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Edouard Philippe : un homme-frontière

Justice au Singulier - philippe.bilger, 15/05/2017

Que cette configuration n'ait pas une incidence décisive pour la suite législative est possible. Mais le président de la République aura, avec ce Premier ministre, respecté un engagement et créé un paysage. Un bouleversement du fond dans une forme redevenue respectable. Ces lignes qui bougent ne doivent pas déplaire à François Bayrou.

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Ce n'est pas un choix qu'on fait à la va-vite. Il a été mûrement réfléchi, pesé.

Et très habile.

Alors que l'entourage du président nous avait annoncé que le nom de son premier Premier ministre serait connu le 15 mai entre 9 heures et midi, il a fallu attendre 15 heures pour sa révélation.

Je ne crois pas qu'il s'agisse avec ce retard d'une volonté forcenée de l'Elysée de s'imposer comme maître des horloges mais plutôt de tractations liées à la composition du gouvernement, aux 149 investitures laissées en suspens par LREM et aux élections législatives à venir. Le monde ancien ne se laisse pas aussi facilement oublier.

Puisque, depuis dix jours, Emmanuel Macron avait son Premier ministre dans la tête et qu'il a parfaitement gardé son secret. Avec lui, on est passé des confidences au silence. Mais ces retards du 15 mai dénotent-ils une fiabilité relative ou ne sont-ils que conjoncturels, liés à cette séquence très particulière ?

Il était temps d'en venir au fait pour le citoyen que je suis. A l'exception du Multifoot du 14 au soir, je n'ai pas quitté BFMTV et TF1 pour la passation de pouvoir et pour la matinée interminable du 15.

Il faudra inventer un nouveau mode d'information politique. La banalité accablante des éditorialistes, de ces commentateurs qui répètent, même si les visages changent, des propos et des analyses qui ne représentent aucune valeur ajoutée par rapport à ceux spontanés, libres du profane. Des poncifs nous sont présentés pour des fulgurances.

Edouard Philippe Premier ministre.

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Qu'il ait été un premier ou un second choix (puisque paraît-il Xavier Bertrand aurait été initialement sollicité) n'a aucune importance. L'essentiel est qu'avec un art tactique qui décidément ne se dément pas chez notre président, a été distinguée une personnalité, certes LR, mais un homme-frontière, une sorte de passerelle incarnée entre la droite libérale, le centrisme vertébré et la gauche raisonnable. Il est heureux qu'il ne soit pas l'un des proches "historiques" du président. Liberté pour l'un et l'autre.

Je ne suis pas persuadé que cette nomination - le gouvernement sera connu le 16 mai - sera une brèche qui entraînera beaucoup de ralliements de la part de la droite classique qui pour l'instant ne se focalise que sur les législatives du mois de juin.

Elle permettra à la gauche indécrottable de proclamer que la preuve est faite de l'appartenance à la droite du président de la République.

Quant à la gauche social-démocrate, elle se sentira évidemment à l'aise même avec ce Premier ministre qui ne lui est pas forcément familier.

La droite traditionnelle espère soumettre Emmanuel Macron à une cohabitation tandis que lui ne désespère pas d'inventer un nouveau mode d'administration publique où, d'abord de camps opposés, le président et son Premier ministre donneraient l'exemple d'un couple apaisé parce que fondamentalement accordé sur l'essentiel. Dans la cohabitation, le président est contraint d'opter pour un Premier ministre qu'il ne souhaite pas. Dans la nouvelle donne, il y a un accord des volontés, des désirs et des projets.

Le Premier ministre traduit ce qui était formidablement perceptible le 14 mai. Nous sentions tous que nous nous trouvions face à une République étrange, à une situation inédite où les blocs de droite ou de gauche ne gouvernaient pas la journée et n'inspiraient pas les discours - sauf celui longuet et partisan d'Anne Hidalgo. Mais la tonalité dominante était imprégnée d'un dépassement de ces enfermements orthodoxes et de ces sectarismes prétendument obligatoires.

Edouard Philippe, un moment tenté par la pensée rocardienne puis fidèle déçu d'Alain Juppé, n'a pas sauté le pas ni trahi quoi que ce soit. Il est l'éclaireur consentant, et peut-être peu suivi, dont le président de la République avait besoin pour une démarche stimulante. Tenter de casser le figé et le conventionnel n'est pas rien si on y parvient !

Que cette configuration n'ait pas une incidence décisive pour la suite législative est possible. Mais le président de la République aura, avec ce Premier ministre, respecté un engagement et créé un paysage. Un bouleversement du fond dans une forme redevenue respectable.

Ces lignes qui bougent ne doivent pas déplaire à François Bayrou.


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