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La loi doit fabriquer du droit

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, 5/03/2012

Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. La formule incisive retenue par le Conseil d’Etat dans son rapport public de 1991, stigmatisait, aussi, les dangers présentés par un droit mou, un droit flou, un droit à l’état gazeux. Elle redevient très actuelle dans le débat sensible portant sur la répression du négationnisme.
En effet, le Conseil constitutionnel vient de rappeler les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale... », pour juger « qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative » (décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012 loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi -, JORF n°0053 du 2 mars 2012, p. 3988).

L’époque se prête à la porosité des frontières entre les normes juridiques et rend, par exemple, de moins en moins certaines les règles de distinction entre l’acte unilatéral et le contrat (par exemple, CE 3 février 2012, société SNPE matériaux énergétiques contre ministère de la défense et des anciens combattants, n° 351599, dont il sera prochainement rendu compte ici). Et l’on avait tendance à oublier cette règle d’évidence : la nature de la loi est de fabriquer du droit, elle n’est pas de déclamer, de s’insérer dans la formation de l’inconscient collectif ou, pour reprendre le mémoire des députés requérants, de se substituer au jugement heuristique de l’histoire ou à son appréciation éthique. Cette nature justifie l’existence dans le bloc de constitutionnalité du principe de clarté de la loi et de l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité qu’elle doit atteindre (Cons. constit. n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 - loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école). La nécessaire projection dans le temps de l’action publique justifie la réserve faite aux dispositions constitutionnelles qui permettent spécialement à la loi d’emprunter le champ de l’incertitude de l’avenir, comme par exemple, pour la fixation des objectifs de dépenses par les lois de financement de la sécurité sociale ou la détermination des objectifs de l’action de l’Etat par les lois de programmation, dont la loi de programmation militaire.

Ne faire que des textes nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides, telle doit être l’ambition des administrateurs et des légistes, ajoute le guide de légistique établi par le secrétariat général du gouvernement et le Conseil d’Etat. A n’en prendre qu’un seul exemple, encore dans la catégorie des textes les mieux bâtis, l’on a de la peine à retrouver l’expression de ces principes de bon sens à la lecture de la définition de la sorte des pouvoirs adjudicateurs constitués par les organismes de droit public autres que ceux soumis au code des marchés publics dotés de la personnalité juridique et qui ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial (article 3 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics).

Il demeure une attente naturelle à l’énonciation solennelle, symbolique ou rituelle des valeurs ou des dénonciations qui réunissent un très large consensus collectif. Cette diction, sauf l’exception de la rencontre fusionnelle entre un destin et la nation, ne peut être portée dans une société démocratique que par le cœur collectif qu’incarne le parlement. Il y est répondu, désormais, par l’article 34-1 de la Constitution (dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 et selon les modalités fixées par la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009) qui ouvre aux assemblées parlementaires la faculté de voter des résolutions.


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