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Maurice Ronet : la victoire du vaincu

Justice au singulier - philippe.bilger, 5/12/2013

Je ferme les yeux, j'ouvre le coeur. Le feu follet est de retour. Mais, très vite, dégoûté, il regagne le nid chaleureux et fidèle de nos mémoires, de nos souvenirs et de nos songes.

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Dieu sait que, depuis des années, j'avais relégué la flamboyance des défaites, les amertumes du romantisme blessé, l'alcool à flot jusqu'à plus soif, jusqu'à oubli de soi, la désinvolture peu charitable des élus, des seigneurs et l'exil au sein de sa propre vie. J'avais remisé au rancart cette bimbeloterie clinquante du mal d'être et de l'écriture sèche et impérieuse. Tous ces hussards plus de pacotille souvent que de vérité. La forme comme profondeur, comme pudeur.

Pourtant, il a suffi de la réapparition de Maurice Ronet auquel on vient de consacrer deux livres, dont l'un remarquable de José-Alain Fralon, pour faire renaître la magie, le trouble, le flou, la poésie, l'errance, la douceur triste, la voix retenue et pourtant si intensément présente avec ce timbre à la fois désarmé et unique, la nostalgie de ces moments qui fusionnaient si bien l'art et la vie, la perfection du film et l'âme et la sensibilité de son spectateur.

Maurice Ronet est mort il y a trente ans et il fait partie de ces êtres rares dont la disparition n'abolit rien, ni son visage ni son allure ni ses mots ni cette aura sulfureuse mais aussi si incroyablement civilisée, comme une personne de grâce dans un monde de brutes et d'incultes.

Le formidable récit de Drieu La Rochelle, "Le Feu follet", a permis, retranscrit à la perfection, transfiguré, compris dans ses recoins et ses sinuosités les plus sombres, les plus touchants, la survenue splendide de l'oeuvre de Louis Malle où l'accord exceptionnel du metteur en scène et de Maurice Ronet a offert aux spectateurs de quoi, paradoxalement, pleurer sur leur existence et trouver des raisons de vivre, tant la beauté, empruntant même les masques les plus déchirants, n'est jamais aussi désespérante qu'elle voudrait l'être.

Maurice Ronet, pour l'éternité, est cet homme fragile, déjà presque cassé, qui va chercher recours, secours auprès d'autrui mais ne s'affronte qu'à cette seule réalité qui est le besoin absolu qu'il éprouve d'être aimé, de ne pas être abandonné. Et le suicide sera la réponse à cette impossible quête.

Comment faire pour survivre, comment s'inventer, dans le désert humain où les rêves de proximité et de fraternité tombent misérablement en quenouille, des justifications pour demeurer et n'être pas trop indigne de l'esthétique de soi, comme un spectacle qu'on ne quitterait pas avant l'entracte ?

Maurice Ronet, c'est d'abord ce compagnon des salles obscures déambulant dans le Paris de l'angoisse et de la solitude tandis qu'au cours de mes multiples visions, je m'imaginais être ce feu follet se délitant par procuration et succombant par substitution.

Ce hussard empli de larmes, d'états d'âme et d'alcool, cet amoureux des livres, cet admirateur de Melville, cet ami incomparable, ce réalisateur admirable de Bartleby, ce séducteur si peu vulgaire, cet humain adoré et parfois détestable. Maurice Ronet comme une signature infiniment distinguée au bas du parchemin de notre chemin de joie, de notre chemin de croix.

La victoire du vaincu est éclatante, glorieuse. Les inoubliables sont ceux qui à aucune seconde ne craignent d'être effacés. Ceux qui respirent en faisant peut-être du bruit mais sans qu'il les empêche d'entendre le glas lancinant de la mort qu'ils portent en eux. Comme une habitude, telle une tentation ou une impatience.

Je ferme les yeux, j'ouvre le coeur. Le feu follet est de retour. Mais, très vite, dégoûté, il regagne le nid chaleureux et fidèle de nos mémoires, de nos souvenirs et de nos songes.


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