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François Hollande fait des histoires

Justice au singulier - philippe.bilger, 27/07/2012

Choisir dans l’illimitée virtualité des idées, des connaissances et des regards possibles sur le réel l’approche qui satisfera à la fois le savoir et la complexité.

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Nicolas Sarkozy n’a pas été trop heureux dans ses rapports avec l’histoire. S’il y a des erreurs et des maladresses que François Hollande, dans les mêmes circonstances, aurait pu éviter, il y a cependant, pour les présidents de la République, une difficulté extrême à « parler » l’histoire de France parce qu’ils ont été et seront en permanence confrontés à cette lancinante contradiction : exprimer leur point de vue mais en assumant celui, contrasté, fluctuant et divers, de la communauté des citoyens. S’engager en leur nom mais pour tous. Choisir dans l’illimitée virtualité des idées, des connaissances et des regards possibles sur le réel l’approche qui satisfera à la fois le savoir et la complexité.
Comment s’étonner dès lors que François Hollande ait déjà en si peu de temps été contesté sur Jules Ferry comme pour son discours du Vel d’Hiv ?
Si la polémique au sujet du premier n’apparaissait guère sérieuse, pour le second elle méritait réflexion.
Parce que Jules Ferry « le père de l’école laïque, gratuite et obligatoire » avait été aussi le chantre de la colonisation, on aurait prétendu interdire au président ce choix comme s’il existait un seul destin homogène et constant sur le plan de la vertu publique et des actions conduites. Pousser jusqu’à ses extrêmes limites la logique d’une telle rectitude reviendrait à priver nos responsables politiques du droit de faire la moindre allusion ou référence à des personnalités même emblématiques de notre passé national. Celui-ci n’est pas jonché de saints !
François Hollande, pour le Vel d’Hiv, croyait sans doute, en demeurant dans le droit fil de Jacques Chirac, s’épargner toute controverse. Le paradoxe est que la position commune de Charles de Gaulle et de François Mitterrand, considérée comme justement abandonnée par Jacques Chirac, lui a pourtant été renvoyée de plein fouet. Parce que le président a évoqué « un crime commis en France par la France », aussi bien Henri Guaino que Jean-Pierre Chevènement lui ont asséné que la vraie France n’était pas à Vichy et que donc la France dans son essence et sa pureté n’était pas compromise par la rafle du Vel d’Hiv.
Ce ne serait jamais que des joutes politiciennes si cette querelle ne révélait pas d’abord, même à propos d’un événement tragique et, pour l’indignation, faisant quasiment consensus, les multiples embarras d’une conscience singulière, en l’occurrence présidentielle, face à la mémoire collective et à une histoire troublée.
Ce qui attend François Hollande dans un registre similaire va relever des « travaux d’Hercule » comme le souligne l’excellent article de Thomas Wieder (Le Monde) sur « Hollande face aux pièges de l’histoire ». En effet, le président va devoir se colleter, avec des discours dont j’imagine qu’ils ne seront pas trop de deux pour les peaufiner, au centenaire de la Grande Guerre, au génocide arménien et à la loi à remettre en chantier et, enfin, à la guerre d’Algérie et au cinquantenaire de l’indépendance.
Même si en dépit des difficultés je crains fort qu’une nouvelle loi sur la pénalisation de la négation du génocide arménien voie le jour – ce qui va placer François Hollande, paradoxalement, du côté d’une histoire à la fois fermée et clientéliste -, l’essentiel n’est pas là. Il réside dans la véritable impossibilité, pour le président demain, à propos de ces trois histoires d’ampleur et de répercussions évidemment très inégales, d’élaborer une synthèse, une globalité mêlant ombres et lumières, acceptant les responsabilités partagées et d’une telle honnêteté dans l’appréhension des causes, des faits et des conséquences qu’il ne ferait plus de la politique mais de l’Histoire au sens noble du terme.
Il est évidemment inconcevable que, s’agissant de la vie internationale et de débats touchant, même apparemment étrangers, le cœur de la France, le président se laisse aller à une plénitude et à une exhaustivité qui combleraient les citoyens de tous bords et les Etats concernés. Il laissera forcément beaucoup d’idées justes au bord de la route et les histoires qu’il exposera en notre nom, avec talent sûrement mais sans tout dire, ne seront pas accordées à la vision et aux convictions de tous.
Au moins, que François Hollande n’oublie pas, notamment et surtout pour le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, que la joie et le malheur n’ont pas frappé que ce seul pays.


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