êtes un homme ou une femme de nationalité française âgé de plus de 23 ans, que vous êtes inscrit sur les listes électorales et détenteur d'une carte d'électeur, que vous n'avez pas été condamné à plus de six mois d'emprisonnement pour un crime ou un délit,  et que nous n'êtes ni membre du gouvernement, ni député, ni sénateur, ni magistrat ou fonctionnaire de l'administration pénitentiaire, vous compterez peut-être parmi ceux qui seront tirés au sort pour être juré d'assises en 2013.

Pierre-Marie Abadie est l'un de ceux-là. Ancien cadre de la Banque de France, il a eu la chance d'être retenu pour participer, en qualité de juré, à quatre procès d'assises. "L'expérience de juré est unique parce qu'elle est un acte rare de démocratie participative, sans représentant ni expert", écrit-il dans le précieux récit qu'il en a tiré, Juré d'assises, témoignage d'une expérience citoyenne et humaine (L'Harmattan). De cette aventure qui l'a profondément marqué, Pierre-Marie Abadie reprend chaque étape. Depuis la lettre officielle qu'il a tenu "du bout des doigts comme on tient un objet dangereux", l'informant qu'il était convoqué pour une session de trois semaines devant la cour d'assises et que sa présence y était obligatoire -  sous peine d'une amende de 3750 euros - jusqu'au moment où il se retrouve assis aux côtés des magistrats professionnels et investi "du terrifiant pouvoir de juger" sans y avoir été préparé. "Dans une société du travail où l'on gère les ressources humaines en fonction de compétences, d'évaluation, d'adéquation à un profil de poste et où la formation est un acte majeur, la situation du juré apparaît aux antipodes de tous ces marqueurs", écrit l'auteur.

La pression est d'autant plus forte que, dans ce rapport de forces qu'est le procès d'assises, le juré devient un objet de convoitise vers lequel convergent les regards du représentant de l'accusation, des parties civiles et bien sûr de la défense. "Il faut éprouver le regard de l'avocat sur le juré: il jauge, il épie, il évalue, il s'exhibe dans une parade de séduction que j'ai parfois trouvée triviale", poursuit-il.

De son expérience, Pierre-Marie Abadie est surtout revenu avec une conviction: le vrai pouvoir, dans une cour d'assises, ne s'exerce pas seulement à l'audience. Il en est un autre, moins connu, qui se joue dans les couloirs à l'heure de la suspension, autour de la machine à café et surtout, dans la salle des délibérés, ce lieu clos où se joue le sort d'un accusé. A ce jeu là, celui ou celle qui est revêtu de la robe et de l'autorité de président de la cour d'assises, peut se révéler redoutable. "Le président s'installe comme leader naturel du groupe, il en a l'uniforme, la capacité, l'autorité." Une appréciation glissée, l'air de rien, sur la qualité ou la médiocrité d'un argument de l'accusation ou d'une plaidoirie, une remarque valorisant la personnalité de tel procureur ou de tel avocat, une synthèse habile des débats, peuvent peser lourd sur des citoyens jurés souvent peu familiers de la prise de parole, intimidés par la solennité des lieux et la gravité de l'enjeu.

Mais les plus belles pages de ce récit sont peut-être celles qui sont consacrées au moment où, aux marches du palais, à la fin de la session, le groupe de jurés se disloque. "On regarde le palais de justice, théâtre de tant d'événements, où l'on avait un statut, où l'on jouait un rôle (...) Demain, on n'y viendra plus. Il redevient un bâtiment anonyme". La fonction régalienne qu'il a exercée lui est retirée aussi abruptement qu'elle lui a été accordée. "La vie de juré n'est qu'un bref "accident", une déviation éphémère de la normalité de son existence. Peu y sont soumis : elle ne peut donc changer le contrat social. Elle peut en revanche redessiner assez fortement le paysage intérieur de ceux qui l'ont vécue", assure l'auteur.

Lire également cette autre expérience de jurés devenus et restés amis après avoir partagé une session d'assises

 


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