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L’épilogue du procès de Marcel Guillot, ou comment juger un homme de 93 ans

Chroniques judiciaires - faq, 28/03/2014

Marcel Guillot n’a pas tout de suite compris la peine de dix ans de prison à laquelle la cour d’assises de la Marne venait de le condamner. Quand son avocat s’est penché à son oreille pour la lui répéter, il … Continuer la lecture

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Marcel Guillot n’a pas tout de suite compris la peine de dix ans de prison à laquelle la cour d’assises de la Marne venait de le condamner. Quand son avocat s’est penché à son oreille pour la lui répéter, il a simplement dit : « Oh, dans dix ans, je serai mort ! ». Et il s’est appuyé doucement contre le bois du banc, écrasant une larme furtive de la pointe de l’ongle de son pouce avant de reprendre ce mouvement mécanique de la tête – vers le haut, vers le bas, sur les côtés – qui le fait ressembler à un vieil oiseau déplumé.

La cour et les jurés ont considéré qu'« il subsiste un doute quant à la conscience et à la volonté de tuer » qui animait le vieil homme lorsqu’il s’est rendu au domicile de Nicole El Dib : ils ont donc écarté l’accusation de meurtre pour ne retenir que celle des coups mortels. Mais ils ont tenu compte de deux circonstances aggravantes, la préméditation et la vulnérabilité de sa victime, âgée de 82 ans. On est loin des dix-huit ans de réclusion criminelle demandés dans la matinée, au terme d’un réquisitoire de quinze minutes, par une jeune procureure manifestement dépassée par le dossier dont elle avait la charge.

Car ce que l’on retiendra de ces trois jours de procès, c’est d’abord le trouble, la gêne profonde que suscite cette affaire et qui renvoie chacun au regard qu’il porte sur le quatrième âge. Comment juger un homme de 93 ans ? Requérir contre lui une peine semblable à celle qui aurait pu être demandée contre un autre accusé d’âge « normal », en disait beaucoup sur la crainte d’approcher une réalité qui échappe et dérange.

Comme l’a souligné avec justesse l’avocat de la défense, Me Jean-François Delmas, il a manqué à ces débats l’éclairage d’un gériatre. Peut-être aurait-il pu expliquer par exemple, mieux que ne l’ont fait le psychiatre et le psychologue qui ont eu à examiner Marcel Guillot, si l’absence de remords dont l’accusé a témoigné est le signe d’un « aveuglement narcissique » ou s’il est davantage celui de l’absence au monde et du repli sur soi que l’on observe souvent chez les personnes très âgées.

Comment fallait-il interpréter encore les derniers mots surréalistes qu’il a prononcés avant que la cour ne se retire pour délibérer et qu’elle avait encore en mémoire le rappel, par l’avocat de la famille de Nicole El Dib, Me Jean-Marie Job, la violence des coups portés sur la victime et les multiples fractures qui ont entraîné sa mort ? S’approchant de la cour, Marcel Guillot avait dit : « Ben, je dirais que je suis pas un assassin. J’ai pensé à quelque chose d’autre. A chaque fois que je venais chez Nicole, on allait au jardin car elle savait que j’aimais bien le jardin. Elle me disait qu’elle ne pouvait pas s’en occuper, elle, parce qu’elle avait les os fragiles. Elle buvait jamais de lait et mangeait pas de fromage. C’est pourtant essentiel, le lait et le fromage, pour les os ». Il a ajouté : « Un soir, on causait. Elle m’a dit : ‘Si je me remariais, je prendrais un jeune’. Je lui ai dit : ’Tu sais, un jeune, il va te bouffer tout ton pognon’. Elle s’est levée, elle a foutu un coup de poing sur le scrabble. ’Tu me prends pour une vieille ?’, qu’elle m’a dit. Je lui ai dit non. Elle avait le même âge que ma femme ».

Par la peine qu’ils ont prononcée et surtout par la motivation de leur verdict, la cour et les jurés ont donné de ce dossier une lecture plus juste que celle des professionnels de la justice – juge d’instruction et accusation – qui les avaient précédés.

Vendredi 28 mars, Marcel Guillot est reparti comme il était venu, marchant d’un pas mal assuré entre ses gardes et serrant contre lui sa trousse en plastique bleu, pour retrouver la prison de Châlons-en-Champagne où il est détenu depuis deux ans. S’il en fait la demande, il sortira dans quelques semaines, en application de la loi Kouchner du 4 mars 2002, qui autorise la libération conditionnelle des condamnés de plus de 70 ans. Au psychiatre qui l’avait examiné, Marcel Guillot avait confié : « Mais après tout, je suis mieux ici, en prison, qu’en maison de retraite ».


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