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Qu’est-ce que le discours de haine ? La magnifique réponse de la Cour suprême du Canada

Actualités du droit - Gilles Devers, 1/03/2013

La Cour suprême du Canada est une référence marginalisée, voire écartée, du...

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La Cour suprême du Canada est une référence marginalisée, voire écartée, du droit français, et c’est plus que dommage. Cette Cour statue selon les meilleurs standards du droit international, à l’immense mérite, pour nous les gaulois, de statuer dans un pays culturellement proche, et dans une approche saxonne et française. De plus, la juridiction statue comme juridiction étatique, et non internationale. Il en résulte une limpidité de la motivation, que l’on trouve rarement dans les arrêts de la CEHD, beaucoup trop inspirés par la génuflexion devant les données nationales.propagande_antisemite_600.jpg

Dans l’affaire Saskatchewan (Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott,  2013 CSC 11), jugée ce 27 février 2013, la Cour suprême du Canada se penche, à propos de tracts homophobes, sur la question du discours de haine. Comment définir le discours de haine ? Est-il légitime de le sanctionner, au regard de la garantie due à la liberté d’expression ? et si on interdit, selon quelles modalités.

Vous trouverez à la première note le lien avec la décision rendue par nos excellents amis canadiens. Conservez-là dans les archives, c’est un must. Quand nous aurons une cour suprême capable de rendre de telles décisions, nous aurons beaucoup progressé… Mais ce n’est pas pour demain, compte tenu des tous les conservatismes qui minent nos pratiques juridictionnelles. Quand je vois toutes les occasions ratées, ça me désole. Voici une analyse de synthèse de cette décision, produit 100% d’importation, et qui nous fait tant de bien.

I – La définition du mot « haine » employé dans une disposition interdisant les propos haineux

La référence est l’arrêt Canada c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892), qui répond à trois critères.

Les tribunaux doivent se placer dans une posture objective et se demander si une personne raisonnable, informée du contexte et des circonstances, estimerait que les propos exposent le groupe protégé à la haine. 

Le terme « haine » ne s’entend que des manifestations extrêmes de l’émotion à laquelle renvoient les termes « détestation » et « diffamation ».  Ainsi, la notion ne concerne pas les propos répugnants et offensants, mais qui n’incitent pas à l’exécration, au dénigrement et au rejet, risquant d’emporter la discrimination et d’autres effets préjudiciables.  

Les tribunaux administratifs doivent axer l’analyse sur les effets des propos en cause, à savoir s’ils sont susceptibles d’exposer la personne ou le groupe ciblé à la haine d’autres personnes.  Ce qu’il faut déterminer, ce sont les effets qu’auront probablement les propos sur l’audience, compte tenu des objectifs législatifs visant à réduire ou à éliminer la discrimination. 

En résumé, le mot « haine » doit être appliqué de façon objective pour déterminer si une personne raisonnable, informée du contexte et des circonstances, estimerait que les propos sont susceptibles d’exposer autrui à la détestation et à la diffamation pour un motif de discrimination illicite

II – La conciliation entre l’interdiction des propos haineux et la liberté d’expression

2011-1_affiche-ils-assassinent-1942.jpgL’interdiction des propos haineux porte atteinte à la liberté d’expression, et il faut déterminer si cette interdiction est licite.

L’objectif de la limite

L’objectif de la limite — à savoir s’attaquer aux causes de la discrimination pour en atténuer les effets préjudiciables et les coûts sociaux — est urgent et réel.  Les propos haineux constituent une façon de tenter de marginaliser des personnes en raison de leur appartenance à un groupe.  Au moyen de messages qui exposent à la haine le groupe visé, le propos haineux cherche à dénigrer les membres du groupe aux yeux de la majorité en attaquant leur statut social et en compromettant leur acceptation au sein de la société. 

Ainsi, les propos haineux causent des troubles psychologiques aux membres individuels du groupe et leur effet ne s’arrête pas là.  Ils peuvent avoir des incidences sur l’ensemble de la société.  Les propos haineux préparent le terrain en vue de porter des attaques plus virulentes contre les groupes vulnérables, attaques qui peuvent prendre la forme de mesures discriminatoires, d’ostracisme, de ségrégation, d’expulsion, de violences et, dans les cas les plus extrêmes, de génocide.  Ils ont également pour effet de nuire à la capacité des membres d’un groupe protégé de réagir à des idées de fond au centre du débat, ce qui constitue un obstacle majeur les empêchant de participer pleinement à la démocratie.

Liberté politique et discours de haine

Le fait qu’un discours ou un écrit relève du discours politique n’empêche pas de se demander s’il constitue ou non un discours haineux.  L’expression d’opinions politiques contribue à la démocratie en encourageant l’échange d’opinions opposées.  Les propos haineux vont directement à l’encontre de cet objectif du fait qu’ils empêchent tout dialogue, en rendant difficile, voire impossible, pour les membres du groupe vulnérable de réagir, entravant ainsi l’échange d’idées.  

Un discours qui a pour effet d’empêcher la tenue d’un débat public ne peut échapper à l’interdiction prévue par la loi pour la raison qu’il favorise le débat. La loi constitue un moyen approprié de protéger la presque totalité du discours politique en tant qu’aspect crucial de la liberté d’expression.  Il n’exclut qu’un type d’expression extrême et marginale qui ne contribue guère à défendre les valeurs sous‑jacentes à la liberté d’expression et dont la restriction est par conséquent plus facile à justifier.

Les avantages que comporte la suppression des discours haineux et de leurs effets préjudiciables l’emportent sur les effets néfastes qu’entraîne le fait de limiter une expression qui, de par sa nature, contribue peu à promouvoir les valeurs sous‑jacentes à la liberté d’expression. La protection des groupes vulnérables contre les conséquences préjudiciables découlant des propos haineux revêt une importance suffisamment grande pour justifier l’atteinte minimale à l’expression. 

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