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Dérogation au monopole de la marque : application, par le juge des référés, de l’exception de « référence nécessaire » dans l’affaire « Réside Etudes »

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Matthieu Bourgeois, Laetitia Basset, 27/09/2018

Par une ordonnance rendue en référé le 17 septembre 2018 (l’ « Ordonnance »), le Tribunal de grande instance de Paris (le « TGI ») a rejeté l’action des sociétés RESIDE ETUDES ET RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT (« RESIDE ETUDES ») – titulaires de la marque éponyme (la « Marque »), pour désigner leur activité de promotion et gestion immobilière –, exercée à l’encontre d’un intermédiaire en transactions immobilières (la « SARL COHEN »).
La SARL COHEN se référait à la Marque dans des annonces relatives à des biens immobiliers « de seconde main », remis en vente par leurs propriétaires « pour identifier » la société « en charge de la gestion » de ses biens, en relevant que ces annonces ne créent pas de confusion sur l’origine des biens puisqu’elle permettait de distinguer le gestionnaire du vendeur.

Ce faisant, le juge des référés applique l’exception de l’article L.713-6 du code de la propriété intellectuelle (le « CPI »), selon laquelle l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme « référence nécessaire » pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service à condition qu’il n’y ait pas de risque de confusion entre les signes.

Cette décision est intéressante à deux titres : tout d’abord, elle illustre l’exception de « référence nécessaire », souvent oublié des praticiens, dont l’application en l’espèce pourrait néanmoins prêter à discussion en appel au fond ; ensuite et plus généralement, elle rappelle que la marque est un outil insuffisant, en soi, pour conférer à son titulaire un monopole absolu sur la chaîne de commercialisation de produits ou services.

I – Portée de la décision : un rappel des limites au monopole conféré par la marque

A/ Le choix de l’exception de « référence nécessaire » par le juge des référés

Les faits :


Plusieurs sites internet (les « Sites») édités par la SARL COHEN ont publié des annonces de programmes immobiliers neufs et « de seconde main » construits et gérés par RESIDE ETUDES.

Suite au courrier de mise en demeure de RESIDE ETUDES, les annonces des programmes immobiliers neufs ont été retirées mais pas les annonces de biens « de seconde main » destinés à la revente.

La procédure :

Invoquant un trouble manifestement illicite sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile et des articles L713-1L713-1 et suivants du Code de propriété intellectuelle, RESIDE ETUDES a assigné en référé d’heure à heure la SARL COHEN aux fins d’obtenir, sous astreinte, la suppression immédiate de toutes références aux produits, marques logos, dessins et modèles, films publicitaires, textes et/ou photographies relatives à RESIDE ETUDES et/ou aux biens immobiliers neufs ou « de seconde main » en revente qu’elle commercialise . (1)

La décision :

Le TGI a donné gain de cause à la SARL COHEN.

Sur le grief de contrefaçon (et de concurrence déloyale), après un rappel du régime classique du droit de marques issu des articles combinés L.122-4, L.713-1 et L.713- 2 alinéa 1er du CPI, le TGI conclut, au visa de l’article L.713-6 du CPI, qu’ « il n’est pas contesté que le Site internet reprend les marques de la société RESIDE ETUDES dans les annonces qu’elle publie sur ses sites internet, notamment « RESIDE ETUDES ou « LA GIRANDIERE », sur les annonces de biens immobiliers en revente exploités et gérés par lesdites sociétés.

Toutefois, il convient de relever que cette référence faite sur ces annonces à RESIDE ETUDES est explicitement indiquée pour identifier la société précitée en charge de la gestion de ces biens immobiliers en revente.

Il convient donc de constater que les références à la société RESIDE ETUDES , en indiquant dans ses annonces que la société précitée a en gestion ces biens immobiliers en revente, ne créent pas de confusion sur l’origine de ces biens et permettent de distinguer le gestionnaire et le vendeur des biens ».

En conséquence, pour le TGI, aucun usage illicite de la Marque n’a été commis dans les annonces et par-delà aucun acte de contrefaçon ou de concurrence n’est caractérisé. (2)

(1) RESIDE ETUDES faisait également valoir que les agissements de la SARL COHEN sont constitutifs de publicité trompeuse en application des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation

(2) Sur le grief de publicité trompeuse, le TGI indique que les Sites internet « fait référence à la marque RESIDE ETUDES pour préciser sur ses annonces que cette société gère les biens immobiliers en revente présentés sur ses sites, il a été rappelé que cette référence ne crée pas de confusion avec les sociétés RESIDE ETUDES et RESIDE ETUDES INVESTISSEMENT entre son rôle d’intermédiaire dans la vente de ces biens et celui de la société RESIDE ETUDES qui en est le gestionnaire ».

