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Au procès Heaulme, les enquêteurs Sisyphe

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/05/2017

Le colonel de gendarmerie Laurent Iltis, bien droit dans son uniforme, n’a rien d’un poète. Et pourtant, lorsqu’il explique ses recherches à la barre – il a été l’un des gendarmes affectés de 2000 à 2006 à la reprise de … Continuer la lecture

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Le colonel de gendarmerie Laurent Iltis, bien droit dans son uniforme, n’a rien d’un poète. Et pourtant, lorsqu’il explique ses recherches à la barre – il a été l’un des gendarmes affectés de 2000 à 2006 à la reprise de toute l’enquête dans le double meurtre de Montigny-les-Metz après la révision de la condamnation de Patrick Dils -, il est Prévert et Devos réunis.

– Si deux pêcheurs pêchaient ce jour-là, je me suis dit qu’il y avait peut-être d’autres pêcheurs qui pêchaient.

Le voilà donc écumant les listes de toutes les fédérations de pêcheurs de l’époque. Il recherche aussi la 4L des pêcheurs qui affirment avoir transporté un Francis Heaulme, « tout tremblant » avec « des traces de sang sur le visage » ce dimanche 28 septembre 1986.

– Elle avait été vendue et revendue. A ce jour, je ne l’ai pas retrouvée.

« Les excréments [un échantillon de la précieuse matière fécale avait été prélevé sur la scène de crime en septembre 1986], je les ai recherchés dans tous les Frigidaire de tous les instituts médico-légaux ». En vain. « On a trouvé deux cheveux » dans la chambre de Francis Heaulme, poursuit-il.

Ils ne lui appartiennent pas, mais ils ne correspondaient à personne d’identifié, ils tournent encore.

Il fait découper chez lui un « morceau de plancher » sur lequel il a cru percevoir des traces de sang. Pas de chance, c’est une simple tache. Et le vélo, bien sûr, le si cher vélo de Francis Heaulme. Rien non plus. Disparu, le vélo.

Mais trois fois rien, c’est déjà quelque chose, dans un dossier qui est alors vieux de quinze ans, dont les rares scellés ont été détruits – l’affaire, pensait-on, était définitivement classée en 1989 par la condamnation de Patrick Dils à la réclusion criminelle à perpétuité.

« Chou blanc »

Alors, le gendarme Iltis cherche et cherche encore. Il réquisitionne le millier de photos prises à l’époque par la presse locale, interroge la veuve de l’un de ses photographes, enquête dans tous les laboratoires photo du coin pour dénicher d’éventuels négatifs. Récupère chez les parents d’Alexandre Bekrich, le pantalon porté par le garçonnet ce jour-là et qui leur avait été rendu. Il a été lavé. Interroge les voisins, en procédant par cercles concentriques, les commerçants, les cafetiers, secoue les poussières de leur mémoire, rencontre les enfants d’hier devenus des adultes, exhume ce qu’il peut des cerveaux embrumés des SDF qui avaient croisé Francis Heaulme. 151 personnes.  Il dit sobrement :

– Chou blanc.

De l’infiniment petit, il passe à l’infiniment grand. Une requête est adressée à la SNCF pour retrouver un wagon, portant une trace de sang, comme une empreinte de main qui s’essuie et dont témoigne une photo de l’époque, en vain toujours.

– Il y en avait 1664.

Chou blanc, là encore. Il interroge la base des photos satellites, les objectifs de l’époque ne sont pas assez précis.

On pouvait confondre un arbre avec une voiture. Malheureusement.

La veille, le chef d’enquête Francis Hans avait tenu la barre pendant plus de sept heures. La cour et les jurés, qui avaient vu défiler devant eux un ancien policier, l’inspecteur Varlet figé dans ses anciennes certitudes sur la culpabilité de Patrick Dils,  un gendarme passionné, Jean-François Abgrall, qui s’était mis « dans la tête » du tueur Francis Heaulme, un autre qui avait reconstitué presque à la minute près la scène de crime, avaient découvert cette fois un modèle de sobriété, de rigueur et de solidité.  « Nous avons essayé de nous battre contre ce plafond de verre qu’était l’absence de scellés » avait-il observé après avoir respectueusement adressé ses « regrets et [ses] pensées » aux familles des deux enfants.

S’il n’avait pas caché sa conviction que le double meurtre de Montigny-les-Metz portait « indéniablement la marque comportementale » du tueur multirécidiviste Francis Heaulme – sur la base à la fois des propres déclarations de l’accusé, qui reconnaît avoir été sur les lieux ce jour-là et sur l’extrême violence de la scène de crime, proche en de nombreux points des autres meurtres dont il a été reconnu auteur -, Francis Hans avait pris de soin de préciser : « Pour autant, je n’ai pas de preuves matérielles. »  Il avait ajouté : « Francis Heaulme se pose comme un témoin. Un témoin principal. Je pense qu’il y a encore un pas à franchir. Qu’il ne dit pas toute la vérité. »


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