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De l'inutilité des consultants

Justice au singulier - philippe.bilger, 13/06/2014

J'aime par-dessus tout le foot. Je ne suis pas un mauvais coucheur parce que je considère que les consultants sont inutiles. Entre leurs mots, je ne parviens plus à entendre et à voir. Ils nous saoulent quand notre ivresse ne dépend pas d'eux, n'a pas besoin d'eux.

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Avec le Mondial au Brésil, voici venir le temps des footballeurs.

Celui des sportifs en chambre et des hurlements collectifs de joie ou de déception.

Voici surtout venir le temps des consultants se multipliant à foison pour ajouter leurs observations creuses et sans doute grassement payées à des commentaires qui trop souvent ne laissent pas parler les images.

Depuis quelques jours on nous annonce leur surabondance comme si elle était une aubaine au lieu de se demander s'ils servent à quelque chose (Le Figaro).

Pour ma part j'ai tranché : à rien. "La vérité du football se passe de commentaires" : pour une fois, Jean Birnbaum, vantant un livre, a raison (Le Monde des Livres).

Généralement anciens footballeurs desquels on exige de faire nombre et dont l'emploi de la langue française est trop souvent approximatif - même s'il est difficile de faire pire, sur ce plan, que le malheureux Ribéry -, on les sollicite comme s'ils nous enrichissaient alors qu'ils nous privent.

On raisonne absurdement comme si les passionnés de la Coupe du monde avaient besoin d'informations superfétatoires et répétitives alors qu'ils connaissent aussi bien que ceux qui les inondent de mots l'essentiel : ce qui se passe sous leurs yeux, les buts qu'on marque, le jeu beau ou médiocre qui est développé.

A supposer même que l'histoire du foot soit dans la tête de ces personnalités estimables dans leur premier métier mais peu doués pour le second, sa relation est parfaitement vaine pour les amateurs qui ont la faiblesse de se concentrer sur la manière dont victoires ou défaites vont s'opérer, se conquérir ou être infligées.

A moins d'être masochiste, personne, dans ces cercles nombreux autour de la télévision qui va devenir jusqu'au mois de juillet le centre chaleureux et partial des foyers, ne s'y agrège s'il n'a pas au moins une intuition minimale de ce qui se passe sur le terrain et de l'économie générale du match. Les consultants n'auraient à la rigueur du sens que si la majorité des téléspectateurs était ignare en matière de sport. Et encore !

La tendance d'aujourd'hui, en effet, devient dévastatrice en nous interdisant littéralement d'écouter les images et de voir la réalité à force d'équipes médiatiques dont j'avais écrit en plaisantant que leur nombre un jour dépasserait les onze joueurs de l'équipe. On n'en est plus très loin !

Canal Plus, sur ce plan, est hallucinant - même si je sauve Hervé Mathoux et Messaoud Benterki alors qu'elle pâtit du plus bête des hommes de terrain, Laurent Paganelli, dont le vocabulaire va jusqu'à OK et qui pose des questions profondes comme "vous voulez marquer pour gagner ?"

Malheureusement TF1 est dans le même registre puisqu'à nouveau nous avons eu droit au trio Jeanpierre, Lizarazu et Wenger, pour le match Brésil-Croatie qui a poussé jusqu'à la caricature les traits de la première compétition : la meilleure équipe perd, un pénalty scandaleux et un arbitrage "à la maison" qui augure mal de la suite ! Il a tenté désespérément de multiplier un propos forcément redondant face à un spectacle unique qui n'aurait mérité qu'un seul commentateur et évidemment il aurait fallu garder Liza !

Arsène Wenger, dans cet exercice, apporte à peu près autant que si on m'avait demandé d'entraîner Arsenal ! Tout cela, au fond, révèle un mépris de la substance, de la parole et en définitive du téléspectateur. Ce qui compte ce n'est pas de lui offrir le meilleur, même s'il est singulier, mais de permettre à un petit groupe d'échanger et de justifier son existence par d'inlassables pléonasmes : quand l'image crève les yeux, nul besoin de mots qui la décrivent !

Il n'y a pas que le foot qui est atteint par ce prurit du commentaire qui vient étouffer l'éclatante force du réel sportif.

Alors que Roland Garros pourrait, devrait être une fête grâce au fin et intelligent Laurent Luyat, on souffre parce que les commentateurs ne veulent pas comprendre que durant les échanges ils doivent se taire. Evidemment, parlant au mauvais moment pour ne rien dire d'essentiel, ils ont ainsi l'impression de justifier leur existence professionnelle. Mais ils accablent et n'apprennent rien. Dans ce domaine, Dominguez et Boetsch sont les plus pervers ! Ils sont redoutables à force de profusion faussement savante et ennuyeuse comme la pluie. On voudrait voir jouer Nadal dans le silence - le nôtre - et on a le bruit de fond de Chamoulaud ou de Cornet. Cherchez l'erreur !

Pourquoi, en matière de sport et pour en revenir au sport populaire par excellence, le football, ce domaine est-il le seul qui s'autorise à rémunérer une multitude de consultants pour rien ? En matière de justice, de culture, de politique, conçoit-on d'adjoindre au journaliste à qui il arrive de maîtriser son sujet à l'écrit ou à l'oral un consultant ancien praticien et voué à apporter des lumières ou un savoir que le professionnel de l'information, s'il est exemplaire, doit posséder ?

Et je ne parle même pas des commentaires "sauvages" puisqu'il paraît que le président de la République, en Andorre, a manifesté, durant une demi-heure, sa science du foot et sa lucidité dans le jugement. Je me demande alors pourquoi il a embauché Nathalie Ianetta qui ne me manquera pas mais à laquelle au moins on ne pourra pas reprocher de voler au secours du succès.

J'aime par-dessus tout le foot. Je ne suis pas un mauvais coucheur parce que je considère que les consultants sont inutiles.

Entre leurs mots, je ne parviens plus à entendre et à voir.

Ils nous saoulent quand notre ivresse ne dépend pas d'eux, n'a pas besoin d'eux.


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