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Le RIC à la trappe ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/04/2019

Je crains fort que le RIC passe à la trappe et que le 15 avril le président nous communique "des mesures annoncées fortes" mais qui ne satisferont pas les Gilets jaunes, ne concerneront pas le coeur mais la périphérie, et conduiront la communauté nationale, pour une fois unie, à soupirer ou à s'indigner : "Tout ça pour ça !"

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Si j'exclus les scandaleuses demandes de destitution du président de la République, l'histoire des revendications de ces derniers mois peut sommairement se résumer ainsi : d'abord le pouvoir d'achat, puis le référendum d'initiative citoyenne (RIC), enfin le retour du pouvoir d'achat !

J'admets que la quotidienneté difficile de beaucoup de gens - notamment celle de Français travaillant mais ne trouvant plus pour eux ni pour leur famille de quoi subsister dignement dans des territoires peu ou prou désertés par l'Etat et les services publics - a naturellement imposé le pouvoir d'achat comme préoccupation prioritaire mais il me semble que la crise de la représentativité et l'hiatus entre pays réel et univers parlementaire avaient longtemps porté au premier plan aussi le RIC et l'instauration de la proportionnelle.

Avant qu'ils paraissent disparaître du champ des exigences essentielles.

Il y a sans doute eu là un clivage entre le Grand débat officiel et les consultations spécifiques organisées ici ou là par les Gilets jaunes qui n'aboutissent pas aux mêmes conclusions. Pour ces dernières, le RIC a gardé sa place capitale. Si je m'en rapporte au Gilet jaune intelligent, structuré et très politisé Pierre Vila questionné le 8 avril dans Les Vraies Voix sur Sud Radio.

L'épreuve que va subir le président à la mi-avril, avec une société lassée, énervée, avec la réception de ses propositions et des pistes qu'il envisage, quelles qu'elles soient, sera sans commune mesure avec celle qu'il endure depuis le mois de novembre. Il a libéré la parole, et d'abord la sienne. Maintenant il s'agit d'en recueillir le suc et c'est le plus délicat.

On a bien compris que le pouvoir ne voulait pas du RIC. S'il est prêt à concéder une dose de proportionnelle pour atténuer l'injustice électorale du système majoritaire, il est clair qu'il récusera le RIC dont les modalités - notamment sa possible finalité révocatoire - le révulsent.

On peut admettre qu'elles mériteraient d'être améliorées mais refuser le RIC par principe révèle une obstination non démocratique alors que par ailleurs on développe des généralités sur la démobilisation politique de beaucoup de Français qui ne se sentent plus représentés et qui sont lassés de n'avoir droit qu'à une parole trop rare.

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Avant même le compte rendu du Grand débat, on avait entendu des ministres - notamment la garde des Sceaux - dire tout le mal qu'ils pensaient de cette volonté incongrue et presque choquante de participer plus intensément à la vie démocratique.

Parce que le pouvoir d'achat, même si l'Etat aujourd'hui n'a plus les moyens d'ouvrir les vannes, est une réclamation plausible pour le pouvoir, elle s'inscrit dans un registre qui lui permet de demeurer dans un champ peu ou prou traditionnel : on n'a pas assez, on voudrait plus ! Il n'est pas contesté en tant que tel dans son essence, dans sa domination.

Tandis que le RIC est perçu, sans doute à juste titre, comme un processus infiniment dangereux, une menace pour une conception orthodoxe de la République, une entreprise de lèse-Etat alors que tout au plus, aménagé, il rapprocherait le citoyen de la chose publique.

Parce qu'avoir le droit de donner régulièrement son avis sur des problèmes qui vous concernent n'est sans doute pas le pire moyen pour insuffler un second souffle démocratique dans une France qui s'étiole sur ce plan. Il y a quelque chose à changer dans le lien entre gouvernants et gouvernés.

Le pouvoir d'achat se rapporte, pour beaucoup, à une immédiateté contraignante et parfois insupportable. Le RIC toucherait le pays profond et réformerait l'humus, pour les années à venir, d'un pays où les uns se sentent méprisés parce que les autres dirigent sans écouter.

Des anecdotes en disent long.

Comment un Jean-Michel Aphatie peut-il reprocher à Didier Maïsto de traiter vulgairement les Gilets jaunes alors que, d'une part, c'est totalement faux et que d'autre part lui-même n'économise pas sa condescendance, voire son mépris à leur égard ? Comment un Michel Cymes médecin encensé médiatiquement (pourquoi ?) ose-t-il proposer "un médicament contre la connerie" à Maxime Nicolle et à Eric Drouet qui ne sont certes pas irréprochables mais n'ont pas besoin de la moquerie désinvolte, facile et confortable de ce privilégié ?

Je crains fort que le RIC passe à la trappe et que le 15 avril le président nous communique "des mesures annoncées fortes" mais qui ne satisferont pas les Gilets jaunes, ne concerneront pas le coeur mais la périphérie, et conduiront la communauté nationale, pour une fois unie, à soupirer ou à s'indigner : "Tout ça pour ça !"


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