Actions sur le document

La haine française et Charlotte...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/05/2015

Le visage gracieux de cette adorable Charlotte ne m'a pas fait oublier que la France, c'était généralement cette fureur, cette détestation et que c'était déprimant et triste. On meurt quand le respect est condamné à errer sans pouvoir s'accrocher, au sommet de l'Etat.

Lire l'article...

On aime tellement s'enivrer littéralement, en France, du mot "République" que je n'oserais jamais, comme certains qui ne sont pas forcément des imbéciles ou des passéistes inguérissables, réclamer le retour de la royauté dans notre pays.

Mais il est permis cependant de s'interroger sur des événements et un climat récents qui, par la comparaison qu'ils facilitent entre la Grande-Bretagne et la France, nous obligent à la réflexion et peut-être à moins d'arrogance démocratique.

On peut se moquer autant qu'on voudra du formidable consensus heureux autour de la naissance de la petite Charlotte et de ses parents Kate et William qui avaient suscité la même joie collective avec l'arrivée de leur premier enfant George. Il n'empêche que ce rassemblement de tout un peuple, qui n'a pas moins de qualités que le nôtre, devrait nous interpeller, nous qui n'avons plus aujourd'hui, pour nous affirmer unis, que le sursaut face à de terribles tragédies ou des victoires sportives suscitant une allégresse démesurée.

Il faut accepter d'examiner lucidement ce qui nourrit d'une part cette haine française permanente et d'autre part, ailleurs, cette concorde ou, au pire, cette accalmie bienveillante.

Probablement vais-je formuler des banalités au moment même où je crois ouvrir des pistes qui ne sont pas anodines mais je tente ma chance.

Cette révolution française, même dans sa belle phase initiale riche d'universalité et non meurtrière, portait tout de même en elle ce qui a irrigué, par la suite, la politique et nos débats publics.

On a toujours perçu à quel point, chez nous, pour nos syndicats, il était fondamental de sembler arracher par la lutte ce que le compromis aurait octroyé plus tranquillement. Autour de la réalité, il était fondamental, pour la façade, d'afficher une tension et une violence qui malheureusement n'étaient pas, en certaines circonstances, que symboliques.

Plus profondément, le triptyque républicain - liberté, égalité et fraternité - était d'emblée gangrené par une double contradiction dont les effets délétères se font sentir plus que jamais.

L'antagonisme fort, voire insurmontable entre liberté et égalité. L'élan des personnalités avec le surgissement d'inévitables disparités ou la médiocre mais rassurante exigence du nivellement pour tous.

Le hiatus dévastateur entre ces deux principes de liberté et d'égalité et le souci de fraternité puisque la nature contradictoire des premiers, les polémiques, les combats et les fractures qu'elle a engendrés dans notre Histoire sont radicalement en opposition avec la paix et l'harmonie que la fraternité aurait dû induire. Cette devise républicaine proclamée avec fierté l'est d'autant plus que son incarnation dans l'opératoire d'une quotidienneté chahutée est quasiment impossible.

Force est de considérer que cette haine si spécifiquement française, ostensible dans les domaines politique et médiatique, avec l'usage d'un vocabulaire guerrier ou stigmatisant (que de "nauséabond" qui ne signifient plus rien !), a été aggravée, au lieu d'être modérée, par l'élection du président de la République au suffrage universel. Celle-ci, approuvée dans son inspiration, ne pouvait être bénéfique pour le pays que si la personnalité élue avait la capacité inouïe d'être effectivement président de tous les Français.

Qu'on aime ou non Charles de Gaulle, il est clair que le fondateur de la Ve République a été le seul, grâce à son passé de résistance, à être accepté à peu près comme une incarnation plausible de la totalité de la communauté nationale. Le suffrage universel, en ce sens, renforçait une légitimité déjà admise et ajoutait de la vigueur à un dessein politique qui avait pour ambition de représenter la France en toutes ses composantes.

Les présidents de la République qui lui ont succédé ont peu ou prou profité de cette élection au suffrage universel pour, en prétendant servir la cause de tous, opter pour des choix partisans et, contre le rassemblement magnifié et ressassé dans les discours, favoriser la droite ou la gauche, leurs intérêts et leur avenir de candidat à réélire.

Outre une action fragmentaire, parcellaire, orientée, cette perversion de la pratique présidentielle a créé bien pire : une absence absolue de révérence pour le pouvoir. Dans la mêlée, impliqué dans les luttes, faussement absent des manoeuvres et des magouilles, opportuniste, sans vision, les présidents de la République, avec une dégradation nette au fil de notre Histoire, sont devenus non plus des repères, des phares, d'incontestables ancrages, des emblèmes respectés parce que respectables mais des tacticiens consacrant leur énergie à leur camp, à leur clan et pour eux-mêmes.

La France est orpheline parce que son système politique et ceux qu'elle a placés, un temps, au premier plan, ne nous offrent plus la soupape de sûreté, le havre d'estime et de considération, la certitude de l'exemplarité dont les citoyens ont besoin.

Rien de pire donc aujourd'hui que cette élection au suffrage universel qui représente, pour le pire, ce qu'au meilleur, elle aurait dû empêcher.

La haine française surgit parce que nous ne savons plus faire que cela et que personne n'a plus le moindre crédit pour que s'interrompe cette machine à diatribes et à sectarisme. Le président de la République, comme tous les autres, jouit de créer dissensions et clivages en prêchant hypocritement l'unité dont il ne veut à aucun prix parce qu'elle ferait perdre son pré carré et donc lui-même.

Ce qui est vrai pour François Hollande l'était hier pour Nicolas Sarkozy. Ils jettent du sel sur les plaies à vif d'un pays qui se croit déshonoré quand il dialogue, écoute, pense contre lui-même ou épouse deux pensées contradictoires à la fois par intelligence. Il lui faut du sang et il coule avec l'assentiment de ceux qui devraient le faire cesser.

Si Charlotte est née dans un climat inouï pour nous d'empathie universelle, cela tient au fait que les Britanniques ont encore à leur disposition une institution à respecter et qu'elle n'a pas rendu ce respect inconcevable.

Si des Français, comme par exemple Eric Naulleau, considèrent avec nostalgie une IVe République, c'est probablement parce que les présidents d'alors bénéficiaient, grâce à leur statut et à leur rôle, d'une sympathie et d'une bienveillance qu'un engagement suspect et partisan ne mettait jamais à mal. Ce n'était pas un âge d'or mais un régime que son impuissance et son instabilité ne disqualifiaient pas pour tout.

Cette haine française, j'en ai perçu la figure hideuse dans l'émission d'Eric Zemmour et d'Eric Naulleau où Jean-Marie Le Guen, pourtant Secrétaire d'Etat et tenu à une certaine dignité, la diffusait sans retenue, physiquement et intellectuellement, à l'encontre de Zemmour et de Ménard. Paradoxe vindicatif d'autant plus incongru que le même, avec une violence gênante, fustigeait la violence du FN !

Henri Guaino et Julien Dray, ensuite, ont démontré qu'elle n'était pas fatale. Mais durant quelques minutes et une séquence trop brève.

Une exception.

Le visage gracieux de cette adorable Charlotte ne m'a pas fait oublier que la France, c'était généralement cette fureur, cette détestation et que c'était déprimant et triste.

On meurt quand le respect est condamné à errer sans pouvoir s'accrocher au sommet de l'Etat.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...