Actions sur le document

Cinq ans d’emprisonnement avec sursis requis contre Nicolas Bonnemaison

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 23/10/2015

Voici, sous réserve de la prise de notes à l'audience, l'essentiel du réquisitoire prononcé vendredi 23 octobre, par l'avocat général Olivier Tcherkessoff, au procès de Nicolas Bonnemaison devant la cour d'assises d'appel de Maine-et-Loire à Angers : "Nous voici arrivés … Continuer la lecture

Lire l'article...

Voici, sous réserve de la prise de notes à l'audience, l'essentiel du réquisitoire prononcé vendredi 23 octobre, par l'avocat général Olivier Tcherkessoff, au procès de Nicolas Bonnemaison devant la cour d'assises d'appel de Maine-et-Loire à Angers :

"Nous voici arrivés au terme d'un procès particulièrement difficile. Par la gravité de son sujet, par la peur de la souffrance au travers des témoignages que nous avons entendus. Par la densité de ses débats. Et aussi parce qu'il a mis en lumière la difficulté quotidienne des médecins, leurs incertitudes et leurs contradictions, là où nous aurions tous besoin d'être rassurés.

Lorsque, avec mon collègue du parquet, nous sommes allés visiter une unité de soins palliatifs en préparant ce procès, on nous a fait passer ce message : la médecine, c'est la rencontre d'une confiance, celle du patient, avec une conscience, celle du médecin. On attend du médecin qu'il nous soigne et qu'il nous protège, particulièrement en fin de vie, quand on est le plus démuni, le plus vulnérable. Qu'il résiste aux pressions, à toutes les pressions, y compris celle qu'il peut ressentir intimement. Sans parler de la pression de la gestion des lits.

Toutes ces craintes, toutes ces impressions d'audience suscitées par des témoignages qui ne concernent pas le procès ne doivent pas nous envahir. Nicolas Bonnemaison n'est pas là pour répondre des actes de ses confrères. Ni pour répondre des possibles limites de la loi Leonetti de 2005. Il est là pour répondre des actes qu'il a accomplis et qui ont pu directement entraîner le décès de sept patients.

Les situations de fin de vie sont certes un « colloque singulier » entre le médecin et le patient. On [Michèle Delaunay] nous a suggéré que, dans un tel moment, la loi devait se retirer sur la pointe des pieds. Faudrait-il aussi que nous nous retirions sur la pointe des pieds et que nous détournions le regard ? Serait-ce dire que les actes du médecin ne sont jamais critiquables ? Que lui seul sait faire et que nous ne sommes pas légitimes à lui demander des comptes ?

Oui, il y a des médecins formidables. Et oui, Nicolas Bonnemaison, vous avez fait partie de ceux-là. Mais dans les cas qui nous occupent, vous vous êtes mis hors la loi médicale et hors la loi pénale. La loi est faite pour nous protéger. Protéger les patients, les médecins, y compris contre eux-mêmes. Certes, elle peut avoir vocation à évoluer en fonction des demandes de la société. Mais elle peut être faite aussi pour leur résister quand il s'agit de protéger les valeurs auxquelles nous sommes attachés."

"Il franchit la ligne rouge en toute connaissance de cause"

L'avocat général a alors abordé la partie la plus juridique de son réquisitoire pour fonder l'accusation d' « empoisonnement » reprochée à Nicolas Bonnemaison. Pour être retenue, celle-ci suppose la réunion de deux éléments. D'abord un élément matériel (l'emploi ou l'administration d'une substance à caractère mortel) – qui n'est pas contesté. Et un l'élément moral, intentionnel, qui constitue tout l'enjeu de ce procès : c'est sur ce point que l'ancien médecin urgentiste a été acquitté en première instance à Pau, la cour et les jurés ayant considéré qu'il n'avait pas eu l'intention de tuer ses patients.

En écho à ce qu'avait affirmé la veille, l'expert psychiatre Roland Coutanceau, selon lequel Nicolas Bonnemaison n'a pas eu d'intention homicide, l'avocat général a répondu :

"Il y a une confusion à ne pas faire entre une intention pénale et un mobile. En droit pénal, le mobile est indifférent. Peu importe que l'on ait agi par identification, par compassion, par amour ou par tout autre motif qui pourrait apparaître louable. Il n'en est pas moins intentionnel que l'emprisonnement par vengeance ou par cupidité. En revanche, on doit en tenir compte pour la peine."

Il a abordé la notion de « fait justificatif », susceptible d'entraîner une exonération de responsabilité pénale de l'accusé : la mise sous sédation avec la notion de possible double effet, le soin et la mort. Nicolas Bonnemaison faisant valoir, pour sa défense, que la mort peut être un risque de la sédation. L'avocat général a cité les textes de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs :

"Il y a un fort risque que la sédation soit utilisée pour accélérer la mort. La mort doit survenir du fait des choses et non du fait de l'homme. Ce sont des temps de souffrance. Mais ce sont des temps incontournables, inévitables, inocultables."

Revenant à Nicolas Bonnemaison, l'avocat général a indiqué :

"Ses patients répondaient-ils aux conditions de mise sous sédation ? Oui. A t-il agi conformément aux bonnes pratiques de sédation ? Non.

