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Bravo, Claire, tu es mauvaise !

Justice au singulier - philippe.bilger, 7/09/2012

C'est un grand jour que celui qui m'annonce un avenir tranquille. Au lieu de m'écrier devant les prochains reportages sur Claire Chazal : Quel scandale !, éperdu de reconnaissance je me contenterai de murmurer : Comme ils ont raison !

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Je l'admets, j'ai une incurable propension à me soucier de l'insignifiant. Le dérisoire, que je feins souvent de détester, en réalité me fascine parce qu'il est gros de leçons possibles et si la gravité ne tient pas au fond, elle peut surgir de la surprise de tirer le meilleur de ce qui ne payait guère de mine.

Vous avez compris qu'à nouveau j'allais me colleter avec Claire Chazal. Ce n'est pas totalement ma faute car si on la montrait moins, si elle avait moins de goût pour l'exhibition, je ne serais pas obligé de revenir vers elle. Elle est une tentatrice et j'ai succombé à plusieurs reprises parce que je croyais ses mystères impénétrables. Celui de son être, celui de sa réputation professionnelle, celui de l'adoration qui l'entoure.

Mais je les ai enfin élucidés. Ils n'ont plus de secrets pour moi. J'ai rencontré mon chemin de Paris comme Paul son chemin de Damas. Grâces soient rendues à ce magazine - Le Parisien-TV Magazine - qui a sollicité ma réflexion par cette interrogation capitale en couverture : Claire Chazal, la dernière icône du 20 heures ?

Ce n'est pas rien que cette interpellation directe qui confronte le lecteur pressé à une question qu'il ne va pas pouvoir éluder. Il disposera de trois pages pour affronter l'épreuve et former son jugement.

Claire Chazal, d'abord, soumise à un feu roulant et inquisiteur par Patrice Gascoin, notamment "La notoriété est-elle un plaisir qui vous comble ?" ou, plus durement, "Comment expliquez-vous que les têtes disparaissent sauf la vôtre ?". Par moments, c'est aux limites de l'impertinence, voire de l'impudence.

Quelle que soit la qualité de ses réponses et la richesse de ses fulgurances - ainsi, "j'espère que les gens vont m'aimer encore longtemps" -, l'important réside plutôt dans ce qui accompagne l'entretien et qui paraît-il serait "Claire Chazal jugée par le PAF". Il y a tout de même la bagatelle de onze personnalités, aussi lucides et avisées que, par exemple, Guy Roux, Pierre Ménès ou Jacques Séguéla, qui viennent nous chanter les louanges de Claire. Même Audrey Pulvar, qui n'est pas une tendre, fond, glissant juste une réserve pour ses interviews mais en s'abritant derrière autrui. Un choeur merveilleux et touchant. Pas une ombre, pas la moindre réticence, tout est parfait, c'est une icône, les Français ont la chance de la voir trois jours sur sept et de la lire et de l'entendre "promotionner" ailleurs.

Marc-Olivier Fogiel, étant l'un de ses amis proches, est naturellement bienveillant à son égard mais d'autres qui appartiennent à ce milieu médiatique qui s'embrasse en surface et se dénigre en vérité échappent pourtant à toute acidité et ajoutent leur pierre adorable à un consensus surprenant.

Hier encore, je me serais indigné tant certaines prestations honteuses de Claire Chazal sur TF1 me sont restées en travers de l'esprit mais la révélation m'a saisi. L'erreur était de vitupérer l'écart entre sa réalité professionnelle et l'aura outrancière dont elle bénéficiait, comme si celle-ci se méprenait sur la qualité de la première. Les admirateurs se seraient laissé abuser.

Mais je me trompais. Je ne crois pas tomber dans le paradoxe mais la seule explication de ce dithyrambe collectif si peu accordé à ce monde aigre tient au fait qu'ils la louent tous, sans exception, parce qu'ils n'ignorent pas qu'elle est mauvaise. Ses admirateurs ne sont pas abusés mais clairvoyants.

Un apaisement soudain s'est emparé de moi à partir de l'instant où j'ai constaté que le hiatus provenait non plus d'un aveuglement mais d'une illumination. La règle appliquée à Claire Chazal est d'ailleurs généralisable.

Qu'on songe à Michel Drucker : en dépit de l'hommage rendu en permanence à sa longévité, il est adulé parce qu'il est moqué pour sa courtoisie servile et tous azimuts. Il est mauvais, donc tous l'aiment dans le métier. La jalousie est inconcevable quand on n'aspire à rien de ce qu'incarne l'autre. Il ne faut pas avoir d'aspérités pour ne pas susciter l'hostilité ou la critique. Ces personnalités à la pratique médiocre mais tellement bénies, tant elles ne gênent personne, risquent d'exister quand d'aucuns égarés viennent à leur donner de l'existence en les prenant pour cibles. Sinon, elles demeurent à l'abri et je suis prêt à parier que le même processus se reproduira : les icônes seront vantées parce que personne n'aura envie de les offenser tant elles sont mauvaises. Comme l'avait dit Voltaire, elles resteront sacrées parce que personne n'y touchera.

Continuons cette approche. Elle démontrera qu'on n'est jamais attaqué pour rien. Que les personnes souvent prises à partie n'ont pas à être plaintes mais félicitées. Marc-Olivier Fogiel, Laurent Ruquier, Audrey Pulvar, Serge Moati, Christophe Hondelatte, Frédéric Taddéï, Luc Ferry, Denis Tillinac, Elisabeth Lévy, Robert Ménard, Eric Zemmour, Denis Olivennes, Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Thierry Lévy, Anne Sinclair, Yves Calvi, Patrick Cohen et Michel Field, entre autres - je concède que ce mélange est hétéroclite, j'aurais pu y mêler des politiques - ont la chance de susciter le désaccord, il arrive même que des blogs ou Twitter s'en prennent à eux, l'amour universel ne les nimbe pas, tout simplement parce qu'ils ont une place, qu'ils font peur, qu'on craint leur intelligence, leur pugnacité, que l'eau tiède ne sort pas de leur bouche et qu'ils laissent le mondain à la porte du médiatique. Il leur arrive de penser, de défier, de troubler, de provoquer. Les journalistes que j'ai mentionnés auraient questionné DSK sur ce qui s'était passé précisément dans la chambre. Bienveillants ou non à leur égard, on leur aurait épargné cette comédie sulpicienne ou ce mièvre étalage!

Il convient alors de rendre hommage aux rares qui savent capter l'indulgence, l'estime générales parce qu'atteindre un niveau qui ne fait peur à personne et appelle au contraire une compréhension condescendante n'est évidemment pas à la portée de n'importe qui.

Il n'est pas une personne, peu ou prou rejetée, contredite, malmenée, exécrée qui ne soit, à cause de cette négativité même, porteuse de quelque chose de positif, d'heureusement présent. On ne blesse que les forts ou ceux susceptibles de l'être. Dans le médiatique, je suis mauvaise donc on m'aime. Je ne le suis pas et on me fait l'honneur de m'éviter l'encens qui embaume le néant.

C'est un grand jour que celui qui m'annonce un avenir tranquille. Au lieu de m'écrier devant les prochains reportages sur Claire Chazal : Quel scandale !, éperdu de reconnaissance je me contenterai de murmurer : Comme ils ont raison !


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