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PMA : on a le droit d'hésiter...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/11/2018

Sur la PMA, oui, on a le droit d'hésiter mais, sans me défausser, le combat capital a déjà eu lieu. Il y a des billets qui rendent impatient leur rédacteur : il attend la pensée des autres.

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J'aime bien les sujets de société, les thèmes de bioéthique parce qu'en principe ils condamnent à l'intelligence et donc au doute, à l'hésitation, au scrupule et à la bonne foi.

En tout cas je l'espère. Sans doute suis-je enclin à souhaiter un débat de cette nature parce que je me sens très modeste face à la multitude de questions que de plus savants et de plus avisés que moi se posent.

Le fait que pour l'instant un consensus assez général se dégage pour refuser la gestation pour autrui (GPA) - avec la marchandisation du corps humain qu'elle implique - ne nous aide guère pour avoir un parti clair sur la procréation médicalement assistée (PMA). Sur la GPA, la médiatisation intense de Marc-Olivier Fogiel et l'écho donné à son livre ont peut-être fait bouger quelques lignes, à supposer que de son expérience personnelle et singulière - qu'il a revendiquée comme telle avec talent et conviction -, un enseignement puisse être tiré au-delà de lui-même. En tout cas, jusqu'à aujourd'hui, la GPA est ce vers quoi une majorité ne veut pas aller, accordée sur un refus qui, transgressé, nous ferait quitter l'essence et la gratuité de l'humain.

Le président de la République qui avait eu le courage lors de sa campagne de dénoncer la brutalité avec laquelle les opposants au mariage pour tous avaient été traités souhaite un débat apaisé sur la PMA - j'ai cru comprendre qu'à titre personnel il y était favorable - et il a totalement raison. Cette simple volonté de sa part, réaffirmée, a déjà eu d'heureux effets puisqu'on nous annonce que les intellectuels sont divisés sans qu'on puisse se fonder sur leurs options politiques pour les étiqueter pour ou contre la PMA. Par exemple, parmi ses adversaires, nous avons à la fois François-Xavier Bellamy et Jean-Claude Michéa aux antipodes l'un de l'autre sur le plan idéologique.

La classe politique elle-même paraît avoir découvert le bonheur de la liberté et de l'auto-détermination à propos de la PMA puisque nous avons à LREM deux députées estimables l'une et l'autre qui ont des positions contraires en les ayant argumentées.

Mieux, les principales personnalités, au nombre de cinq, de LR - Wauquiez, Retailleau, Jacob, Proust et Leonetti -, si elles tentent d'expliquer "pourquoi les Républicains s'opposeront à la PMA sans père - le font sur un mode que je perçois comme non péremptoire, empli de finesse et de modération, et donc, à cause de cette forme atténuée, non décisif et guère prescripteur pour les militants (Le Figaro).

Tant mieux car hésiter n'est pas une faute mais une chance pour tout mettre à plat et ne pas se laisser dicter des conclusions sommaires, confortablement contrastées pour échapper à la dure loi de la nuance et de l'honnêteté.

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Pour ma part, à tort ou à raison, je n'ai jamais pu dissocier, sur un plan intellectuel, sociologique et humain, la discussion sur la PMA de l'adoption du mariage pour tous dont on craignait qu'il engendrât des bouleversements radicaux, ce qui n'a pas été le cas même si l'heureuse et nécessaire banalisation de l'homosexualité est contredite par trop d'agressions homophobes.

Je n'étais pas favorable au mariage pour tous pour ce motif principal tenant à la crainte d'une déstructuration familiale et sociale. Mais je m'étais toujours gardé d'aller manifester car ce n'était pas la même chose de s'opposer conceptuellement à ce qui apparaissait comme une révolution et de se confronter physiquement à ses concitoyens homosexuels qui n'étaient pas devenus des ennemis à cause de leur désir de mariage.

Le mariage pour tous a constitué le grand saut, qui nous a fait passer d'une histoire et d'une humanité "naturelles" à une pratique culturelle. L'exigence de l'être et du couple, quelle que soit la configuration de celui-ci, s'est imposée comme la règle suprême et domine tout. On assigne à la société et au pouvoir d'avoir à la satisfaire à tout prix. A partir de cette immense avancée pour les uns et, pour les autres, de réalité à admettre, la PMA, pour les femmes seules et les couples de femmes, ne me semble pas représenter un nouveau choc mais plutôt la continuation logique d'une phase capitale qui avait déjà battu en brèche les principes traditionnels de l'union amoureuse.

J'entends bien les arguments qui, contre la PMA, ne sont pas insignifiants mais appellent une contradiction pas forcément vaine.

Le comité d'éthique s'est prononcé en faveur de la PMA et même si je ne suis pas fanatique de ce type d'instances prêtes à valider comme progressiste n'importe quelle nouveauté et que probablement il n'a pas tenu assez compte des multiples oppositions qui lui ont été adressées, il n'en demeure pas moins que son avis est argumenté et n'est pas indigne de la problématique grave abordée.

On nous met en garde contre la dérive que représenterait un droit à l'enfant alors que seul devrait être sauvegardé le droit de l'enfant. Mais est-il impossible de concevoir l'expression d'un droit qui ne risquerait pas d'être pur narcissisme et fantaisie ludique mais seulement une appétence sincère et généreuse pour un enfant, cette aspiration humaine à ce point universelle qu'on est fondé à vouloir la concrétiser et à s'en enrichir, quels que soient les aléas et les impossibilités de nature ?

Sur le même registre, je ne méconnais pas que les familles avec le couple parental classique - mère et père - soient préférables dans l'absolu à des structures plus composites ou incomplètes, l'amour de deux femmes pour un enfant pouvant être aussi intense, peut-être moins structurant, mais la vie fait des miracles. L'absence d'un père en tout cas, qui est l'argument central des conservateurs pour militer contre la PMA, ne me paraît pas à elle seule déterminante pour refuser ce que la nature ne peut pas permettre et que l'amour désire.

Il n'est pas dérisoire non plus de s'angoisser face à une PMA qui serait selon certains une porte inéluctablement ouverte sur la GPA avec les conséquences négatives qui en résulteraient, le corps devenu objet de lucre. C'est évidemment un risque mais c'est une tradition trop française, face à n'importe quel présent, de le répudier parce qu'il porterait en germe un futur pire. Si on acceptait d'appréhender la PMA en elle-même et de ne pas désespérer, pour une fois, de l'intelligence et de la morale du pouvoir, d'où qu'il vienne, ce ne serait pas une mauvaise idée démocratique.

Sur la PMA, oui, on a le droit d'hésiter mais, sans me défausser, le combat capital a déjà eu lieu.

Il y a des billets qui rendent impatient leur rédacteur : il attend la pensée des autres.


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