Actions sur le document

L'esprit sain

Justice au singulier - philippe.bilger, 14/02/2013

Je ne suis même pas sûr que Benoît XVI introduise une brèche, une rupture pour le futur de la papauté. On verra bien. Ce qui est certain, c'est ce murmure diffus et universel : ce qu'il a fait est admirable, gardons-nous bien de faire comme lui.

Lire l'article...

Choc universel que cette annonce de la renonciation de Benoît XVI à sa charge de Souverain Pontife. Elle deviendra effective à partir du 28 février 2013.

Ce sera la huitième, les sept premières ayant été exprimées avant 1415 (Le Monde, Le Figaro).

Elu pape à l'âge de 78 ans, le 19 avril 2005, Benoît XVI a considéré qu'il n'avait plus les forces suffisantes pour présider de manière efficace et éclairée aux destinées de l'Eglise catholique.

A l'exception des sarcasmes obligatoires imprégnés d'une germanophobie insultante, la majorité des réactions suscitées par cet abandon infiniment courageux ont été à la hauteur de son caractère exceptionnel. Le président de la République n'a pu s'empêcher de mêler à une gravité banale et inévitable une plaisanterie sur le fait que la France "n'aurait aucun candidat". Cette manière moins drôle qu'inadaptée, pour François Hollande, de faire un sort aux événements capitaux risque de lasser à la longue (France Inter, nouvelobs.com).

Ce pape traîné dans la boue médiatique, surtout dans les débuts de son pontificat, traité de conservateur avec mépris, parfois quasiment de nazi par les débiles grossiers qui croient que s'en prendre à un pape est encore faire preuve d'audace, a révélé grâce à sa renonciation lucide et sereine une aptitude à la transgression exemplaire, à la témérité raisonnée, qui permet de le qualifier au contraire comme un révolutionnaire de la tradition. Même si sa démarche sans doute n'aurait pas été prise s'il n'avait pas assisté à la fin interminable de Jean-Paul II et s'il n'avait pas voulu modestement, sur cette matière délicate du pouvoir et de la santé, ouvrir les portes de l'avenir, reste qu'elle lui revient d'abord à lui qui a su combattre, par sa décision, tous les clichés beaux et confortables de la durée à tout prix, de la maîtrise assumée jusqu'au dernier instant. Parce qu'il serait honteux de déserter, parce que rien ne serait plus exaltant que d'endurer pour tenir son rang. Parce qu'il est plus honorable de demeurer que de laisser la place.

Tous ces souverains poncifs qui ne cessent pas de dégrader la politique et de pervertir l'exercice de la domination - ils donnent en effet bonne conscience à ce qui n'est au fond que pure jouissance, même masochiste; de supériorité sur autrui -, Benoît XVI les a mis au rancart parce que délibérément, vaillamment il a substitué à l'esprit saint qui, l'ayant investi, lui aurait interdit de lâcher, l'esprit sain qui lui a commandé de renoncer.

Difficile de concevoir ce qu'il faut d'énergie, même dans l'extrême faiblesse, pour se dépouiller d'attributs et d'une souveraineté que bizarrement on ne vous reprocherait jamais d'incarner jusqu'au terme, et à rebours revendiquer le droit à une fragilité et donc à une forme d'impuissance. Paradoxalement, la véritable désertion est de fuir ce que la raison ordonne et le courage, de s'y plier contre tous les pièges de la vanité et de la tentation du paraître. Pour être pape, on peut, comme tout autre, risquer de succomber à ces artifices qui font encore chaud au coeur et à l'esprit quand le corps souffrant a déjà dit ses maux.

Pour qui se plaît à avoir une conception réaliste, voire cynique de l'existence, les éloges hypocrites des responsables publics, leurs encouragements et leurs louanges pour cette renonciation qu'ils se garderaient bien d'opérer dans l'ordre profane et démocratique ou, encore moins, dans le désordre chaotique et impérieux des dictatures ne manquent pas de faire sourire ou d'indigner, c'est selon. Comme ils sont heureux à l'idée de pouvoir applaudir ce qui représente absolument le contraire de ce qui est enraciné en eux : la certitude qu'ils sont irremplaçables, nécessaires, et que leur dernier souffle sera encore un cadeau qu'ils feront à leur pays, à leur Etat, qu'ils se feront à eux-mêmes. Les élections, les renouvellements constituent la parure présentable pour une appétence profonde, intime : pour un pouvoir qu'on ne tient pas à perdre quand on le tient et qu'on a le droit de le retenir.

Je ne suis même pas sûr que Benoît XVI introduise une brèche, une rupture pour le futur de la papauté. On verra bien. Ce qui est certain, c'est ce murmure diffus et universel : ce qu'il a fait est admirable, gardons-nous bien de faire comme lui.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...