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Rocancourt, Breillat et la confusion de (nos) sentiments

Chroniques judiciaires - prdchroniques, 18/02/2012

Il en faut de la force, ou de la souffrance ou les deux, pour porter plainte pour abus de faiblesse. Car pour établir l'abus, il faut d'abord révéler sa faiblesse. Quel que soit le sort réservé au prévenu à l'issue … Continuer la lecture

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Il en faut de la force, ou de la souffrance ou les deux, pour porter plainte pour abus de faiblesse. Car pour établir l'abus, il faut d'abord révéler sa faiblesse. Quel que soit le sort réservé au prévenu à l'issue du procès, la victime est condamnée. A la honte assurément, au ridicule souvent, parfois même à l'antipathie.

Lorsqu'elle est une femme mûre, intellectuelle parisienne, cinéaste élitiste et que son tourmenteur est un mauvais garçon de vingt ans son cadet, gouailleur et tatoué, la peine est d'office doublée.

Après six heures d'audience, vendredi 17 février devant la 13 ème chambre du tribunal correctionnel de Paris qui a reconnu Christophe Rocancourt coupable d’avoir abusé de la faiblesse de Catherine Breillat et l’a condamné à huit mois d’emprisonnement, ce qui reste, c'est d'abord cela: une lutte de sentiments entre la fascination pour l'escroc revendiqué et la curiosité mauvaise, au mieux compatissante pour celle qu'il a dépouillée de plus de 700.000 euros en un an et demi.

On a mal pour la cinéaste, silhouette cassée en deux au banc des parties civiles, qui raconte la vie quotidienne d'une femme physiquement diminuée et moralement brisée par un accident vasculaire cérébral survenu lorsqu'elle avait 52 ans. Hémiplégie, rééducation, crises d'épilepsie, chutes, fractures, dépendance aux autres. Pour ce qu’elle avoue ainsi publiquement de la solitude et de la détresse dans lesquelles elle s’est trouvée et l'énergie désespérée avec laquelle elle les combat. Pour l'intellectuelle qui, du bout des lèvres, doit reconnaître "l'engrenage" et "l’emprise" auxquels elle s’est abandonnée :

- Je faisais des chèques, je n'ai rien dit à personne, je mentais sur ma situation financière...

Lorsqu'un soir dans une émission de télévision où il était venu faire la promotion de son autobiographie, Catherine Breillat avait découvert Christophe Rocancourt, elle s'était dit qu'elle tenait là un personnage. "J'étais infirme. J'avais besoin de faire des choses spectaculaires. D’avoir des grenades dégoupillées dans les mains. Le cinéma, c'est la seule lumière que j'ai dans ma vie", dit-elle.

A l'escroc revendiqué, elle rêve de confier un rôle dans son prochain film et de lui faire écrire un scénario sur sa vie. Elle l'appelle, il vient, elle lui signe ses premiers chèques, il reste. Elle lui en fera plus de dix-sept.

"Christophe était devenu mon meilleur ami, il m'offrait son bras pour aller marcher, coupait ma viande, m'emmenait au restaurant", raconte-elle. "Il se présentait un peu comme mon fils et moi j'étais peut-être la mère qu'il n'avait pas eue. ça peut paraître ridicule, mais quand on est seule...".

C'est Christophe Rocancourt qui va la chercher dans la maison de retraite où ses deux enfants adultes l'ont "expédiée" - le mot est d'elle - pour les fêtes de Noël. Sa voix se noie dans les sanglots. "Ça m'a ravagée de chagrin".

Il l'amène dans la maison de campagne en Normandie, puis dans l'appartement parisien qu'il partage alors avec sa compagne, l'ex miss France Sonia Rolland et leur fille. Elle y restera plusieurs mois.

- Il m'a dit: tu n'as pas de famille, moi j'en ai une, tu vas venir.

Le voilà à son tour au micro, Christophe Rocancourt, debout dans le box, roulant des regards complices vers le public. Le président Olivier Geron tente d'en savoir un peu plus sur les remises régulières de chèques dont il a bénéficié. Le prévenu élude, fanfaronne, évoque des avances sur des contrats, des besoins pour rembourser les dettes fiscales qu'il avait contractées. "Je reconnais, je suis quelqu'un qui ne sait pas gérer l'argent", dit-il, suscitant les sourires sur les bancs.

Au président qui lui fait observer que l'on a trouvé la trace d'un compte bancaire lui appartenant à Hong-Kong, il réplique:

- C'est parce que j'allais y jouer au poker.

Quand Olivier Geron évoque la trace d'un autre compte bien garni, à Lugano, Christophe Rocancourt feint de s'indigner:

- Mais enfin, Monsieur le président, si j'avais 30 millions d'euros sur un compte, je ne serais pas là devant vous! Je ne cache pas mon argent, moi, je le dépense!

Mais lorsque le juge insiste en relevant que plus des deux tiers des 700.000 euros perçus par Christophe Rocancourt l'ont justement été pendant que Catherine Breillat séjournait chez lui, après une grave crise d'épilepsie, l'amuseur se rebiffe. Le ton devient dur, la voix vulgaire.

- Moi, ce que je voudrais comprendre, c'est comment quelqu'un qui se dit en abus de faiblesse peut écrire un livre et bientôt faire un film sur cette histoire! Faudra qu'on fasse les comptes, un jour, avec Catherine, sur les droits d'auteur qu'elle va toucher avec tout ça. Parce que moi, là, je suis en prison.

Il dit encore cette drôle de phrase:

- J’ai une intelligence moyenne. C’est Catherine Breillat qui le dit. Alors ce serait quand même fabuleux que Madame Breillat, cinéaste, soit la seule à ignorer qu’elle signait des chèques à un escroc !

Comment n’apparaîtrait-il pas sympathique, Christophe Rocancourt, aux yeux du public qui se serre dans la petite salle d’audience, quand il devient soudain le cruel révélateur des faiblesses et des vulnérabilités non seulement de Catherine Breillat mais du monde qui est le sien ?

De tous ceux, medias, éditeurs, cinéastes, producteurs qui se sont entichés du mauvais garçon rentré en France après avoir purgé cinq années de prison aux Etats-Unis. Qui virevoltaient autour de lui, un carnet de chèques à la main pour lui arracher l’exclusivité de ses souvenirs d’escroqueries chez les riches américains. Qui, comme Gallimard, lui trouvait une maison pour l’aider à se consacrer à l'écriture, ou comme le producteur Thomas Langman avait dans ses tiroirs un contrat pour lui d’un million d'euros. Qui, comme Catherine Breillat, voulait le faire tourner aux côtés du mannequin Naomi Campbell. Tous alors flairaient la belle affaire, le frisson efficace, la transgression rentable.

« Nous sommes dans une histoire où, à la fin, le chat a été mangé par la souris », a plaidé le premier avocat de Christophe Rocancourt, Me Jérôme Boursican. Prostrée, saisie de tremblements qui ont conduit le président à la faire évacuer de la salle, Catherine Breillat n’a pas eu la force d’écouter jusqu’au bout le deuxième avocat de la défense, Me Jean-Yves Liénard, qui a observé:

- Une femme de cinquante ans qui a une amitié amoureuse avec un bad boy, ce n’est pas de la vulnérabilité, c’est de la vie…


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