B/ Un choix discutable
Par cette décision, non définitive (3), le TGI s’inscrit ainsi dans la jurisprudence constante sans toutefois se livrer à une analyse détaillée des conditions cumulatives de l’article L.713-6 b).

En vertu de l’exception de « référence nécessaire » énoncée à l’article L.713-6 b) du CPI, « le titulaire d’une marque antérieure ne peut pas interdire l’usage par un tiers d’un signe identique ou similaire à sa marque dès lors que sa marque constitue « une référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans leur origine ».

Ainsi, trois (3) conditions cumulatives sont essentielles pour bénéficier de cette exception :

• L’usage doit concerner la destination et non l’origine du produit ou du service ;

• L’usage doit constituer une « référence nécessaire » pour indiquer la destination du produit ou du service commercialisé par le tiers. La citation d’une marque appartenant à un tiers doit être « le seul moyen » pour un opérateur économique de promouvoir ses propres produits ou services ;

• L’usage ne doit pas générer un risque de confusion ;

Le choix de l’exception de « référence nécessaire » par le juge des référés pourrait néanmoins être discuté en l’espèce.

Il est permis de penser que le juge des référés aurait pu prononcer la même décision, et conclure à l’absence de contrefaçon et/ou de concurrence déloyale en démontrant simplement l’absence de risque de risque de confusion et donc d’atteinte à la fonction essentielle de la Marque, à savoir la fonction de garantie de l’origine commerciale des produits ou services qu’elle désigne.

En distinguant efficacement le gestionnaire du vendeur des biens immobiliers litigieux dans le contenu de ses annonces, la SARL COHEN n’a créée aucune confusion sur l’origine desdits biens ni laissé penser qu’il existe un lien économique entre la SARL COHEN et RESIDE ETUDES.
Autrement dit, la conclusion du juge des référés aurait pu se limiter à : « Il convient donc de constater que les références à la société RESIDE ETUDES, en indiquant dans ses annonces que la société précitée a en gestion ces biens immobiliers en revente, ne créent pas de confusion sur l’origine de ces biens et permettent de distinguer le gestionnaire et le vendeur des biens ».

(3) L’ordonnance de référé du 17 septembre 2018 est susceptible d’appel pendant un délai de quinze jours à compter de la signification

II- Les enseignements de la décision : la marque, un outil utile mais perfectible

A/ La marque : un outil insuffisant pour contrôler la commercialisation « de bout en bout »
Au terme des articles L.122-4, L. 713-1, L. 713-2 et L. 713-3 du CPI, le titulaire d’un droit de marque a le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou l’imitation de sa marque pour désigner les produits et/ou les services pour lesquels elle est protégée. Il s’agit du monopole exclusif d’exploitation du titulaire de la marque.

Toutefois, ce monopole connaît des exceptions légales telles que (i) le principe de « référence nécessaire » exposé supra et objet de la décision commentée ou (ii) le principe de l’épuisement des droits.

Le principe de l'épuisement des droits, prévu par l’article L.713-44 du CPI (4) , reconnait au titulaire d’un droit de marque le droit exclusif d’exploiter lui-même ou d’autoriser un tiers l’exploitation pour la première mise en circulation (5) d’un produit ou d’un service au sein de l’Espace Economique Européen (EEE).

Après cette première mise en circulation, avec son consentement, le titulaire ne pourra pas invoquer son droit de marque pour faire interdire la commercialisation d’un produit marqué par un tiers, sauf à rapporter la preuve de motifs légitimes.
En conséquence, la marque ne confère à son titulaire qu’un monopole « relatif » pouvant être fragilisé.

(4) Article L.713-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. Toutefois, faculté reste alors ouverte au propriétaire de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation s'il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits ».
(5) Commercialisation

B/ L’utilité d’un réseau de distribution
Si le monopole conféré par le droit de marque souffre de quelques exceptions bénéficiant notamment au revendeur d’un produit marqué authentique, le titulaire de la marque peut renforcer le contrôle de la commercialisation de ses produits par le biais d’un réseau de distribution sélectif voir exclusif.

La distribution sélective consiste à réserver le droit de vendre des produits marqués à des distributeurs agréés par contrat, sur la base de critères définis par le titulaire de la marque.

La distribution exclusive est quant à elle une stratégie de commercialisation équivalente à la distribution sélective sauf que la commercialisation est confiée à un très petits nombre de distributeurs agréés.

Toutefois, si la mise en place d’un réseau de distribution sélectif contribue à préserver les intérêts du titulaire de la marque, encore faut-il pouvoir démontrer l’existence et la licéité de ce réseau. (6)

(6) La cour d’appel de Paris (pôle 5-chambre 4) précise, dans un arrêt du 29 juin 2016 (RG 14/00335)



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