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Un homme, une femme et un futur bébé...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 2/08/2015

Pour rien au monde, je ne voudrais ajouter une blessure à la dignité d'Aurélie Filippetti mais, si son compagnon parvenait à la dissuader en se rappelant qu'il a été un grand avocat, je n'en serais pas mécontent. Le couple y gagnerait bien plus que des dommages-intérêts.

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Sur la terrasse d'un hôtel à Athènes, Arnaud Montebourg est allongé sur un transat, Aurélie Filippetti, sa compagne, est debout, enceinte. Il y a des gens autour d'eux.

C'est la couverture de Paris Match.

Le 30 juillet, Aurélie Filippetti a fait assigner cet hebdomadaire, par l'excellent avocat spécialiste qu'est Vincent Tolédano, pour atteinte à l'intimité de la vie privée et violation du respect du droit à l'image (Midi Libre).

On peut préjuger à coup sûr. L'ancienne ministre fera condamner Paris Match et la seule incertitude portera sur le montant des dommages-intérêts et la publication ou non de la décision.

Depuis longtemps, je dénonce la bonne conscience avec laquelle des juridictions spécialisées de la région parisienne s'en donnent à coeur joie et font de la vie privée et de l'image, en se fondant sur un article du Code civil qui n'exige pas la démonstration d'un préjudice, une véritable rente, l'opportunité de profits renouvelés pour des personnalités qui ne sont pas parmi les plus misérables.

Cette jurisprudence, dans une connivence totale entre ceux chargés d'appliquer un droit trop laxiste et ceux qui recueillent ses bénéfices, refuse d'avoir la réflexion qui conviendrait sur les paradoxes et les dérives d'actions engagées, en quelque sorte mécaniquement parce qu'assurées de n'avoir même pas à convaincre pour gagner. Une sorte d'univers qui est la bonne conscience prétendument humaniste et apitoyée à contre-emploi d'une justice ailleurs sans concession et éprouvante.

Alors que la grossesse d'Aurélie Filippetti était déjà connue, je parviens mal à comprendre le traumatisme qui aurait été causé par la couverture de l'hebdomadaire.

La plaignante invoque certes son souci "de faire respecter sa dignité de femme" et ajoute que "ces clichés volés... au mépris de sa volonté de discrétion... la surprennent dans des moments strictement privés d'intimité et de détente".

Je ne sais pas "s'il est totalement légitime de faire ce que l'on fait", comme l'a affirmé le directeur adjoint de la rédaction de Paris Match, au nom quasiment d'un devoir d'information qui s'imposerait sur les personnes dont l'existence intéresse le public.

Nul doute que le débat portera d'abord sur le caractère privé ou non de cette terrasse d'hôtel même si - et c'est l'aberration principale de cette disposition législative - la reconnaissance possible de sa nature publique ne changera strictement rien à la représentation de cette grossesse admise comme un élément de vie privée.

Il m'a toujours semblé absurde et pour tout dire byzantin de ne pas tirer des conclusions de bon sens du statut public ou semi-public d'un lieu en validant les photographies qui étaient prises dans ces conditions.

D'autant plus qu'il est difficile de soutenir que cette séquence serait offensante pour Aurélie Filippetti sauf à considérer que l'exposition d'une grossesse rendrait cet événement, en lui-même heureux, désagréable et préjudiciable.

Cette "peopolisation" de personnalités publiques, dont la relation amoureuse était avérée et n'avait jamais été férocement dissimulée par les intéressés, en l'occurrence était d'autant moins scandaleuse qu'elle concernait un couple qui, séparément, n'avait jamais brillé par la pudeur médiatique, en tout cas pour Arnaud Montebourg qui avait plus semblé exhiber ses liaisons que les occulter.

Pour Aurélie Filippetti, un livre qui avait eu du succès, écrit par l'épouse d'un homme qu'elle avait aimé, l'avait déjà placée au centre de la curiosité médiatique et politique.

Face à cette assignation et à son inéluctable succès, la comparaison entre ces désagréments dérisoires et les dévastations que pendant plus de vingt ans j'ai dû modestement tenter de réparer aux assises ne manque pas de me troubler.

J'espère que ces anciens ministres, dont la joie d'être ensemble et d'attendre un enfant ne serait pas amplifiée par cette démarche civile, échapperont au ridicule de celle-ci, surtout de leur part. Il y aurait comme une contradiction, subtile mais à mon sens indéniable, entre leur discours de fronde politique, sociale et compassionnelle et cette réaction de luxe qui les mêlerait à des privilégiés d'une futilité rapportant gros.

Pour rien au monde, je ne voudrais ajouter une blessure à la dignité d'Aurélie Filippetti mais, si son compagnon parvenait à la dissuader en se rappelant qu'il a été un grand avocat, je n'en serais pas mécontent.

Le couple y gagnerait bien plus que des dommages-intérêts.


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