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François Hollande chasse-t-il ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 4/02/2013

François Hollande chasse, pour l'instant, peu, si peu. Bienveillance, scrupule ou relativisme, c'est bien.

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Après chaque élection présidentielle, le problème n'est pas de savoir si on remplacera mais qui sera remplacé.

Et la polémique à chaque fois est inévitable qui reproche avec vigueur au pouvoir actuel de pratiquer une chasse aux sorcières que le précédent n'aurait pas mise en oeuvre (Le Monde, Le Parisien, Le JDD, nouvelobs.com).

Cela n'a pas manqué.

Mais il faut raison garder.

Certes on peut regretter qu'automatiquement les engagements sur ce plan soient battus en brèche au bout de quelques mois.

La République irréprochable de 2007 est passée devant nous comme un rêve pour nous laisser ensuite face à la plate et décevante réalité. La fameuse anaphore du débat présidentiel de 2012 a été admirée, on a cru possible son incarnation dans sa plénitude mais force est de constater que des interrogations se font jour aujourd'hui sur l'impartialité de l'Etat.

Mais est-ce à dire que le président de la République est parti à la chasse aux sorcières et que les responsables du régime antérieur auraient le droit de lui donner des leçons ? Je ne le pense pas. il y a, sinon dans la violation des promesses du moins dans une relative indifférence, à la longue, à leur égard, des degrés. Ce n'est pas la même chose de vider de fond en comble la haute fonction publique ou de procéder à des bouleversements minimalistes, homéopathiques.

Personne ne met en cause véritablement la faculté, pour ceux que la démocratie a désignés comme vainqueurs, d'en tirer les conséquences pour, ici ou là, substituer aux tenants et aux soutiens d'une politique récusée d'autres responsables. Il n'y a guère qu'Yves Jégo pour plaider en faveur d'un "spoil system" à l'américaine qui aurait certes le mérite de la franchise et de la brutalité mais serait incompatible avec nos nuances et avec l'hommage que nous adorons rendre à la loyauté républicaine.

Il ne faut pas non plus exagérer la pureté de cette disposition civique. Combien l'invoquent pour demeurer en place mais la contredisent, ostensiblement ou subtilement, dans leur pratique !

A mon sens, entendre un Claude Guéant, un Brice Hortefeux, des députés UMP toujours prêts à proférer l'outrance pour qu'elle laisse quelque trace sur le sable national, développer un discours de comparaison et de dénonciation entre hier et aujourd'hui serait comique s'il ne s'agissait pas d'un sujet sérieux qui n'engage rien moins que l'intégrité et la fiabilité de nos élites.

Ce qui égare réside dans l'extrême habileté qu'a eue Nicolas Sarkozy de "faire des coups" avec des nominations apparemment de gauche, ciblées et tactiques, sans qu'à un seul instant, la partialité naturelle, structurelle, renouvelée de l'Etat conquérant soit infléchie ou vraiment réduite.

Au contraire, François Hollande, en affirmant ne concevoir les promotions et les affectations que sous l'égide socialiste, a brouillé son message puisqu'en réalité, dans la quotidienneté, "sa" République a infiniment moins délogé que celle de Nicolas Sarkozy et qu'à ma connaissance aucun médiocre ni incompétent n'a pris la relève d'un brillant et talentueux serviteur de l'Etat.

Augustin de Romanet, au grand dam de certains socialistes obtus, a été distingué malgré le sarkozysme qu'on lui prêtait.

Dans le domaine judiciaire, les hauts magistrats du parquet à Paris ont été maintenus à leur poste alors qu'ils continuent à fonctionner pourtant sur l'ancien logiciel de la dépendance et, non pas prioritairement de la justice, de ce qu'ils supposent être l'humeur politique du moment. Attitude d'autant plus surprenante que le garde des Sceaux ne s'immisce plus dans ce qui, en effet, ne le regarde pas. Il ne me semble pas non plus qu'à l'Elysée, François Hollande ait un Patrick Ouart de rechange et pour tous usages.

Dans les reportages et enquêtes qui ont été consacrés à ce que serait aujourd'hui "l'Etat Hollande" et la chasse aux sorcières qu'il mènerait, une fois abordée la situation d'Olivier Schrameck et de Jack Lang, il n'y a plus rien de substantiel à se mettre sous l'esprit.

De l'aveu même des opposants politiques de bonne foi, la nomination du premier, symboliquement maladroite à cause du cordon politique avec Lionel Jospin, n'est pas techniquement scandaleuse. Quant au second, lui offrir l'Institut de monde arabe n'est pas totalement contradictoire avec ses goûts et surtout nous évitera, à perte de vue, d'être informé de ses désirs et appétences formulés mais non satisfaits.

L'erreur manifeste commise par la plupart des journalistes, quand ils prétendent nous faire pleurer sur certains départs dus, paraît-il, au compagnonnage avec Nicolas Sarkozy, a consisté à mêler des changements qui peuvent être discutés avec d'inévitables et d'inéluctables déplacements. On ne peut pas considérer, par exemple, Philippe Courroye et Arno Klarsfeld comme des victimes d'une quelconque chasse aux sorcières.

Rien de commun entre une adhésion normale, tranquille, loyale et légaliste au pouvoir démocratiquement élu - qui n'impose aucune réaction hostile de la part de son successeur - et une domestication de ce dont on a la charge, au service d'un Etat partisan. Dans cette dernière navrante configuration, c'est la République qui a à se venger, pas le président, son incarnation pour cinq ans au moins.

François Hollande chasse, pour l'instant, peu, si peu.

Bienveillance, scrupule ou relativisme, c'est bien.


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