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Au procès Heaulme, la part des juges

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 5/05/2017

Ces moments où des magistrats viennent répondre publiquement de leurs actes devant d’autres magistrats sont toujours singuliers. Joël Guitton était procureur de la République à Metz, lorsque en 2002, après l’acquittement de Patrick Dils, il a été chargé de reprendre l’enquête … Continuer la lecture

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Ces moments où des magistrats viennent répondre publiquement de leurs actes devant d’autres magistrats sont toujours singuliers. Joël Guitton était procureur de la République à Metz, lorsque en 2002, après l’acquittement de Patrick Dils, il a été chargé de reprendre l’enquête sur le double meurtre de Montigny-les-Metz. Thierry Montfort était le juge d’instruction qui s’est vu confier l’information judiciaire. Ils ont tous deux conclu à l’absence de charges suffisantes contre Francis Heaulme et le juge a rendu un non-lieu en sa faveur en 2007. Un an plus tard, la chambre de l’instruction a ordonné un supplément d’information et en 2013, Francis Heaulme a été renvoyé devant la cour d’assises. Evidemment, ces multiples revirements de la justice font désordre quand il s’agit d’asseoir une accusation contre l’homme aujourd’hui assis dans le box.

Les plaies ouvertes par l’audience de la veille ne sont pas encore refermées lorsque l’ancien procureur, 71 ans, s’avance à la barre des témoins. D’une voix calme, sereine, il explique son choix. « J’ai requis un non-lieu au vu des charges qui, à mes yeux, étaient insuffisantes ». Le président Gabriel Steffanus tente d’ébranler son ancien collègue. Il s’étonne qu’il ait attendu deux ans pour ouvrir une information judiciaire et entendre celui qui faisait figure de principal suspect. « C’était un tueur en série, quand même ! » s’exclame-t-il.

Avec la même placidité tranquille, Joël Guitton lui répond : « Il y a la personnalité et il y a les éléments de preuve. – Mais relier les faits avec la personnalité, c’est indispensable ! insiste le président. – C’est votre analyse, Monsieur le président. Le ton de l’ancien procureur devient plus sec. Il faut aussi prendre garde à ne pas donner le sentiment que l’on choisit l’accusé uniquement en fonction de sa personnalité et que l’on focalise tout sur lui. »

Joël Guitton reprend alors la réflexion qu’il avait livrée à la presse au lendemain de sa décision de non-lieu : « J’avais dit que notre volonté à tous de trouver la vérité dans cette affaire ne devait pas nous conduire à désigner ce que j’ai appelé un coupable de substitution. »

Cet ancien procureur rappelant à un président de cour d’assises qu’une enquête se fait à charge et à décharge, a tout pour plaire à la défense de Francis Heaulme. Me Alexandre Bouthier lui demande : « Vous le pensez toujours ? – Absolument ».

Plus périlleuse est la déposition de l’ancien juge d’instruction Thierry Montfort. En cinq ans d’instruction, celui-ci n’a entendu Francis Heaulme qu’une fois. Il s’explique : « Ses réponses étaient évasives, hésitantes et surtout, on avait le sentiment que tout cela ne le concernait pas. Il me donnait l’impression de répéter ce que je lui disais. Si je lui demandais si les enfants jetaient des pierres, il me disait oui. Si je lui demandais l’inverse, il répondait oui aussi. »

Avec justesse, le président lui fait remarquer que la même chose pourrait être dite de presque tous les autres crimes dont Francis Heaulme a été accusé et pour lesquels il a été condamné. Le juge tente de se défendre en évoquant l’échec de la reconstitution sur les lieux du crime qu’il a conduite en présence du suspect. Plus de vingt années avaient passé depuis la découverte des cadavres des deux enfants. « On a essayé d’avoir des certitudes sur ses souvenirs. Il pleuvait, il faisait froid, il a fallu le faire monter sur le talus, c’était boueux, la végétation avait poussé, elle n’était plus la même, les trains ne passaient plus par là, tout avait changé. Il glissait sur l’herbe, ne se souvenait de rien. C’était zéro, zéro. Toutes ces années après, c’était perdu. On est allé à l’endroit où des pêcheurs affirment qu’ils l’ont pris en charge et qu’il était ensanglanté. Cela n’a rien donné non plus. »

Thierry Montfort a cette formule étrange : « En allant sur les lieux, j’espérais voir de la lumière dans ses yeux, je ne l’ai pas vue. C’était un peu comme courir après des preuves, que moi, je n’ai pas eues. »

Me Dominique Boh-Petit intervient au nom de la mère de Cyril Beining, « Donc, si je résume, comme il pleut et qu’il fait froid, vous rendez une ordonnance de non-lieu ? – Ce n’est pas ça, dit le juge. – C’est pourtant ce que ma cliente va retenir, » observe, cinglante, l’avocate.

L’avocat général Jean-Marie Beney se lève à son tour.

– Comment avez-vous rédigé votre ordonnance de non-lieu ?

– Je me suis inspiré largement des réquisitions du parquet…

– Vous vous en êtes tellement inspiré que vous avez même recopié la phrase : au moment des présentes réquisitions” [une formule qui ne peut appartenir qu’au parquet]. C’est un copié-collé ! 

Le réquisitoire du procureur Guitton, rappelle-t-il, est rendu le 29 novembre. Quinze jours plus tard, le 17 décembre, le juge Montfort signe son ordonnance de non-lieu.

La défense de Francis Heaulme pousse son avantage. Me Alexandre Bouthier se fait tout miel pour interroger l’ancien juge : « Moi je trouve qu’il faut être courageux pour signer une ordonnance de non-lieu contre Francis Heaulme », dit-il. À l’adresse des jurés, dont chacun semble avoir enfin compris qu’ils méritaient attention et pédagogie, son confrère de la défense, Me Stéphane Giuranna observe : « Pour être mis en examen, il faut des indices graves et concordants. Pour renvoyer un accusé devant des juges, il faut des charges suffisantes. Et pour le condamner, il faut des preuves. »

Poursuite des débats mardi 9 mai.


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