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Il faut faire son miel de tout !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/12/2018

Parce qu'on a non seulement le droit mais le devoir de quérir partout ce qui vous manque avec l'obligation, ensuite, de distinguer le bon grain de l'ivraie, je suis inquiet face à cette loi sur les "fake news" qui peu ou prou est animée par l'obsession de réduite le champ de l'information au lieu de le laisser se développer en confiant au seul esprit critique le soin d'y voir clair (JDD).

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J'aime lire le plus possible. Pas tout évidemment : ce serait inconcevable. J'adore butiner, vagabonder, récolter. Plus la pensée est apparemment éloignée de moi et de mes convictions profondes, plus j'éprouve de l'appétence pour elle. Comme s'il n'existait pas de véritable plaisir intellectuel sans masochisme choisi.

Il faut d'autant plus faire son miel de tout qu'on ne peut prétendre s'informer qu'en multipliant ses sources, presse écrite, audiovisuel et Internet, et en accomplissant soi-même le travail de tri et de synthèse.

Il convient d'autant plus de s'attacher à tout que les médias classiques, aussi contrastés qu'ils apparaissent, sont en profondeur univoques et ligotés : par les opinions qu'il est décent de cultiver et par une approche, sur les thèmes sensibles, plus morale que factuelle. Le réel, en quelque sorte, doit avoir forcément tort par rapport à l'humanisme de bon aloi dont il serait malséant de se dissocier.

C'est seulement ainsi, avec un pluralisme qu'on s'efforce d'instaurer soi-même et pour soi - effarant, par exemple, de constater que certains ne se tiennent au fait que par Twitter - qu'on peut tenter d'appréhender le moins mal possible la diversité de la France en toutes ses facettes et du monde dans tous ses registres.

Je raffole aussi, à partir du moment où aucune hiérarchie de principe n'est légitime en faveur des instances officielles, des rapprochements pouvant sembler incongrus mais qui éclairent et offrent des points de vue surprenants. Ils cassent les codes, les préjugés et les banalités forcément honorables.

Par exemple j'ai eu envie de relier Michel Houellebecq à Patrick Chesnais. Ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre et ils ne parlent pas de la même chose. Leur seule similitude résulte de leur regard décapant qui ne s'accommode d'aucun poncif ni de la moindre pression.

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Le premier, dans un entretien du 13 décembre donné au magazine américain Harper's, avec l'aura que son génie littéraire lui a apporté et qui enrichit le débat public, n'a pas hésité à déclarer, tout en dénonçant sa vulgarité, que "Donald Trump est un des meilleurs présidents américains que j'aie jamais vu". Cet écrivain n'a peur de rien, a toutes les audaces. On peut évidemment contredire, voire détester son appréciation mais dans tous les cas sa liberté et sa dissidence par rapport à l'opprobre généralisé bat heureusement en brèche ce que l'univers des médias ressasse, préférant cultiver la sécurité que le bouleversement. Mieux vaut, pour lui, poursuivre le fil de ce qui existe et a déjà été dit qu'ouvrir des perspectives nouvelles.

Michel Houellebecq, grâce à sa démarche, a projeté un coup de jeune dans la pensée conventionnelle et on peut ainsi comprendre que faire son miel de son propos n'est pas iconoclaste mais ajoute à une information qui par ailleurs se nourrit des sources classiques. Une aspiration à la globalité est ainsi satisfaite.

On peut s'étonner de me voir embarquer Patrick Chesnais dans ce même processus visant à chercher partout ce dont la pensée a besoin. Pourtant il y a de la logique dans ma volonté de faire un sort aux réponses de cet acteur questionné notamment sur les sujets d'actualité.

J'approuve non seulement son "commenter c'est le nouveau truc démocratique" mais bien plus sa perception décapante du mouvement des Gilets jaunes. Sans minimiser les facteurs sociaux et économiques, il rappelle qu'il y a "des gens qui touchent 800 euros par mois et ne sont pas désespérés". Il met surtout l'accent sur ce qu'on n'ose plus soutenir parce qu'on y verrait de l'indifférence alors qu'il s'agit seulement de lucidité.

Il a raison quand il souligne que "l'injustice des données humaines ne se calcule pas toujours en fonction de l'argent...il y a des gens riches qui ont des enfants handicapés, la vie est injuste...". Certes ce n'est pas le même type d'inégalité que celui qui offense le mouvement des Gilets jaunes mais il est sans doute plus profond, il tient à l'existence même et à cette inéquitable répartition, par la destinée, des malheurs et des bonheurs, des souffrances et des joies. J'entends bien que l'argent n'est pas neutre dans les facilités qu'il donne mais il ne guérit pas tout.

Ce n'est pas forcer le trait que de faire aussi son miel de cette observation de Patrick Chesnais.

Parce qu'on a non seulement le droit mais le devoir de quérir partout ce qui vous manque avec l'obligation, ensuite, de distinguer le bon grain de l'ivraie. Je suis inquiet face à cette loi sur les "fake news" qui peu ou prou est animée par l'obsession de réduire le champ de l'information au lieu de le laisser se développer en confiant au seul esprit critique le soin d'y voir clair.


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