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Zyed et Bouna : juste après la mort, juste avant l’émeute

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 17/03/2015

Soudain, dans la salle d'audience du tribunal correctionnel de Rennes, mardi 17 mars, le drame de Clichy ne date plus de dix ans. Il s'est produit il y a trente minutes, à 18 h 12 exactement, quand un arc électrique … Continuer la lecture

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Soudain, dans la salle d'audience du tribunal correctionnel de Rennes, mardi 17 mars, le drame de Clichy ne date plus de dix ans. Il s'est produit il y a trente minutes, à 18 h 12 exactement, quand un arc électrique s'est formé entre Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, dans le transformateur EDF dans lequel ils se sont réfugiés. Muhittin Altun, le seul rescapé, brûlé au bras et sur les cuisses, est à la barre. Il raconte comment il parvient à escalader le mur, à sauter par dessus les barbelés, à traverser le cimetière. Il a mal, il a chaud, il veut rentrer chez lui, mais il veut d'abord prévenir les autres, les grands frères, de ce qui s'est passé. Il se dit qu'ils sont sûrement au centre commercial, ils y sont. Parmi eux, le frère aîné de Bouna, qui est venu chercher le pain.

Le grand frère raconte à son tour. "J'ai vu arriver Muhittin, il marchait difficilement, il arrivait à peine à parler. Il répétait:  'Zyed, Bouna, Zyed, Bouna'. Tombés. Tombés, centrale électrique, ils sont tombés ." Les amis s'attroupent, l'un d'eux compose immédiatement le numéro des pompiers, répète ce qu'il vient d'entendre de la bouche de Muhittin : "Y  a nos petits frères, ils sont restés dans... ils sont tombés dans la centrale électrique." Son interlocuteur au téléphone demande quelques précisions, annonce qu'il envoie aussitôt des secours sur place. Les grands frères sautent dans une voiture, ils emmènent Muhittin, qui peine à les guider. Lorsqu'ils arrivent devant l'entrée de la centrale EDF, les pompiers sont déjà là. Les premières voitures de police aussi. L'attente commence.

Dans la salle d'audience résonne alors le son crachoteux de la radio de la police. Tout l'enregistrement est diffusé. On bascule alors dans cette heure infime et vertigineuse, juste après la mort, juste avant les émeutes. Il est à peine un peu plus de 19 heures et l'UPP 833 Alpha – l'identifiant de l'un des deux prévenus, Sébastien Gaillemin – annonce qu'il se trouve rue des Bois, à Clichy-sous-Bois, "requis par les sapeurs-pompiers, ils interviennent pour des enfants qui auraient été, euh, qui auraient été électrocutés sur le site EDF". Il poursuit : "Pour l'instant, on est en train d'essayer de régler le problème avec les grands frères qui viennent nous casser les bonbons." A l'autre bout du fil, une voix ferme répond : "Modérez vos expressions, si vous avez besoin de renfort, on va vous les envoyer, mais modérez vos expressions !" Le policier décrit "une dizaine d'individus qui sont à l'entrée du site, il y a en un qui est très virulent". A nouveau l'UPP 833 : "D'urgence, apportez du monde, il y a les grands frères qui viennent foutre le bordel ! – C'est transmis." Un policier d'une autre unité intervient sur les ondes : "Les collègues ont besoin d'un coup de main ? – Affirmatif", répond une voix.  "Vite, du monde !", répète l'UPP 833. Au centre de coordination des appels, on sent monter la pression. "Est-ce qu'on peut savoir s'il y a des victimes ? Des mineurs ? Donnez-nous des infos."

Delta Charlie Delta

Il est 19 h 15, l'information tombe sur les fréquences de la police. "A l'intérieur du transformateur, selon le capitaine des sapeurs-pompiers, il y a deux Delta Charlie Delta [décédés]. Deux Delta Charlie Delta. Et un blessé. – Reçu." Le policier sur place continue de parler des "individus" qui se rassemblent sur le site. Son interlocuteur s'énerve. "Nous, ce qui nous intéresse, c'est les victimes ! Ça fait trente minutes que vous êtes sur place et vous ne parlez que des attroupements ! Ce qu'on veut savoir, c'est les circonstances, comment ça s'est passé ? Est-ce que c'est fortuit ? Est-ce que c'est accidentel ? Est-ce qu'ils étaient poursuivis par la police ?"  

Quelques minutes passent. Nouvel échange. "Il y a des membres de la famille sur place. La mère, le père, le frère, l'oncle." L'identité de la première victime est annoncée. "Bouna, Bravo Oscar Uniform November Alpha. – Quel âge ? – 16 ans." Puis, un peu plus tard, celle de la seconde : "Zyed Zoulou Yankee Echo Delta." On entend des cris derrière. Le policier explique, sa voix est calme : "Ce sont des chagrins et des pleurs. L'officier des SP [sapeurs-pompiers] vient d'annoncer les décédés. Je pense que nous sommes suffisamment d'effectifs pour le moment."

Etat d'urgence

D'un autre endroit, Livry-Gargan, parvient un appel qui demande du renfort. "Il y a un attroupement de jeunes autour du commissariat. Eventuelles représailles. – Bien reçu", répond la voix du centre opérationnel, qui donne à un autre équipage l'ordre de partir faire des rondes "dans le secteur du Chêne pointu", la cité dont sont originaires les deux victimes. "Mais vous ne rentrez pas dans la cité. Seulement des rondes autour. – Reçu."

Un nouveau message annonce que le maire de Clichy, Claude Dilain [mort le 3 mars] vient d'arriver sur place. Il est 20 h 22. Les appels à demande de renfort policier se multiplient sur les ondes. "Je me suis fait déjà caillassé deux fois." La consigne est transmise aux unités des communes voisines de venir à Clichy. "On vous envoie là-bas en prévision de représailles de jeunes", dit l'opérateur. Il est 20 h 36. Une première voiture brûlée est signalée au Tremblay. Dix jours plus tard, le 8 novembre 2005, le premier ministre, Dominique de Villepin, décrète l'état d'urgence.


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