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Le court d'amour

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/06/2013

Mais le déclic, quand le hasard vous confronte à l'inconnu et que sur un mode fulgurant tout s'écrit et que c'est doux ou amer, est ce qui ne cesse pas de m'agiter. Nos amitiés tiennent donc à si peu qu'elles sont d'abord dépendantes de nos subjectivités fragiles et de l'arbitraire de notre regard. Je comprends Gilles Simon qui s'est plaint d'avoir été moins encouragé et applaudi que Federer.

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Pourquoi, lors de son match contre Gilles Simon pourtant vaillant et talentueux jusqu'au bout, Roger Federer a-t-il été plus soutenu que le Français par une large partie du public (France 2, l'Equipe) ?

Pourquoi Jo-Wilfried Tsonga, dominateur en trois sets, a-t-il bénéficié, tout au long, d'un enthousiasme collectif faisant pâlir l'étoile du même Federer ?

Sans méconnaître le plan sportif, la victoire de Tsonga et la défaite de Simon, je suis persuadé que des ressorts plus subtils, impalpables et diffus entrent en jeu pour susciter une sympathie immédiate ou, au contraire, créer une légère distance, comme un retrait.

Au-delà de ces trois joueurs de tennis dont l'un, je l'espère, se retrouvera peut-être en finale à Roland Garros, il me semble que la relation humaine est passionnante qui, sans qu'on sache pourquoi la plupart du temps parce qu'on se contente de vivre l'évidence de l'instant, positive ou négative, vous rend d'emblée proche d'autrui, d'un visage, d'une personnalité, d'une attitude ou, à rebours, rétif face à l'intrusion de cet être là précisément dans votre espace vital.

Pourquoi cette certitude instantanée que ce sera lui parce que c'est moi, ce déplaisir net que ce ne sera pas lui parce que c'est moi aussi ?

Pour Federer et Tsonga, je devine bien ce qui, chez le spectateur, inspire un mouvement en leur faveur. Leur apparence physique, leur manière d'être, l'aisance avec laquelle ils s'inscrivent dans le monde qui les entoure ne donnent jamais à leur personnalité un tour abrupt, sombre, déplaisant. Ce n'est pas toujours le cas de Simon qui mène souvent une lutte difficile contre lui-même et, de ce fait, est susceptible d'offrir à ceux qui le regardent une face tourmentée, mécontente. D'un côté deux personnes qui paraissent avoir un lien naturel avec le bonheur. De l'autre un être qui, pour intelligent et gentil qu'il soit, est assez volontiers râleur, frondeur et met sans doute mal à l'aise parce qu'il l'est sur le court, pas seulement quand il perd.

Comme il existait des cours d'amour, il y a le court d'amour.

Que chacun songe à sa propre expérience d'autrui. Avant même le premier mot, dès la vision de la totalité qu'est une personne, dans la manière silencieuse mais chaleureuse, mobile, en élan qu'elle a de vous accueillir, on sent la victoire proche. On sera accordé à elle. Ce n'est pas l'apparence physique qui est déterminante ni l'habillement. C'est le regard, c'est, en une seconde, un message silencieux qui vous est transmis et signifie que cet homme, cette femme ne se croient pas supérieurs à ce que vous êtes - pas l'ombre d'un sentiment de supériorité dans ce contact fugace où une amitié se décide alors qu'une hostilité peut naître sur-le-champ parce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre une parole pour fuir le langage implicite d'une vanité, d'une arrogance ou d'un hautain désir de solitude.

Cette analyse est trop sommaire. Déterminer pourquoi cette rencontre a ouvert des portes et telle autre fermé des issues exigerait beaucoup plus.

Ensuite, évidemment, tout devient plus commode, plus limpide. Les idées s'échangent, les sentiments se manifestent, nous entrons de plain-pied dans l'existence de l'autre.

Mais le déclic, quand le hasard vous confronte à l'inconnu et que sur un mode fulgurant tout s'écrit et que c'est doux ou amer, est ce qui ne cesse pas de m'agiter. Nos amitiés tiennent donc à si peu qu'elles sont d'abord dépendantes de nos subjectivités fragiles et de l'arbitraire de notre regard.

Je comprends Gilles Simon qui s'est plaint d'avoir été moins encouragé et applaudi que Federer.


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