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La symbolique du pouvoir mais la banalisation de la Justice...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/03/2018

Le président de la République a fait beaucoup pour la France avec la symbolique du pouvoir, de son pouvoir. De quel droit, alors, peut-il si légèrement décréter que la Justice criminelle sera dépouillée de sa symbolique et le peuple de sa mission ?

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Il n'y a pas un président de la République plus sensible et attentif à la symbolique du pouvoir qu'Emmanuel Macron.

D'abord parce que face aux quinquennats précédents, il était facile de lui redonner une place éminente puisque ceux-ci l'avaient évacuée au bénéfice d'un prosaïsme sans allure.

Surtout, en raison du fait que le président de la République, dans sa réflexion sur la relation qu'il convenait d'entretenir avec les Français, avait naturellement mesuré l'importance des symboles, du rite, de la solennité et d'une attitude qui permettait à tous, même aux opposants, de s'identifier avec la représentation offerte.

Quelle terrible déception, alors, de constater que dans le domaine du régalien, à l'égard duquel Emmanuel Macron a manifesté pourtant un intérêt constant, la symbolique du pouvoir, dont on aurait pu espérer la contagion positive sur les institutions fondamentales pour la démocratie, a disparu malheureusement au profit d'une banalisation, d'une technocratie, d'une rationalisation prétendument inspirée par l'efficacité mais profondément perverse !

Ce ne sont pas les axes de la réforme de la Justice qui me désappointent. Au contraire les six mesures pour réduire les délais de la justice civile vont indéniablement dans le bon sens (Le Figaro).

Le préoccupant se rapporte à la Justice criminelle.

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On projette la création du "tribunal criminel" qui composé seulement de magistrats jugera les crimes punis jusqu'à vingt ans tandis que les cours d'assises, avec leur jury populaire, demeureront compétentes pour les affaires les plus graves jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité comme les meurtres ou et les assassinats (Le Monde).

Je devine l'argumentation qui sera développée pour battre en brèche la dénonciation de cette dégradation, de cette dénaturation par le bas parce que la majesté tragique et populaire du haut devenait insupportable pour un régime qui veut bien de la symbolique pour la présidence mais l'exclut pour la société.

On pourra faire valoir tout ce qu'on voudra - rapidité et simplicité ? - mais il est clair que si on garde le peuple pour le jugement de certains crimes, on va allègrement s'en séparer pour l'appréciation d'autres transgressions comme par exemple les viols, les vols à main armée et les coups mortels au sujet desquels je perçois mal l'obligation de se priver des citoyens quand ils seraient nécessaires ailleurs.

Le fait que des dossiers criminels soient correctionnalisés, notamment des viols, ne justifie pas techniquement et judiciairement l'exclusion du jury populaire quand on les a considérés comme trop graves pour les faire échapper aux cours d'assises.

C'est le peuple dont on veut réduire la part, la mission, la présence parce qu'il est insupportable avec son désir de rigueur, sa conscience de la gravité des choses et son incroyable intuition collective pour donner à chaque crime, à chaque accusé le champ et la décision justes.

Aussi quelle surprenante contradiction que celle d'un gouvernement qui n'a pas lésiné sur la démagogie ces derniers mois au sujet des atteintes causées aux femmes et qui trouve le moyen, pour appréhender les plus scandaleuses : les viols, de faire sortir le peuple par la fenêtre alors que dans le débat d'aujourd'hui il aurait été beaucoup plus légitime que quiconque, en tout cas que les seuls magistrats, pour relever le défi de ce fléau criminel.

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Pour aller plus loin, il me semble que dans cette approche à l'évidence concertée entre la garde des Sceaux et le président de la République, il y a davantage que cet apparent besoin de simplifier, de mutiler par efficacité et de banaliser par facilité. Je sens en effet une tendance propre au "macronisme" de ne rien prendre véritablement au tragique - sauf pour des points de vue validés par un humanisme rentable - et donc de concevoir sans état d'âme des processus et des réformes éliminant absurdement la symbolique du peuple, des cours d'assises et des crimes parce qu'elle est dorénavant jugée inutile et superfétatoire.

Parce que ceux qui réforment ne savent rien de cet univers criminel unique et de la richesse absolue qu'apporte le citoyen à tous les procès d'assises.

Parce que ceux qui en masse vont approuver ce projet de loi ignorent tout de ce monde et s'imagineront de bonne foi qu'on peut rendre hommage à une institution exemplaire en la rendant hémiplégique.

Il y a une insoutenable gravité à assumer, la tension qu'impose une société refusant de transiger avec tout ce qui l'offense et je conçois la tête lourde de l'Etat ne sachant comment s'en dépêtrer.

Mais on ne peut prétendre s'en défaire par d'incongrus "saucissonnages" ni pertinents ni utiles. Ils le seront d'autant moins qu'une tendance discutable vise à constituer de plus en plus les cours d'assises comme de "super correctionnelles". Ce serait un drame intellectuel et judiciaire que de poursuivre ce mouvement délétère en exilant un peu plus le peuple de ce qui le regarde et qui lui offre encore l'honneur d'attacher son intelligence et sa sensibilité à l'examen de tous les crimes. Sans frontières artificielles entre eux.

Il est désolant de constater que, pour lutter contre cette dérive, la présidente de l'Union syndicale des magistrats, en totale méconnaissance de ce qu'est la cour d'assises, fait défaut alors qu'un avocat, au contraire, lucidement apporte son soutien à cette juste cause (Le Parisien).

Le président de la République a fait beaucoup pour la France avec la symbolique du pouvoir, de son pouvoir. De quel droit, alors, peut-il si légèrement décréter que la Justice criminelle sera dépouillée de sa symbolique et le peuple de sa mission ?


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