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Le droit de l’enfant à son histoire toujours méconnu (472)

Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 27/05/2012

Dans une décision  2012-2438 QPC rendue le 16 mai le Conseil constitutionnel dénie à tout enfant le droit de connaitre ses origines biologiques en refusant de condamner  l'accouchement sous X qui permet à une femme qui donne la vie à un … Continuer la lecture

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Dans une décision  2012-2438 QPC rendue le 16 mai le Conseil constitutionnel dénie à tout enfant le droit de connaitre ses origines biologiques en refusant de condamner  l'accouchement sous X qui permet à une femme qui donne la vie à un  enfant  de bénéficier de l’anonymat, privant ainsi l'enfant de filiation.

Il estime que la loi française est équilibrée : elle prend à la fois en compte la femme qui accouche sans pouvoir ou vouloir assumer cette naissance– et ajoutons le père biologique - et l’enfant qui naît puisque celui-ci pourra, dans certaines circonstances très limitées certes, mais pour autant réelles, demander à connaître ses origines.

Le Conseil relève en outre – un peu rapidement - que notre droit prend en considération les règles de santé publique.

Il n’y a donc pas lieu à censurer les articles L.222-6 et L 147-6 du code de l’action sociale et des familles comme le lui demandait Mathieu E. à travers une Question Prioritaire de Constitutionnalité qui voulait voir mettre à bat cette législation sur l’accouchement sous  X que nous sommes le seul pays d’Europe avec le Luxembourg à posséder.

Cette décision des juges constitutionnels, qualifiés couramment de Sages, m’apparaît doublement contestable.

D’abord parce que l’équilibre n’est pas un objectif en soi. Et encore moins quand il se fait au détriment d’un droit fondamental, en l’espèce le droit de tout à chacun à connaitre son histoire. Nombre de personnes entendent répondre à cette question-clé pour elles : « D’où je viens ? », quand ce n’est pas : « Où vais-je ? ». C’est la question de la vie et de la mort qui hante tant ces enfants délaissés même si ensuite ils ont pu s’inscrire dans une famille. Ils vivent mal qu’on leur taise leur passé.

Tous ne veulent pas y accéder, mais quand ils entendent satisfaire leur interrogation ils ne supportent pas que certains – l’Etat et ses acteurs pensent-ils- leur scellent des informations qu’ils estiment leur appartenir. De fait l’histoire de l’enfant n’appartient pas qu’à son père et à sa mère mais elle lui appartient également. Et l’enfant, tout en entendant que sa conception et sa naissance ont pu être des périodes délicates pour ne pas dire plus pour sa mère, n’a pas demandé à se trouver dans cette situation.

En quatre décennies j’ai rencontré nombre de personnes largement adultes qui portaient encore les stigmates de cette zone d’ombre sur leur vie au point d’en être singulièrement perturbées. Ces personnes peuvent entendre que leur géniteurs n’aient pas pu les assumer, mais pas au prix de les nier dans leur identité. L’accouchement sous « x » ne s’impose pas. On peut garantir la confidentialité de la naissance et veiller à ce que l’enfant s’inscrive dans une autre famille sans l'amputer de son histoire

La décision du Conseil constitutionnel est également contestable, voire encore plus critiquable,  quand elle va jusqu'à nier que l’enfant ait un droit à connaître ses origines. Le Conseil constitutionnel parle de l’intérêt de l’enfant à savoir quels sont ses géniteurs mais de là à lui reconnaître un droit, il y a une marge. Il faut reconnaitre que de la même manière il estime qu’accoucher anonymement n’est pas un droit, mais là encore dans certaines situations ce peut être de l’intérêt de la femme ; Il faut lui en ménager la possibilité. Le commentaire officiel qui accompagne la décision est explicité : « En évoquant les « intérêts » et non les « droits », le Conseil constitutionnel a souligné que les disposions relatives au droit de la femme d’accoucher sous X et celles relatives au droit de l’enfant de connaitre ses origines personnelles ne relèvent pas d’exigences constitutionnelles ».

Cette double critique se comprend mieux si l’on constate qu’aucune référence n’est faite par le Conseil Constitutionnel à la Convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE). Or tout étudiant de deuxième année de droit sait qu’un traité dument ratifié par la France comme l’est la Convention des nations unies relatives aux droits de l’enfant a valeur constitutionnelle. Ce sont les termes de l’article 55 de la constitution.

Il n’est pas inutile de restituer ici les termes de l’article 7 de la CIDE

« 1.    L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

2.       Les Etats parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride. »

Le traité ratifié par la France sans réserve sur ce point est clair et net.

On sait que notre droit positif n’en est pas là même si – sous notre pression – des avancées notables ont pu intervenir pour entrebâiller le coffre dans lequel se trouve des informations jugées essentielles à des individus qui souffrent de n’avoir pas eu banalement un papa et une maman qui les ont entourés dès leur naissance.