Il ne note rien dans ses dossiers. Il n'indique ni les prescriptions, ni les dosages. Il utilise un médicament – le Norcuron, un curare – qu'il n'a pas le droit d'utiliser. Il ne parle pas toujours avec les familles pour leur expliquer ce qu'il fait. Il ignore les équipes soignantes. Nicolas Bonnemaison n'est pas dans le 'colloque singulier' entre un médecin et son patient. Il franchit la ligne rouge en toute connaissance de cause."

Liste de manquements

Olivier Tcherkessoff dresse ensuite la liste de tous les manquements qui traduisent, selon lui, l'élément intentionnel du crime reproché à Nicolas Bonnemaison :

- Sur le produit et son dosage : "Pourquoi va-t-il récupérer des ampoules d'Hypnovel dans un autre service, alors qu'il y en a dans le sien ? A-t-il quelque chose à cacher ? Cherche-t-il à ne pas attirer l'attention sur une surconsommation suspecte ? Pourquoi récupérer du Norcuron alors que l'utilisation qu'il envisage d'en faire est totalement contraire aux règles de sédation ? Et pourquoi récupérer ces ampoules à l'avance, parfois trois heures avant, et les glisser dans sa poche où elles restent au mépris de toute protection contre le risque infectieux, sinon parce que cela n'a plus d'importance ?"

- Sur l'absence d'information de l'équipe soignante, "en demandant expressément, dans certains cas, de ne pas faire figurer les indications des injections auxquelles il a procédé. En évoquant, pour se justifier, des situations de morts cérébrales de certains patients, qui ont été infirmées pendant l'instruction par les expertises médicales de leurs dossiers."

- Sur les paris qu'il fait avec un infirmier à propos de deux patients ("Un gâteau au chocolat qu'il n'est plus là cet après-midi.") "Je ne vais pas jouer les Tartuffe. Dans toute profession confrontée au sombre et à la douleur, on fait ce genre de mauvaises blagues. Mais ce qu'il faut regarder, c'est le résultat de ce pari. Dans les deux cas, la mort survient dans les deux ou trois heures qui suivent le pari et après l'injection."

La fragilité de l'ancien urgentiste

L'avocat général en vient à l'examen des sept cas de "mort suspecte" soumis à la cour et aux jurés. Il retient l'usage du curare pour deux d'entre eux, en considérant que, pour le cas contesté par Nicolas Bonnemaison, la mention d'une injection de Norcuron portée par l'infirmière dans le dossier médical du patient fait foi et correspond en outre à la demande explicite faite par les enfants du malade d'abréger la fin de vie de leur père. Concernant le troisième cas, où Nicolas Bonnemaison reconnaît avoir préparé une ampoule sans l'utiliser, l'avocat général considère que sa culpabilité ne peut pas être retenue.

Pour les quatre patients auxquels l'ancien urgentiste admet avoir procédé à des injections d'Hypnovel, il estime qu'à chaque fois, l'élément intentionnel est constitué.

"L'intention de hâter la fin est donc clairement caractérisée. Cela n'empêche pas que Nicolas Bonnemaison a agi de bonne foi en pensant bien faire. Il s'est enfermé dans sa propre logique. Il est persuadé de faire le bien alors qu'il fait le mal et personne ne peut le lui dire car il agit seul."

C'est dans la personnalité de l'accusé que l'avocat général va alors chercher l'explication de son comportement. Il relève d'abord la fragilité de l'ancien médecin urgentiste, dont témoignent ses quatre hospitalisations pour dépression en service de psychiatrie entre 2004 et 2009.

"Son mal-être ne se limite pas à sa personne. Il les projette sur les autres, sur ces personnes en fin de vie auxquelles il est confronté. Il considère que sa pensée est celle de ses patients et qu'elle l'autorise à agir contre la loi. Sa défense a évolué mais pendant la garde à vue et lors de sa première comparution chez le juge d'instruction, il admettait d'ailleurs : 'Je savais que c'était interdit, mais je le faisais en mon âme et conscience.' "

Reprenant à son compte les propos de l'expert psychiatre Roland Coutanceau selon lequel Nicolas Bonnemaison est dans "une hyperidentification à autrui", il ajoute : "Le danger de cette hyperidentification, c'est celui de la toute puissance. Non, Nicolas Bonnemaison n'est pas un assassin ni un empoisonneur au sens commun de ces termes. Mais il s'est bien rendu coupable d'avoir abrégé la vie de ses patients par l'administration d'une substance de nature à entraîner la mort."

Après avoir requis la même peine – cinq ans d'emprisonnement avec sursis - que son homologue du parquet à Pau, Marc Mariée, l'avocat général a conclu en citant des phrases écrites, dix-huit ans plus tôt, par Nicolas Bonnemaison dans sa thèse consacrée aux soins palliatifs :

"Si l'indignité, c'est la souffrance, il faut se battre pour soulager la souffrance. S'ils se battent pour soulager cette souffrance, les soignants ne seront pas tentés par l'euthanasie."


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...