De longue date notre droit reconnaît le droit aux parents  - contrairement à ce qu’affirme le Conseil constitutionnel – de ne pas reconnaître leur enfant, mieux de le remettre aux services sociaux en taisant leur identité. Le souci des pouvoirs publics est de réduire les hypothèses où des femmes sont amenées à abandonner leur enfant à la porte des Eglises ou des foyers de l’enfance, quand elles ne se trouvent pas acculées à l’interruption volontaire de grossesse, mais encore à l’infanticide.

Initialement disposition sociale – une femme est autorisée à quitter le lieu d’accouchement sans révéler son identité et sans payer les frais médicaux en vertu du décret-loi du 2 septembre 1941-, l’accouchement sous X a été introduit dans le code civil avec la loi du 8 janvier 1993 et analysée comme un nouveau droit des femmes : « Lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé » (article 326 actuel Code civil)

La loi du 22 janvier 2002, sous la pression des partisans des droits des enfants -  a permis à l’enfant l’accès aux  informations concernant sa naissance en lui donnant la possibilité de saisir un organisme – le conseil national pour l’accès aux origines personnelles, CNAOP - chargé de recueillir ces informations et de jouer le rôle d’intermédiaire avec les parents biologiques.

Bien évidemment, si la mère accepte de se révéler l’enfant pourra la connaitre sans pour autant que cette démarche conduise à créer un lien de droit avec elle. En revanche, si sollicitée par le CNAOP, elle maintient son refus, l’enfant ne pourra pas accéder à ces informations. En d’autres termes notre droit privilégie le droit de la mère sur le droit de l’enfant.

Certes il prend bien en compte comme le relève le Conseil constitutionnel le droit au respect de la vie privée et de la vie familiale … de la mère, mais pas celui de l’enfant  ( L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles). Il ne faudrait pas que cet enfant devenu adulte déboule dans la vie sa mère ou de son père en criant « Maman ! » ou « Papa ! » quand l’environnement de celle-ci ou de celui-là ignore le passé de leur proche ! Le droit des enfants doit supporter des limites

Certes encore notre droit prend en compte des préoccupations de santé publique, mais apparemment pas de la santé de l’enfant : il ne se soucie pas du traumatisme que vivent nombre de personnes qui ont le sentiment d’être amputées d’une partie d’elles-mêmes.

Le Conseil constitutionnel privilégiant en implicite l’adulte sur l’enfant  a beau jeu de dire qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’équilibre législatif. « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de naissance et ceux de l’enfant ».

Il colle ainsi à la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans l’arrêt Odievre du 13 février 2003, à la faible majorité 5 voix contre 4 – preuve que la question est largement contreversée - avance pour rejeter le pourvoi de la jeune femme que «  la législation française tente ainsi un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause. La cour observe à cet égard que les Etats doivent pouvoir choisir les moyens qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi recherchée. Au total, la Cour estime que la France n’a pas excédé la marge d’appréciation qui doit lui être reconnue en raison du caractère complexe et délicat de la question, que soulève le secret des origines au regard du droit de chacun à son histoire, du choix des parents biologiques, du lien familial existant et des parents adoptifs ».

On s’étonnera quand même que sur ces dernières décisions notre Conseil constitutionnel donne le sentiment de privilégier le plus fort sur le plus faible quand on attend de lui qui soit le garant des droits fondamentaux : l’agresseur sexuel sur sa victime en annulant la loi sur l’inceste, le harceleur  sur sa victime et, en l’espèce, le parent sur l’enfant ? Dois-je aussi rappeler que les mêmes juges ont validé la loi du 10 août 2011 sur le tribunal correctionnel pour mineurs en avançant que, certes ces juridictions n’étaient pas spécialisées comme il l’exigeait jusqu’ici, mais qu’après tout comme elles devaient appliquer le droit pénal des mineurs, il n’y avait pas à s’inquiéter.
Nul n'ignore que le droit n’est pas neutre et que les juges ne le sont pas plus même quand on les qualifie de « Sages » : ils ont des valeurs de référence qui leur permettent ensuite de lire la loi comme ils l’entendent ! Le dispositif de nomination ou d’appartenance des membres du Conseil Constitutionnel n’offre aucune garantie de neutralité. Cela a été ainsi de tous temps et le restera. Au corps social de mettre en avant les valeurs auquel il croit et un jour, le droit finit par céder comme un fruit mûr tombe immanquablement,

Il nous appartient plus que jamais de convaincre que le droit de chacun à son histoire est un droit humain et qu’il ne doit pas être sacrifié sur l’autel des droits des adultes alors qu’aujourd’hui, au-delà des poncifs régulièrement développés, notre droit reste adultocentré.


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